je dois déclarer, tout en avouant que Dieu seul en sait la vérité, que leur récit porte toutes les marques d'une histoire forgée à plaisir et que cela saute même aux yeux. Je trouve la confirmation de mon opinion dans les paroles des généalogistes berbères les plus exacts, tels que Sabec et ceux de son école : ils disent que les tribus issues d'Addas, fils de Zahhîk, rentrent toutes dans la catégorie de celles descendues de Hoouar; et cela pour la raison que celui-ci avait épousé la mère d'Addas après qu'elle eut perdu son mari Zahhîk, et qu'il avait élevé Addas. Or, dans la première manière de tracer la filiation de Hoouar nous voyons que Zahhîk devait être son ancêtre, car El-Mothenna, bisaïeul de Hoouar, était fils de Tîski, laquelle était fille de Zahhîk. Hoouar serait donc le cinquième descendant de Zahhîk; comment aura-t-il pu épouser la femme de ce même Zahhîk ? l'absurdité y est évidente. Quant à la seconde filiation de Hoouara, elle a paru à leurs généalogistes plus conforme à la vérité que la première. Les tribus sorties de la souche de Hoouara sont très-nombreuses; et la plupart de celles qui tirent leur origine d'Aurîgh, père de Hoouar, portent aussi le nom de Hoouarides parce que Hoouar était le fils aîné et parce que sa renommée surpassait celle de ses frères. Aurîgh avait quatre fils: Hoouar, Maggher, Calden et Meld. Chacun d'eux fut l'aïeul de plusieurs tribus que l'on désignait collectivement comme les enfants de Hocuar. Selon Ibn-Hazm, la tribu de Maggher se partagea en quatre branches: les Maouès, les Zemmor, les Keba et les Mesraï. A celles-ci Sabec-el-Matmati et ses disciples ajoutent les Ourîdjen, les Mendaça et les Kerkouda. Les Calden formèrent quatre branches : les Comsana, les Ourstîf, les Biata et les Bel. Sur ce point, Sabec et Ibn-Hazm sont d'accord. Les Meld se composèrent des Melîla, des Satat, des Ourfel, des Ouacîl et des Mesrata. Ibn-Hazm et Sabec, qui nous ont fourni les noms de ces ramifications, ajoutent qu'elles proviennent de la souche de Lehan, fils de Meld. Quelques-uns citent une autre tribu lehanide appelée Ounîfen. 4 Variante: Biana. , Les tribus issues de Hoouar sont, d'abord les Beni-Kemlan puis les Melîla, dit-on, ensuite les Gharian, les Ouergha, les Zeggaoua, les Mecellata [ou Meslata] et les Medjrîs. Les cinq dernières sont indiquées par les généalogistes berbères. A cette liste on ajoute quelquefois les Ounîfen, tribu dont on regarde actuellement les Medjris comme faisant partie. Sabec et les généalogistes qui suivent son autorité considèrent les Beni-Kemlan comme une branche des Ourîdjen, enfants de Maggher; ils disent aussi que cette même tribu se subdivisait en plusieurs ramifications, telles que les Beni-Kîci, les Ourtagot, les Tîçoua 1, et les Heiouara. Plusieurs tribus descendues d'Addas, fils de Zahhîk, sont comptées aussi parmi les Hoouara. C'est ainsi qu'Ibn-Hazm s'accorde avec les disciples de Sabec et avec leur maître à représenter les Heragha, les Terhounaa, les Ouchtata, les Andara, les Henzouna, les Autîta et les Sanbera comme peuplades hoouarides. Lors de la conquête musulmane, toutes les tribus portant le nom générique de Hoouara, tant celles qui remontent leur origine à El-Abter que celles qui ont Bernès pour ancêtre, habitaient la province de Tripoli et la partie du territoire de Barca qui en est voisine; fait que rapportent également El-Masoudi et El-Bekri. Les unes possédaient des demeures fixes, les autres vivaient en nomades. Parmi elles, il s'en trouva une qui traversa les sables jusqu'au Désert et s'établit à côté des Lamta porteurs du voile, qui habitaient auprès de Gaugaua 3, localité située dans le pays des Noirs, vis-à-vis l'Ifrîkia. On reconnaît l'origine hoouaride de cette peuplade au nom qu'elle porte et qui est une altération du mot Hoouara; car, ayant changé le ou de ce mot en un espèce de k dont le son est l'intermédiaire du k doux et du k guttural, ils en ont formé Heggar1. 1 L'orthographe de ces noms est incertaine, les manuscrits offrant beaucoup de variantes. 2 Ci-devant, page 174, ce nom est écrit Terehna. 3 Le Gaugaua d'Ibn-Khaldoun est sans doute le Kaukau d'Ibn-Ba touta, ville située sur le Niger, au sud-est de Tenboktou. Les Hoouara se firent d'abord remarquer par la part active qu'ils prirent à la grande apostasie des Berbères et aux guerres qui en furent la suite; ils se distinguèrent plus tard par leur engouement pour les doctrines kharedjites, et surtout pour celle des Eibadites. Abd-el-Ouahed-Ibn-Yezîd, un de leurs chefs, aida Okacha-el-Fezari dans sa révolte contre Handala [l'émir arabe]. Les deux partis se firent une guerre acharnée jusqu'à ce qu'en l'an 124 (741-2), sous le règne de Hicham-Ibn-Abd-el--Mélek, Handala défit ses adversaires et les tailla en pièces. Yahya-Ibn-Founas, un autre chef hoouaride, prit les armes contre Yezîd-Ibn-Hatem, et, en l'an 156 (772-3), il réunit sous ses drapeaux une grande partie de sa tribu ainsi que de plusieurs autres. Abd-Allah-Ibn-es-Samt-el-Kindi, le général qui commandait à Tripoli, marcha contre le chef insurgé en suivant le bord de la mer, et le força à prendre la fuite après lui avoir tué la plupart de ses partisans hoouarides. Modjahed-Ibn-Moslem, membre de la tribu de Hoouara, fut un des généraux qui combattirent pour Abd-er-Rahman-Ibn-Habib. Plus tard, quelques-uns de leurs guerriers les plus distingués passèrent en Espagne avec Tarec et y établirent leur séjour. Parmi les descendants de ces émigrés on remarqua la famille d'Amer-Ibn-Ouehb, émir qui gouverna Ronda sous les Almoravides, et les Beni-Dou-'n-Noun, famille qui enleva cette ville aux Amer-Ibn-Ouehb et qui s'empara aussi de Tolède. Citons encore les Beni-Rezîn, seigneurs d'EsSehla 1. 1 Ibn-Batouta nous apprend, dans le récit de son voyage au pays des Noirs, (voyez le Journal Asiatique de 1843), qu'en revenant de ces contrées, il lui fallut un mois pour traverser le territoire des Heggar, et qu'en sortant de cette région, il atteignit les oasis de Touat. En effet, les Haggar occupent encore le pays qui s'etend au sud de Touat et à l'ouest de Ghat, ville du Fezzan. 2 Dans la traduction, nous n'avons pas essayé de rendre les mots bisouarïa min souahilihim, qui peuvent signifier à Souarïa dans le pays du littoral, ou bien: avec la cavalerie fournie par les populations du littoral. Si l'on admet cette dernière explication, il faut supposer que le motpersan souvaria (cavalerie) ait été admis dans la langue arabe. En l'an 196 (841-2), les Hoouara se révoltèrent contre Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb, et conduits par Eïad-Ibn-Ouehb, un de leurs chefs, ils mirent le siége devant la ville de Tripoli, l'emportèrent d'assaut et la ruinèrent de fond en comble. Abou-'l-Abbas, fils d'Ibrahîm, marcha contre eux, d'après l'ordre de son père, et les ayant défaits dans une bataille sanglante, il releva la ville de ses ruines. Abd-el-Ouehhab-Ibn-Rostem, seigneur de Tèhert, courut alors au secours des Hoouara qui avaient invoqué son appui, et les rallia sous ses drapeaux ainsi que plusieurs fractions de la tribu de Nefouça. Il mit alors le siége devant Tripoli et y tint Abou-'l-Abbas étroitement bloqué. Sur ces entrefaites, Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb mourut à Cairouan, et Abou-'l-Abbas, qu'il avait déjà désigné comme successeur du trône, décida Abdel-Ouehhab à se retirer dans le pays des Nefouça après avoir acheté la paix en cédant aux assiégeants les campagnes de la province de Tripoli. Plus tard, les Hoouara devinrent les alliés de l'empire et prirent part à la conquête de la Sicile. Zouaoua-Ibn-Néam-el-Half, un de leurs chefs, assista à ce triomphe des armes musulmanes. A une époque encore plus récente ils déployèrent une grande audace pendant la révolte d'Abou-Yezîd, le nekkarien, dont ils avaient embrassé la cause aussitôt qu'il se fut rendu maître du Mont-Auras et de Mermadjenna, localités qu'ils habitaient alors. Pendant cette guerre les Hoouara, et les Beni-Kemlan surtout, commirent des forfaits épouvantables. Après la mort d'Abou-Yezîd, Ismaîl-el-Mansour envahit leur pays à l'improviste et châtia les Beni-Kemlan si rudement, que depuis lors on n'a plus entendu parler d'eux. A partir de cette défaite, les Hoouara eurent à supporter la domination de toutes les dynasties qui se sont succédées en Ifrîkïa; aussi, partout où ils se trouvent, on les voit réduits au rang de peuples tributaires. 1 Es-Sehla (la plaine) fut le nom d'un territoire très-considérable appelé maintenant corregimiento de Albarracin, et dont la capitale était Santa-Maria de Albarracin (Ibn-Rezin). - Voyez le Makkari de M. de Gayangos, vol. 1, page 378. On trouvera dans ce savant et utile ouvrage des renseignements sur les Beni-Rezîn. Quelques débris de cette tribu se rencontrent en Egypte, où les uns s'adonnent à la culture de la terre et les autres font le métier de batelier ou de berger. Entre Barca et Alexandrie on trouve une peuplade hoouaride appelée El-Methaïna. Elle mène une vie nomade et accompagne partout les Azza, branche de la tribu soleimide des Héïb. Il s'en trouve encore sur les plateaux de l'Ifrîkïa, depuis Tebessa jusqu'à Mermadjenna, et de là jusqu'à Bédja. Ils y vivent en nomades et sont comptés au nombre des Arabes pasteurs de la tribu de Soleim, auxquels, du reste, ils se sont assimilés par le langage et l'habillement ainsi que par l'habitude de vivre sous la tente. Comme eux aussi ils se servent de chevaux pour monture, ils élèvent des chameaux, ils se livrent à la guerre et ils font régulièrement la station du Tell dans l'été et celle du Désert dans l'hiver. Ils ont oublié leur dialecte berbère pour apprendre la langue plus élégante des Arabes, et à peine comprennent-ils une seule parole de leur ancien idiome. C'est à côté de Tebessa que l'on rencontre la première de ces peuplades hoouarides; elle s'appelle les Beni-Ounîfen et obéit à la famille de Soleim [ou Selîm], fils d'Abd-el-Ouahed, fils d'Asker, fils de Mohammed, fils de Bâra, fils de Hannach. Elle reconnaît en seconde ligne l'autorité de la famille de Zeitoun, fils de Mohammed, fils de Bâra, et celle de la famille de Dahman, petit-fils de Bâra. Avant d'avoir choisi leurs chefs parmi les descendants de Bâra, les Ounîfen les prenaient dans la maison de Saïa, une autre de leurs familles. Leur territoire se compose de la plaine de Tebessa et de celle de Mermadjenna ainsi que des lieux voisins. Immédiatement à l'orient de cette tribu on trouve les Caïser autre branche de la même souche. Ce peuple reconnaît tantôt l'autorité de la maison des Zéazâ et tantôt celle des fils de Haracat, familles dont l'origine remonte à un ancêtre commun, nommé 1 Ce Hannach doit être l'ancêtre des Hanancha, peuple qui habite encore la région indiquée ici par notre auteur. Hanancha est le pluriel de Hannach. |