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Peu de temps après, des difficultés s'étant élevées au sujet des obligations trop facilement contractées par le roi de Tunis, Pierre III, au courant des projets de Jean de Procida, se concerta avec Abou-Bekr Ibn-Ouezir, ancien gouverneur de Constantine, qui s'était mis en révolte contre Abou-Farès, fils d'Abou-Ishak, vice-roi de Bougie, pour avoir un prétexte de s'approcher de la Sicile.

Abou-Bekr avait déjà pris à sa solde un grand nombre d'auxiliaires chrétiens. Il annonçait au roi d'Aragon qu'avec l'assistance de quelques troupes il se croyait en état de s'emparer de Constantine, la plus forte place du royaume de Bougie, et qu'alors, en appelant à lui tous les cavaliers chrétiens au service du roi de Tunis, dont le nombre s'élevait bien à deux mille, il se rendrait facilement maître de Bougie et de l'autorité royale. S'il n'allait pas jusqu'à promettre de livrer ensuite la ville de Bougie aux chrétiens, il assurait du moins Pierre III d'une alliance avantageuse; on dit même qu'il laissait entrevoir, sans en avoir certainement l'intention, la possibilité de se convertir au christianisme.

1277-1282.

Réponse du pape aux propositions du roi d'Aragon.

Le roi Pierre se rendit, suivant sa promesse, sur les côtes d'Afrique. Le 28 juin, il jeta l'ancre à Collo, l'ancien Cullu, vis-à-vis de la Sardaigne, port de la Numidie le plus rapproché de Constantine, en donnant avis de son arrivée à Jean de Procida. De Collo il pouvait se porter soit sur Bougie, s'il eût été nécessaire, soit sur la Sicile, où l'insurrection contre les Français, victorieuse à Pa

lerme dès le 30 mars, jour des Vêpres siciliennes, se propageait dans les autres villes. Tout entier cependant, et en apparence, à son expédition, qu'il voulait faire considérer comme une croisade, il avait tenté d'obtenir l'approbation du Saint-Siège. Il réclamait même des subsides pour suffire à l'entretien du grand armement dont il avait dû, disait-il, cacher le but à tous les princes, afin d'en assurer le succès, car il s'agissait de la conquête d'un grand royaume sarrasin. Mais Martin IV répondit aux envoyés d'Aragon qu'ignorant encore l'objet des préparatifs du roi, il ne pouvait accorder des indulgences pour les seconder; que d'ailleurs les hommes et les décimes de la croisade n'étaient point destinés à faire la guerre aux Sarrasins de Barbarie, mais seulement à combattre les infidèles de Terre sainte, afin de retirer un jour de leurs mains le tombeau de Jésus-Christ.

Sans s'étonner d'une réponse qu'il avait dû prévoir, et qu'il n'attendit peut-être pas, le roi Pierre, ayant reçu à Collo une députation des Siciliens, qui l'appelaient au trône, et apprenant la chute d'Abou-Farès, se hâta de mettre à la voile. Débarqué le 30 août à Trapani, il fit son entrée triomphale à Palerme, où il fut proclamé roi le 4 septembre suivant. Les événements avaient pris subitement en Afrique une tournure qui l'autorisait à ne plus espérer y trouver un concours efficace. A l'époque même où il quittait l'Aragon pour se rendre au Magreb, dans le courant du mois de juin 1282, Constantine, défendue par les troupes arabes et chrétiennes d'AbouBekr, et assiégée par Abou-Farès, avait été emportée d'assaut, Abou-Bekr décapité et ses partisans massacrés ou dispersés.

1283-1318.

- Séparation momentanée des royaumes de Bougie
et de Tunis.

L'année suivante, Abou-Farès perdit le pouvoir et la vie, au moment où il se croyait près de s'élever du trône de Bougie à celui de Tunis. Sa chute fut le châtiment de son ingratitude. Obligé de fuir la capitale devant un heureux aventurier nommé Ibn-Abi-Omara, qui réussit quelque temps à se faire considérer comme un petitfils d'El-Mostancer, dont le long règne (1249-1277) avait laissé des souvenirs chers aux tribus, le sultan AbouIshak Ier avait été obligé de se réfugier à Bougie avec les troupes restées fidèles. Au lieu de soutenir les droits de son père, Abou-Farès acheva de le dépouiller de l'autorité, et se fit proclamer à sa place le 2 mars 1283. Il appela aussitôt auprès de lui les tribus sur lesquelles il pensait pouvoir compter, nomma son frère Abou-Zakaria au gouvernement de Bougie, et se porta au-devant d'Ibn-Abi-Omara avec ses autres frères et son oncle Abou-Hafs, troisième frère d'El-Mostancer-Billah. Rencontré le 1er juin 1283 à Mermadjenna, localité de l'intérieur qui paraît située vers les frontières de la Proconsulaire et de la Byzacène, entre Tebessa et Kairouan, Abou-Farès y fut complètement battu, pris et massacré, ainsi que ses frères. Presque seul des princes de la famille royale qui se trouvaient auprès de l'émir de Bougie, Abou-Hafs parvint à échapper au désastre.

A la nouvelle de ces événements, le sultan Abou-Ishac s'enfuit précipitamment de Bougie avec son fils AbouZakaria. Arrêté dans les montagnes de Zeffoun et ramené à la ville, il fut mis à mort au mois de juin 1283,

pendant qu'Abou-Zakaria parvenait à se réfugier à Tlemcen, auprès de son beau-frère Yaghmoraçan.

L'usurpateur, dont les artifices commençaient à se dévoiler, fut renversé peu après par Abou-Hafs, que les scheiks étaient allés chercher dans la retraite où il s'était renfermé après la catastrophe de Mermadjenna, et avaient proclamé sultan au mois de juin ou juillet 1284. Il prit le titre royal d'El-Mostancer (celui qui cherche la victoire avec l'aide de Dieu), porté déjà par son frère Abou-Abd-Allah, et mourut en 1295, laissant le trône à son petit-neveu Abou-Acida, descendant direct d'El-Mostancer Ier, les scheiks de l'empire s'étant opposés à ce que son fils Abd-Allah lui succédât, à cause de son bas âge.

Abou-Hafs n'avait pas conservé longtemps sous son obéissance le royaume de Bougie. L'année même de sa proclamation à Tunis, son neveu, Abou-Zakaria, retiré à Tlemcen, emprunta de l'argent à des marchands (arabes) de Bougie venus pour leurs affaires en cette ville; il trompa la surveillance d'Yaghmoraçan, qui voulait rester fidèle au sultan, enrôla des troupes, et s'avança comme un prétendant vers les provinces orientales. Ne se croyant pas toutefois assez puissant pour chasser son oncle du royaume de Tunis, il s'arrêta dans le Magreb central. Il y groupa les anciens partisans de son père, soumit successivement Bougie, Alger, Constantine, puis Biskara jusqu'à la limite du désert, et reconstitua de nouveau, avec Bougie pour capitale, l'ancien royaume des Hammadites, qu'il transmit à son fils Abou-Yahya Abou-Bekr. Celui-ci, aussi persévérant et plus heureux que son père, parvint, après une série de

guerres et de vicissitudes, non seulement à défendre son indépendance à Bougie, mais, en conservant le premier royaume, à se faire proclamer à Tunis même en 1318.

1284-1318.

Commerce des Marseillais. Que les constitutions pontificales limitant les rapports des chrétiens avec les Sarrasins ne s'appliquaient pas en général aux côtes du Magreb.

On ne sait rien des dispositions personnelles des nouveaux rois de Bougie à l'égard des Européens. Les seuls documents que nous ayons de leur temps signalent même des faits qui ne sont pas à leur louange. Ils montrent, au moins en ce qui concerne les Marseillais, à deux époques différentes, des intentions bien différentes de celles qu'avaient toujours témoignées leur aïeul, l'émir Abou-Zakaria Abou-Hafs, fondateur de la dynastie hafside. La perte de la Sicile avait pu porter quelque atteinte à la considération des rois de Naples en Afrique et, par contre-coup, nuire momentanément au crédit des Provençaux, leurs sujets.

Le mauvais vouloir ne dut être que passager. La croisade de saint Louis ne fut en Afrique qu'un incident bientôt oublié. Elle n'altéra pas d'une façon durable le caractère des rapports pacifiques existant depuis deux siècles entre les Européens et les musulmans du Magreb, quand au contraire à l'autre extrémité de la Méditerranée l'état de guerre et d'hostilité était le régime habituel des Francs et des Sarrasins en Terre sainte et en Égypte. Elle n'amena pas les conséquences qu'eut en Syrie la perte de Jérusalem et de Saint-Jean d'Acre.

En Orient, les papes, sentant la nécessité de combattre par tous les moyens la puissance des sultans

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