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rêter un obscur agent religieux, émissaire de ce même Bou Amema; elle se continua par la défection de nos tribus des hauts-plateaux et par toute une série de pillages, de meurtres et de dévastations que la défectuosité de nos moyens d'action ne nous permit ni d'empêcher, ni de réprimer en temps utile et comme il l'aurait fallu. - En effet, Bou Amema nous a échappé et aujourd'hui encore il vit tranquille et honoré, chez nos voisins, à quelques, kilomètres de nos ksour.

VI

Les premières mesures pratiques

C'est au gouvernement civil et à la députation algérienne que revient l'honneur d'avoir obtenu du Parlement les crédits nécessaires pour l'application, dans le Sahara, des premières mesures pratiques et rationnelles. L'œuvre est loin d'être terminée, mais les premiers jalons sont posés et c'est le principal, car les premières réformes sont toujours les plus difficiles à obtenir et chaque progrès réalisé en appelle de nouveaux.

Dès 1879 et 1880, et en même temps que se réalisait dans le Tell l'extension des institutions civiles et de droit commun, les questions indigènes étaient l'objet d'études incessantes, et à l'ouverture du Conseil supérieur, le 6 décembre 1880, M. Albert Grévy annonçait en ces termes la nécessité de faire figurer dans les propositions budgétaires des prévisions de crédits pour le fonctionnement de nouveaux postes dans le Sud:

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La suppression des bureaux arabes dans toute la région tellienne comporte une nouvelle organisation

dans nos possessions sahariennes. Pour mieux con⚫ vrir le Tell devenu le pacifique champ clos de la colonisation, pour assurer à nos habitants des ksours la protection efficace qu'ils nous demandent, pour mettre nos tribus lointaines, quelquefois hésitantes, à l'abri » des séductions ou des excursions des dissidents, pour asseoir notre domination dans les régions d'où parti»ront sans doute un jour les lignes trans-sahariennes, ⚫ il est nécessaire de régulariser, d'affirmer dans le Sud > l'action directe des agents français. Au delà de notre » ligne actuelle de Géryville, Laghouat, Biskra, une ligne » nouvelle plus reculée peut être constituée par la création à Tiout, à Metlili, à Tougourt, de cercles ou d'an» nexes fortement organisés. Ce projet, en tous points » conforme aux propositions des généraux chargés de » l'administration du Sahara, devait trouver place dans nos propositions budgétaires. »

Au mois de mars suivant, le projet des arrêtés de création était soumis au Conseil de gouvernement (1) et adressé aux différents ministres pour obtenir leur assentiment et leur concours financier.

L'insurrection de Bou Amema survenue sur ces entrefaites retarda la promulgation des arrêtés préparés, mais, par contre, elle contribua singulièrement à améliorer les conditions matérielles des installation proposées.

En 1881, en effet, la colonisation industrielle avait, depuis plusieurs années, débordé du Tell sur les hautsplateaux par suite de l'extension donnée à l'exploitation. de l'alfa. Là, dans une région où nous étions habitués, jusqu'alors, à ne voir engager que des intérêts indigènes pour la défense desquels nous nous en étions toujours remis aux tribus intéressées, nous avions à sauvegarder

(1) Le rapport a été publié dans une brochure: Insurrection du Sud-Oranais, réponse à Sahraoui, par le citoyen Bézy. Oran, 1884.

des chantiers de travailleurs européens, des magasins et du matériel de toute espèce.

On sait comment nos premières colonnes échouèrent dans cette protection impossible avec les moyens dont elles disposaient nos soldats furent exténués, leurs chefs calomniés, nos goum du Tell suspectés, et on ne protégea pas grand'chose. Nous avons déjà dit pourquoi. Aussi, lorsque les généraux Saussier et Delebecque vinrent, en juillet 1881, prendre possession de leurs commandements, le premier à la tête du XIXe corps, le second à la division d'Oran, ils rompirent net avec les vieux errements condamnés par l'expérience. Ils demandèrent et obtinrent, en partie, des moyens d'actions mieux appropriés au pays, c'est-à-dire l'occupation française directe et permanente de points stratégiques, situés plus au Sud, aménagés de façon à y rendre la vie supportable à nos soldats, et surtout reliés par une voie ferrée aux centres du Tell et aux ports du littoral.

Sur place, les généraux avaient eu la bonne fortune de rencontrer les ingénieurs et administrateurs de la Cie Franco-Algérienne qui, « dans un élan d'enthousiasme patriotique »> (1), s'étaient engagés à faire en 100 jours jusqu'au Kheider 34 kilomètres de voie exploitable, et, en 250 jours, 115 kilomètres jusqu'à Mecheria.

Le 4 août 1881, les chambres votaient l'établissement d'urgence de cette ligne. Le 6 un télégramme du général Saussier adressé à M. Fousset, l'ingénieur en chef de la Compagnie, doenait l'ordre d'exécution.

Le 7, huit cents ouvriers étaient à l'œuvre.

Le 27 septembre, après 52 jours, la locomotive entrait en gare du Kheider.

Le 13 décembre la gare mobile de l'avancée, à Bir-Senia, assurait, à 313 kilomètres d'Arzew les ravitaillements de trois colonnes.

(1) Le Génie civil, no 14, du 15 mai 1882. Les chemins de fer en Algérie, par E. Chabrier.

Soixante-treize kilomètres avaient été construits en 128 jours, soit moins de 2 jours par kilomètre.

Malheureusement les désastres accumulés par les ouragans, neiges et inondations de décembre interrompirent pendant 70 jours, non les travaux, mais les apports de matériel.

Malgré ce contre-temps, le 2 avril 1882, c'est-à-dire le 239 jour après l'ordre d'exécution, la locomotive sifflait à Mecheria à 115 kilomètres du point de départ, ce qui établit une moyenne de 2 à 3 jours par kilomètre en tenant compte des retards, et de l'imprévu inhérents à toute entreprise.

En même temps on aménageait les postes du Kheider et de Mecheria, dans les conditions voulues; on commençait l'installation d'Aïn-Sefra, dont l'arrêté de création parut le 22 mars 1882; on installait des télégraphes optiques là où le fil électrique eût été ou trop exposé ou trop long à établir.

Ce qui se faisait alors à l'ouest du pays des Ouled-SidiChikh était non moins nécessaire à l'Est, mais de ce côté on était moins avancé; au Sud d'Alger il n'y avait pas et il n'y a pas encore la moindre ligne de pénétration (1). La colonne formée en vue de la prise de possession du M'zab devait attendre la bonne saison pour se mettre en route; elle partit de Laghouat le 10 novembre 1882 enmenant avec elle tout un personnel militaire de maçons, carriers, plâtriers, charpentiers, etc. Le 17 novembre elle était à Ghardaïa, à la grande joie du parti laïque auquel elle apportait, par sa seule présence, l'affranchissement de cette lourde tutelle du clergé Ibadite dont l'absolutisme avait provoqué tant de sanglants conflits dans ces villes industrieuses et commerçantes.

On se mit de suite à bâtir le fort et les casernes, et à construire des routes. Ce fut une simple piste dans la

(1) La route de Laghouat, en 1885, comptait 220 kilomètres seulement faits et 229 kilomètres en lacune.

direction de Laghouat, mais elle nécessita des terrassements et recoupements à certains passages. Enfin on entailla le roc pendant une trentaine de kilomètres, à travers les escarpements et les ravins du plateau de Noumerat que traversent les deux routes de Ouargla et de Metlili. Dès 1884 toutes ces voies étaient parcourues en voiture par M. Tirman, le premier qui, en qualité de gouverneur, ait visité les ksour du Sud.

La difficulté de l'établissement de ces routes n'était pas tant de les rendre carrossables que de les doter de points d'eau permanents assez rapprochés pour permettre, en toute saison, d'aller de Laghouat au M'zab et à Ouargla sans avoir à s'embarrasser d'un lourd équipage, sans être forcé de réduire la force des détachements en raison de la pénurie des sources et puits, et sans avoir à faire faire des étapes trop longues par des chaleurs variant de 35° à 40° en été. Le problème est aujourd'hui résolu.

Un télégraphe électrique relie Ghardaïa à Alger. Ouargla attend encore le sien.

Le chemin de fer de Mecheria, l'occupation permanente de ce point, du Kheider, d'Aïn-Sefra et du M'zab devenu accessible en toute saison, constituaient un progrès énorme sur ce qui avait existé jusque-là; mais ce n'était pas suffisant.

A l'Est, les points de résistance, c'est-à-dire les villes fortes qui jalonnent la route Alger-Ghardaïa à partir de Boghar, sont beaucoup trop éloignés les uns des autres pour ne pas être bloqués par des insurgés. Ouargla est en l'air, il ne peut avoir qu'un rôle de surveillance administrative, surveillance qu'un simple mécontentement des Chamba peut toujours annihiler dans ses effets utiles. En temps de troubles, Ouargla serait un embarras grave; nous resterions assiégés dans la Casbah et privés de toute communication.

Nous ne pouvons non plus, avec nos trois garnisons de Ghardaïa, Laghouat et Géryville, avoir la prétention

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