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Après cette défaite, les Francs et les Roum se réfugièrent dans les places fortes de l'Ifrîkïa, pendant que les musulmans s'occupaient à en parcourir et dévaster le pays ouvert. Dans ces expéditions ils eurent plusieurs rencontres avec les Berbères des plaines, et leur firent éprouver des pertes considérables, tant en tués qu'en prisonniers. Au nombre de ceux-ci se trouva OuezmarIbn-Saclab', l'ancètre de la famille Khazer, et qui était alors chef des Maghraoua et des autres peuples zenatiens. Le khalife Othman-Ibn-Affan, à qui on l'envoya, reçut sa profession d'islamisme et le traita avec une grande bienveillance. Il lui accorda non-seulement la liberté, mais aussi le commandement en chef des Maghraoua.

D'autres historiens rapportent que Ouezmar se rendit auprès d'Othman en qualité d'ambassadeur.

Les musulmans prodiguèrent aux chefs berbères des honneurs tels qu'ils n'accordaient ni aux Francs, ni aux autres nations, et ayant remporté sur les Francs une suite de victoires, ils les forcèrent à implorer la paix. Ibn-Abi-Sarh consentit à évacuer le pays avec ses Arabes, moyennant un don de trois cents kintars d'or. Ayant reçu cette somme, il ramena les musulmans en Orient.

La guerre civile qui éclata ensuite au sein de l'islamisme empêcha les vrais croyants de s'occuper de l'Ifrîkïa; mais Moaouïa, fils d'Abou-Sofyan, ayant enfin rallié à sa cause la grande majorité de la nation, confia à Moaouïa-Ibn-Hodeidj3 de la tribu

consulter la notice sur Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir que M. Quatremère a publiée dans le Journal asiatique.

1 On a déjà vu, page 199, ce nom écrit Soulat. Dans l'histoire des Maghraoua, l'auteur appelle le même chef Soulat-Ibn-Ouezmar.

2 Les docteurs musulmans ue sont pas d'accord sur la valeur légale du kintar suivant les uns, c'est 1080 pièces d'or (dinar); suivant les autres, c'est plein un grand cuir d'or; d'autres l'évaluent à quarante onces d'or et quelques-uns à 4400 dinars. Ibn-Sîda dit que le kintar est de 400 rotls (livres) d'or ou d'argent, et l'on rapporte que Mahomet a dit: le kintar est de 4200 onces. (El-Macrîzi; (Poids et mesures musulmans.) — Au moindre taux, les trois-cents kintars d'or mentionnés par Ibn-Khaldoun vaudraient plus de trois millions de francs. 3 L'orthographe de ce nom est fixée par Abou-'l-Mahacen, dans son Nodjoum, an 50, et dans son El-Bahr-ez-Zakher. C'est donc à tort

de Sokoun la conduite d'une nouvelle expédition contre ce pays. Ce fut en l'an 45 (665) que ce général quitta l'Égypte pour aller à la conquête de l'Ifrîkïa. Dans l'espoir de repousser cette invasion, le roi des Roum fit partir de Constantinople une flotte chargée de troupes. Cette tentative fut inutile: son armée essuya une défaite totale dans la province maritime d'Edjem, en se mesurant avec les Arabes, et la ville de Djeloula fut assiégée et prise par les vainqueurs. Quand Ibn-Hodeidj fut de retour au Caire, Moaouïa-Ibn- Abi-Sofyan nomma Ocba, fils de Nafè, gouverneur de l'Ifrîkïa. Ce fut Ocba qui fonda la ville de Cairouan.

Les Francs, dont la discorde avait affaibli la puissance, se réfugièrent alors dans leurs places fortes, et les Berbères continuèrent à occuper les campagnes jusqu'à l'arrivée d'Abou-'l-Mohadjer, affranchi auquel le nouveau khalife, Yezid, fils de Moaouïa, venait d'accorder le gouvernement de l'Ifrîkïa.

Le droit de commander au peuple berbère appartenait alors à la tribu d'Auréba et fut exercé par Koceila, fils de Lemezm, et chef des Beranès. Koceila avait pour lieutenant Sekerdid-IbnRoumi Ibn-Marezt, l'aurébien. Chrétiens d'abord, ils s'étaient tous les deux faits musulmans lors de l'invasion arabe; mais, ensuite, sous l'administration d'Abou-'l-Mohadjer, ils renoncèrent à leur nouvelle religion et rallièrent tous les Beranès sous leurs drapeaux. Abou-'l-Mohadjer marcha contre les révoltés, et, arrivé aux sources (oïoun) de Tlemcen, il les battit complètement et fit Koceila prisonnier. Le chef berbère n'évita la mort qu'en faisant profession de l'islamisme.

Ocba, qui était revenu en Ifrikïa pour remplacer Abou-'lMohadjer, traita Koceila avec la dernière indignité, pour avoir montré de l'attachement à ce gouverneur. Il s'empara ensuite des places fortes du pays, telles que Baghaïa et Lamboesa 3, et dé

que les copistes d'Ibn-Khaldoun et d'En-Noweiri l'ont écrit Khodeidj. 1 La tribu de Sekoun ou Sokoun est une branche de celle de Kinda. (Lobb-el-Lobab d'Es-Soyonti.)

? Ailleurs ce nom est écrit Zoufi.

3 Dans le manuscrit et le texte imprimé, ce nom est écrit

(Lemis); il faut y supprimer un point et lire

(Lembès).

fit les princes berbères dans la province de Zab et à Tehert. Ayant dispersé successivement les armées qui venaient le combattre, il pénétra dans le Maghreb el-Acsa et reçut la soumission des Ghomara, tribu qui reconnaissait alors pour émir (le nommé) Yulian (le comte Julien). De là, il marcha sur Oulili, et se dirigeant ensuite vers le Deren (l'Atlas), il y attaqua les populations masmoudiennes. A la suite de plusieurs engagements, ces tribus parvinrent à cerner leur adversaire au milieu de leurs montagnes, mais les Zenata, peuple dévoué aux musulmans depuis la conversion des Maghraoua à l'islamisme, marchèrent au secours du général arabe et le dégagèrent de sa position dangereuse. Ocha châtia alors les Masmouda si rudement qu'il les contraignit à reconnaître la domination musulmane, et ayant soumis leur pays,

il

passa dans le Sous afin de combattre les Sanhadja, porteurs de voile (litham), qui y faisaient leur séjour. Ce peuple était païen, et n'avait jamais adopté la religion chrétienne. Ocba leur infligea un châtiment sévère, et s'étant avancé jusqu'à Taroudant, il mit en déroute tous les rassemblements berbères. Au delà de Sous il attaqua les Messoufa, et leur ayant fait une quantité de prisonniers, il s'en retourna sur ses pas. Pendant toutes ces expéditions il avait amené Koceila avec lui et le retenait aux arrèts. Sorti du Sous, pour rentrer en Ifrikïa, il laissa partir pour Cairouan une grande partie de son armée et ne garda auprès de lui qu'un faible détachement. La tribu de Koceila avec laquelle ce chef entretenait une correspondance suivie, fit épier toutes les démarches d'Ocba, et profitant d'une occasion favorable, elle le tua et tous les siens.

Pendant cinq années, Koceila gouverna l'Ifrîkïa et exerça une grande autorité sur les Berbères. Il s'était fixé à Cairouan et avait accordé grâce et protection à tous les Arabes qui, n'ayant pas eu le moyen d'emmener leurs enfants et leurs effets, étaient restés dans cette ville.

En l'an 67 (686-7), sous le khalifat d'Abd-el-Mélek, ZoheirIbn-Caïs1-el-Béloui arriva en Ifrîkïa pour venger la mort d'Ocba.

Les mss. et le texte imprimé portent Caïs Ibn Zoheir.

Koceila rassembla aussitôt ses Berbères et alla lui livrer bataille à Mems, dans la province de Cairouan. Des deux côtés l'on se battit avec un acharnement extrême, mais, à la fin, les Berbères prirent la fuite après avoir fait des pertes énormes. Koceila lui-même y trouva la mort. Les Arabes poursuivirent l'ennemi jusqu'à Mermadjenna, et de là, ils les chassèrent jusqu'au Molouïa. Cette bataille ayant coûté aux Berbères la fleur de leurs troupes, infanterie et cavalerie, brisa leur puissance, abaissa leur orgueil et fit disparaître à jamais l'influence des Francs. Cédant à la terreur que Zoheir et les Arabes leur inspiraient, les populations vaincues se réfugièrent dans les châteaux et les forteresses du pays.

Quelque temps après, Zoheir se jeta dans la dévotion, et ayant pris le chemin de l'Orient, il trouva la mort à Barca en combattant les infidèles. A la suite de cet événement, le feu de la révolte se propagea de nouveau par toute l'Ifrikïa, mais la désunion se mit alors parmi les Berbères, chacun de leurs cheikhs se regardant comme prince indépendant.

Parmi leurs chefs les plus puissants, on remarqua surtout la Kahena, reine du Mont-Auras, et dont le vrai nom était Dihya, fille de Tabeta, fils de Tifan. Sa famille faisait partie des Djeraoua, tribu qui fournissait des rois et des chefs à tous les Berbères descendus d'el-Abter.

Le Khalife Abd-el-Mélek fit parvenir à Hassan-Ibn-en-Nomanel-Ghassani, gouverneur de l'Égypte, l'ordre de porter la guerre en Ifrîkïa, et il lui envoya les secours nécessaires pour cette entreprise. El-Hassan se mit en marche, l'an 69 (688-9), et entra à Cairouan d'où il alla emporter d'assaut la ville de Carthage. Les Francs qui s'y trouvaient encore passèrent alors en Sicile et en Espagne. Après cette victoire, Hassan demanda qui était le prince le plus redoutable parmi les Berbères, et ayant appris que c'était la Kahena, femme qui commandait à la puissante tribu des Djeraoua, il marcha contre elle et prit position sur le bord de la rivière Miskiana. La Kahena mena ses troupes

L'orthographe de ces deux derniers noms est incertaine.

2 Le texte arabe imprimé porte par erreur Hoouara.

contre les Musulmans, et les attaquant avec un acharnement extrême, elle les força à prendre la fuite après leur avoir tué beaucoup de monde. Khaled-Ibn-Yezîd-el-Caïçi resta prisonnier entre les mains des vainqueurs. La Kahena ne perdit pas un instant à poursuivre les Arabes, et les ayant expulsés du territoire de Cabes, elle contraignit leur général à chercher refuge dans la province de Tripoli. Hassan ayant alors reçu une lettre d'Abdel-Mélek, lui ordonnant de ne pas reculer davantage, il s'arrêta et bâtit les châteaux que l'on appelle encore aujourd'hui CosourHassan (les châteaux de Hassan). La Kahena rentra dans son pays, et ayant adopté pour troisième fils son prisonnier Khaled, elle continua, pendant cinq ans à régner sur l'Ifrikïa et à gouverner les Berbères.

En l'an 74 (693-4), Hassan revint en Ifrîkïa à la tête des renforts qu'Abd-el-Mélek lui avait expédiés. A son approche, la Kahena fit détruire toutes les villes et fermes du pays; aussi, cette vaste région qui, depuis Tripoli jusqu'à Tanger, avait offert l'aspect d'un immense bocage, à l'ombre duquel s'élevait une foule de villages touchant les uns aux autres, ne montra plus que des ruines. Les Berbères virent avec un déplaisir extrême la destruction de leurs propriétés, et abandonnèrent la Kahena pour faire leur soumission à Hassan. Ce général profita d'un événement aussi heureux, et ayant réussi à semer la désunion parmi les adhérents de la Kahena, il marcha contre les Berbères qui obéissaient encore à cette femme, et les mit en pleine déroute. La Kahena elle-même fut tué dans le Mont-Auras, à un endroit que l'on appelle, jusqu'à ce jour, Bîr-el-Kahena (le puits de la Kahena). L'offre d'une amnistie générale décida les vaincus à embrasser l'islamisme, à reconnaître l'autorité du gouvernement arabe et à fournir une contingent de douze mille guerriers à Hassan. La sincérité de leur conversion fut attestée par leur conduite subséquente.

Hassan accorda au fils aîné de la Kahena le commandement en chef des Djeraoua et le gouvernement du Mont-Auras. Il faut savoir que d'après les conseils de cette femme, conseils dictés par les connaissances surnaturelles que ses démons familiers lui

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