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leurs biens, qu'ils les réduiraient en esclavage et qu'ils se laisseraient gouverner par un conseil de cheikhs aussitôt qu'ils auraient pris les villes d'El-Mehdïa et de Cairouan. Ceci se passa en l'an 331 (942-3).

:

Profitant de l'absence fortuite de [Kennoun,] gouverneur de Baghaïa, Abou-Yezid envahit la plaine qui avoisine cette ville et y saccagea plusieurs bourgades. Ce fut de cette façon qu'en l'an 332, les Berbères trempèrent encore leurs mains dans la rebellion. Une seconde expédition faite du même côté fut moins heureuse les insurgés furent mis en déroute et durent se réfugier dans la montagne avec leur chef. Bientôt après, ils repoussèrent le gouverneur qui était allé les attaquer, et l'obligèrent à s'enfermer dans sa ville. Un corps de Ketama qu'Abou-'l-Cacemel-Caïm envoya au secours de Kennoun, fit alors sa jonction avec les troupes de Baghaïa, mais Abou-Yezîd le surprit dans une attaque de nuit et le mit en fuite. Malgré cet échec, la garnison de la ville résista vigoureusement aux assiégeants.

En l'an 333 (944-5), les Beni-Ouacîn et les autres peuplades berbères de la province de Castîlïa allèrent investir la ville de Touzer, en obéissance à l'ordre écrit que leur adressa AbouYezîd. Ce chef put alors marcher sur la ville de Tebessa, qui capitula sans coup férir, et, de là, il se porta sur Meddjana dont il se rendit maître de la même manière. La ville de Mermadjenna suivit l'exemple de ses voisins. Un âne de couleur grise que le perturbateur reçut en cadeau vers cette époque, lui servit dorénavant de monture, ce qui lui procura le sobriquet de l'Homme à l'âne. Les troupes ketamiennes postées à Laribus quittèrent leur position à la nouvelle de son approche et lui abandonnèrent la ville. Par son ordre, on ôta la vie à l'imam qui y présidait à la prière, et un de ses détachements occupa Tebessa1 et en tua le gouverneur.

El-Caïm, qui se trouvait alors dans El-Mehdïa, fut consterné de ces mauvaises nouvelles et expédia des troupes à ses autres

L'auteur a probablement oublié d'ajouter pour la seconde fois.

villes et forteresses pour y tenir garnison. Son affranchi Bochra1 l'esclavon se rendit à Bédja; son général Meiçour, nommé commandant en chef de l'armée, dressa ses tentes en dehors d'ElMehdia, et Khalil-Ibn-Ishac partit pour installer une garnison dans Cairouan. Abou-Yezîd, monté sur son âne et un bâton à la main, prit alors la route de Bédja afin de livrer bataille à Bochra, et il encouragea les Nekkarites à combattre jusqu'à la mort. Bochra s'enfuit à Tunis et laissa son camp au pouvoir des insurgés. Bédja, pris d'assaut, fut livré au pillage et au massacre. Ce coup entraîna la défection de toutes les populations berbères. Les habitants de Tunis, se voyant abandonnés par Bochra, qui était allé se jeter dans Souça, firent leur soumission et obtinrent d'Abou-Yezîd un nouveau gonverneur. De là, ce chef rebelle se rendit au bord du Medjerda où il établit son camp en attendant l'arrivée des renforts qu'on lui envoyaient de tous les côtés. Pendant ce temps, les populations épouvantées coururent se réfugier dans Cairouan.

Abou-Yezîd forma alors ses troupes en plusieurs divisions qu'il lança sur les campagnes de l'Afrique, afin d'y porter la dévastation. Le nombre de captifs faits par ces colonnes et le nombre de morts qu'elles laissèrent sur leur passage furent immenses. A la suite de ces incursions, il marcha sur Raccada, ville dont la garnison ketamienne s'éloigna à son approche pour rentrer dans El-Mehdïa, et il y arriva à la tête de cent mille hommes. En partant de là, il alla investir Cairouan et, comme le gouverneur, Khalîl-Ibn-Ishac, entra en pourparlers, il le retint prisonnier et lui ôta la vie, malgré les remontrances d'Abou-Ammar. La ville fut prise et livrée au pillage, et, quand les cheikhs du corps des légistes vinrent implorer la clémence du vainqueur, il les accabla de reproches et leur ordonna de massacrer les partisans des Fatemides, s'ils voulaient obtenir la grâce qu'ils désiraient. En quittant Cairouan, il envoya une ambassade à EnNacer l'oméïade, khalife de Cordoue, pour lui offrir ses ser

1 Ou Bechri.

vices, avec l'assurance de sa fidélité, et pour lui demander des secours. Les envoyés lui rapportèrent une réponse très-favorable et ouvrirent ainsi, avec la cour andalousienne, une série de communications qui ne cessèrent plus, tant que dura cette guerre. En l'an 335 (946-7), vers la fin de sa carrière, le même chef y envoya son fils Aïoub qui, depuis lors, servit la cause d'En-Nacer.

Meiçour, ayant quitté El-Mehdïa avec un corps d'armée, se vit abandonner, pendant sa marche, par les Beni-Kemlan, tribu hoouarite. Abou-Yezid reçu les transfuges dans ses rangs et, encouragé par leurs représentations, il alla se mesurer avec le général fatemide. Pendant quelque temps, la victoire demeura incertaine, jusqu'à ce que les nekkarites et leur chef chargèrent en masse avec l'intention de vaincre ou de mourir. Les Fatemides prirent la fuite; Meiçour fut tué par les Beni-Kemlan, et sa tête fut envoyée à Cairouan d'où on la porta en Maghreb. Le camp des vaincus resta au pouvoir des insurgés. Abou-Yezid expédia aussitôt un corps de troupes contre [Souça]'. Cette ville fut prise d'assaut et un petit nombre seulement des habitants put échapper à la mort ou à des mutilations affreuses. Un massacre épouvantable remplit de cadavres toute l'Ifrikia; les villes, les hameaux furent changés en solitudes, et les malheureux que le fer n'avait pas atteints succombèrent à la faim.

Après la mort de Meiçour, Abou-Yezid commença à mépriser l'opinion publique ; il prit pour vêtement un habit de soie et pour monture un cheval fringant. Par cette conduite, il mécontenta ses partisans et s'attira les reproches des chefs kharedjites, qui lui écrivirent à ce sujet de tous les côtés.

Sur ces entrefaites, El-Caïm s'était retranché dans El-Mehdia où il avait rassemblé des troupes ketamiennes et sanhadjiennes afin de soutenir un siége. Abou-Yezid arriva enfin devant la ville et livra aux Fatemides plusieurs combats qui étaient tous à son avantage. Il s'empara [du faubourg] de Zoufla et alla se poster

1 Voy. t. I, p. 532.

dans le Mosalla même d'El-Mehdïa'. El-Caïm dit alors aux siens ces mots [si connus]: « C'est de là qu'il doit rebrousser che» min.» Le siége se traîna en longueur et permit à Abou-Yezid de rassembler sous les drapeaux les Berbères [des environs] de Cabes, de Tripoli et de Nefonça. Deux fois il combattit les assiégés [et les rejeta dans la ville], mais la troisième et la quatrième fois, ses troupes furent repoussées. Malgré ces échecs, il garda ses positions et tint la ville si étroitement bloquée que la famine s'y déclara.

Pendant ce temps, une armée ketamienne s'était rassemblée à Constantine pour aller au secours d'El-Caïm, mais elle fut dispersée par les Ourfeddjouma qu'Abou-Yezid envoya contre elle, sous la conduite de Zeggou-el-Mezati. Le prince fatemide perdit ainsi tout espoir de ce côté là. Par le départ de plusieurs détachements chargés de ravager les provinces, l'armée d'AbouYezîd fut tellement diminuée qu'il ne resta plus au camp que les Hoouara de l'Auras et les Beni-Kemlan. Ces Berbères avaient même reçu plusieurs messages d'El-Caïm et, s'étant aperçus qu'Abou-Yezid leur témoignait de la méfiance, ils passèrent, les uns dans El-Mehdïa, les autres dans leur pays. Alors, d'après le conseil de ses partisans, Abou-Yezîd prit le parti d'abandonner son camp et de se diriger vers Cairouan. Ce fut en l'an 334 (945-6) qu'il y arriva et qu'il fut assez heureux d'échapper à un complot ourdi par les habitants, qui voulaient s'emparer de sa personne. Cédant alors aux remontrances d'AbouAmmar, qui blâmait amèrement son attachement aux choses mondaines, il renonça aux habitudes de luxe qu'il avait contractées et reprit, avec la robe de laine, sa vie simple et rude d'autrefois.

La nouvelle de la délivrance d'El-Mehdïa se répandit partout et servit de signal au massacre des nekkarites. Pour venger ses

Voy. t. 1, p. 533.

2 Selon les historiens des Fatemides, le Mehdi Obeid-Allah avait déjà prédit ce fait.. Voy. t. 1, p. 525.

amis, Abou-Yezid se mit à dévaзter les campagnes et à attaquer les villes, dont il détruisit un grand nombre. D'après ses ordres, Aĭoub, son fils, était allé camper à Bédja, pour y attendre les nombreux renforts que les Berbères devaient lui fournir, quand tout-à-coup, il apprit qu'Ali-Ibn-Hamdoun-el-Andeloci, seigneur d'El-Mecîla, s'avançait à la tête d'une armée composée de Ketamiens et de Zouaona. Ces troupes avaient passé par Constantine, Laribus et Sicca-Veneria, afin d'en prendre les garnisons et de les emmener avec elles. Attaquée par Aïoub pendant la nuit, l'armée fatemide se débanda et perdit son chef qui tomba dans un précipice avec son cheval'. Le vainqueur marcha ensuite sur Tanis; mais, s'étant rencontré avec Hacen-Ibn-Ali, le général fatemide qui commandait la garnison de cette ville, il essuya une défaite. Dans un nouveau combat avec le même officier, il remporta la victoire. Hacen se réfugia dans le pays des Ketama et, après avoir levé des troupes chez ce peuple, il alla camper sous les murs de Constantine. Abou-Yezid expédia un corps de Berbères contre lui et, comme il avait alors reçu les secours que ce peuple devait lui envoyer, il se crut assez fort pour entreprendre le siége de Souça *.

Dans le mois de Choual 334 (mai-juin 946), eurent lieu la mort d'El-Caïm et l'avènement de son fils El-Mansour. Le nouveau khalife voulut se rendre en personne à Souça, ville que les insurgés foudroyaient avec leurs catapultes, mais il renonça à son intention, d'après les conseils de ses amis, et se contenta d'y envoyer des secours. La garnison ainsi renforcée, livra bataille aux assiégeants et remporta la victoire. Abou-Yezid courut à Cairouan et, ne pouvant s'y faire admettre, il s'éloigna après que les habitants lui eurent remis son ancien percepteur, Abou

Ammar.

El-Mansour quitta alors El-Mehdïa et se rendit à Souça, d'où. il marcha sur Cairouan. Ayant repris possession de cette ville.

Voy. t. н, p. 554.

• Voy. t. 1, p. 632, nole.

T.IN.

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