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et s'étant ensuite mis en relation avec Ammar-el-Ama, sofritenekkarien, il embrassa, à son grand malheur, les principes enseignés par ce vieillard. Quoi qu'il en soit, il est impossible de méconnaître la haute renommée que cet individu avait acquise parmi les Berbères.

Un autre de leurs hommes célèbres était Monder-Ibn-Saîd, grand-cadi de Cordoue et membre de la tribu de Soumata, l'une des fractions nomades de la tribu d'Oulhaça. Il naquit l'an 340(922-3) et mourut en 383 (993-4), sous le règne d'Abd-er-Rahman-en-Nacer. Il faisait partie des Botr, descendants de Madghis.

dont leur prophète avait fait partie. Les Kharedjites osèrent rejeter ce principe et prirent les armes pour soutenir leur opinion. Daus la trente-huitième année de l'here, la plupart de ces insurgés furent exterminés à Nehrouan par les troupes d'Ali, et le reste se dispersa dans les provinces de l'empire musulman et commença à y propager les doctrines pour lesquelles il avait souffert. En Arabie, en Perse, en Mésopotamie et en Afrique ces missionnaires travaillèrent avec ardeur à renverser le khalifat, qui, à leurs yeux, n'était qu'une usurpation. Dans ce dernier pays le succès de leurs efforts fut immense : la plupart des Berbères musulmans accueillirent la doctrine kharedjite. Indignés de voir un peuple étranger s'établir chez eux en maîtres, ils embrassèrent avec empressement une religion qui leur permettait l'insurrection et leur enseignait qu'en leur qualité de vrais croyants, ils avaient le droit de traiter leurs adversaires politiques comme des infidèles, ennemis de la foi. Le récit des guerres et massacres qui résultèrent de l'application de ce principe, remplissent plusieurs pages de l'histoire de la Mauritanie. Bien que ces fanatiques fussent d'accord sur les grands dogmes de l'islamisme, ils se partagèrent en plusieurs sectes dont les nuances distinctives nous sont moins connues que leur haine de l'étranger. Eibadites, disciples d'Abd-Allah-Ibn-Eibad, Sofrides, sectateurs de Zîad-Ibn-Asfer, Sofrites-nekkariens (ou recusants), Quacelia, tous travaillèrent à l'envi dans la grande tâche de renverser l'autorité des khalifes et rétablir l'indépendance de la nation berbère. Cette vaste insurrection s'éteignit vers l'époque où les Aghlebides prirent en main le gouvernement de l'Afrique. La doctrine kharedjite s'y conserva toutefois encore dans quelques tribus, et de nos jours même, on croit en reconnaitre des partisans dans les Mozabites et les habitants de l'île de Djerba.

1 Dans le texte arabe on a imprimé par erreur le mot må avec un alif, à la place d'un ain.

Parmi les hommes d'origine berbère, on remarque aussi [Abou]-Mohammed-Ibn-Abi-Zeid [Yezid], flambeau de la foi et membre de la tribu de Nefza 1.

Il y avait aussi chez eux des hommes versés dans la généalogie, l'histoire et les autres sciences, et dont l'un, Mouça-Ibn-Salehel-Ghomeri, personnage illustre de la tribu de Zenata, a laissé une grande réputation parmi les Berbères. Nous avons déjà parlé de lui dans notre notice sur les Ghomert, tribu zenatienne. Bien que nous n'ayons trouvé aucun renseignement certain sur les croyances religieuses d'Ibn-Saleh, nous pouvons, néanmoins, le regarder comme un des ornements de sa nation et une preuve que la sainteté, l'art de la divination, le savoir, la magie et les autres sciences particulières à l'espèce humaine existaient à son époque chez les Berbères.

Au nombre des récits qui ont couru parmi ce peuple est celui relatif à la sœur du célèbre chef Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifréni. Selon les Berbères, cette femme donna le jour à un fils sans avoir eu commerce avec un homme. Ils l'appellent Kelman, et ils racontent de lui plusieurs traits de bravoure tellement extraordinaires que l'on est obligé de regarder ce haut courage comme un don que Dieu lui avait fait à l'exclusion de tout autre individu. Il est vrai que la plupart des chefs, parmi eux, nient l'existence de ce phénomène ; méconnaissant ainsi la faculté que la puissance divine peut exercer afin de produire des choses surnaturelles. On raconte que cette femme devint grosse après s'être baignée dans une source d'eau chaude où les bêtes féroces avaient l'habitude d'aller boire en l'absence des hommes. Elle conçut par l'effet de la bave qu'un de ces animaux y avait laissé échapper après s'être abreuvé, et l'on nomma l'enfant Ibn-el-Aced (fils du lion) aussitôt qu'il commença à manifester son naturel courageux. Les Berbères racontent un si grand nombre d'histoires semblables que si l'on se donnait la peine de les mettre par écrit, on remplirait des volumes.

Telles furent les habitudes et le caractère des Berbères jusqu'à

1 Voy. note, page 28 de ce volume.

ce qu'ils parvinrent à fonder les dynasties et les empires dont nous allons raconter l'histoire.

COUP D'OEIL SUR L'HISTOIRE DES BERBÈRES DEPUIS LES TEMPS QUI ONT PRÉCÉDÉ LA CONQUÊTE MUSULMANE JUSQU'A L'AVÈNEMENT DE LA DYNASTIE AGHLEBIDE 1.

On sait par les ouvrages qui traitent de la conquête de l'Ifrîkïa et du Maghreb et par l'histoire des apostasies et des guerres. par lesquelles les Berbères se signalèrent ensuite, que ce peuple formait plusieurs branches et se composait de tribus sans nombre. Ibn-er-Rakik raconte que Mouça-Ibn-Noceir, après la prise de Sekîouma, écrivit en ces termes à El-Ouélid-Ibn-Abdel-Mélek : « Votre quint des prisonniers faits à Sekiouma monte « à cent mille individus »; et que ce khalife lui répondit par une lettre renfermant ces paroles : « Malheureux! j'y vois encore >> un de tes mensonges! ce lieu dont tu parles aura donc été le >> rendez-vous de toute la nation! >>

Depuis le Maghreb [el-Acsa] jusqu'à Tripoli, ou, pour mieux dire, jusqu'à Alexandrie, et depuis la Mer-Romaine (la Méditerranée) jusqu'au pays des Noirs, toute cette région a été habitée par la race berbère, et cela depuis une époque dont on ne connaît ni les événements antérieurs ni même le commencement. La religion de ce peuple, comme celle de toutes les nations étrangères de l'Orient et de l'Occident, était le paganisme. Il arriva, cependant, de temps à autre, que les Berbères professaient la

Cette esquisse fournit des renseignements précieux, mais elle est malheureusement trop concise. Il en est de même des chapitres sur les émirs arabes et les Aghlebides que notre auteur a insérés dans une autre partie de son ouvrage et dont M. Noël Des Vergers a donné une édition. L'extrait de la grande encyclopédie d'EnNoweiri qui accompagne ce volume, complète les indications d'IbnKhaldoun.

2 Voyez ci-après, page 292, note 3..- On trouve dans l'histoire du Maghreb, intitulée le Baïan, un grand nombre de passages extraits des écrits d'Ibn-er-Rakik.

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religion des vainqueurs ; car plusieurs grandes nations les avaient tenus dans la sujétion. Les rois de Yémen, au dire de leurs historiens, quittèrent leur pays plus d'une fois pour envahir l'Afriet en ces occasions, les Berbères firent leur soumission et adoptèrent les croyances de leurs nouveaux maîtres. Ibn-elKelbi rapporte que Himyer, le père des tribus yéménites, gouverna le Maghreb pendant cent ans, et que ce fut lui qui fonda les villes de ce pays, telles qu'Ifrikïa et Sicile. Les historiens s'accordent sur le fait d'une expédition entreprise contre le Maghreb par Ifricos-Ibn-Saïfi le Tobba [roi de Yémen]. Les princes des Romains, aussi, firent partir des expéditions de leurs résidences, Rome et Constantinople, pour subjuguer les habitants de ce pays. Ce furent eux qui détruisirent la ville de Carthage et qui la rebâtirent plus tard, comme nous l'avons raconté dans notre chapitre sur les Romains 2. Ils fondèrent aussi, sur le bord de la mer et dans les provinces maritimes de l'Afrique, plusieurs villes devenues ensuite célèbres et dont les édifices et les débris qui restent encore attestent la grandeur ainsi que la solidité de leur construction. Telles étaient Sbaitla (Suffetula), Djeloula (Usalitanum), Mernac 3, Outaca (Utique), Zana (Zama) et d'autres villes que les Arabes musulmans détruisirent lors de la première conquête. Pendant la domination [des Romains], les Berbères se résignèrent à professer la religion chrétienne et à se laisser diriger par leurs conquérants, auxquels, du reste, ils payaient l'impot sans difficulté.

Dans les campagnes situées en dehors de l'action des grandes villes où il y avait toujours des garnisons imposantes, les Berbères, forts par leur nombre et leurs ressources, obéissaient à des rois, des chefs, des princes et des émirs. Ils y vivaient à l'abri

↑ Il est malheureux pour la réputation d'Ibn-el-Kelbi que notre auteur ait cité de lui un pareil renseignement.

2 Ce chapitre est assez court et passablement exact; il se trouve dans la partie inédite de cet ouvrage.

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3 D'après quelques paroles du géographe Abou-Obeid-el-Bekri, on est tenté de placer cet endroit dans le voisinage de Carthage. – (Voyez Notices et Extraits, tome XII, page 490.)

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d'insultes et loin des atteintes que la vengeance et la tyrannie des Romains et des Francs auraient pu leur faire subir:

A l'époque où l'Islamisme vint étendre sa domination sur les Berbères, ils étaient en possession des priviléges qu'ils venaient d'arracher aux Romains, eux qui avaient précédemment payé l'impôt à Héraclius, roi de Constantinople. L'on sait que ce monarque recevait un tribut de soumission, non-seulement d'eux, mais d'ElMacoucos, seigneur d'Alexandrie, de Barca et de l'Egypte, ainsi que du seigueur de Tripoli, Lebda et Sabra, du souverain de la Sicile et du prince des Goths, seigneur de l'Espagne. En effet, les peuples de ces pays reconnaissaient la souveraineté des Romains, desquels ils avaient reçu la religion chrétienne. Ce furent les Francs (Latins), qui exerçaient l'autorité suprême en Isrîkïa, car les Roum (Grecs) n'y jouissaient d'aucune influence: il ne s'y trouvait de cette nation que des troupes employées au service des Francs; et si l'on rencontre le nom des Roum dans les livres qui traitent de la conquête de l'Ifrikïa, cela ne provient que de l'extension donnée à la signification du mot. Les Arabes de cette époque ne connaissaient pas les Francs, et n'ayant eu à combattre en Syrie que des Roum, ils s'étaient imaginé que cette nation dominait les autres peuples chrétiens, et que Heraclius était roi de toute la chrétienté. Sous l'influence de cette idée, ils donnèrent le nom de Roum à tous les peuples qui professaient le christianisme. En reproduisant les renseignements fournis par les Arabes, je n'y ai fait aucun changement, mais je dois néanmoins déclarer que Djoreidjîr (Grégoire), le même qui fut tué lors de la conquête, n'était pas roumi (grec) mais franc (latin) et que le peuple dont la domination avait pesé sur les Berbères de l'Ifrîkïa, et qui en occupaient les villes et les forteresses, étaient des Francs.

Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu'ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l'Auras et à laquelle appartenait la Kahena, femme qui fut tuée par les Arabes à l'époque des premières invasions. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l'Ifrîkïa; les

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