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Cet émir extirpa les maux qui avaient affligé le pays et mit un terme à la guerre civile.

Quelque temps après, les Beni-Ifren s'insurgèrent aux environs de Tlemcen, sommèrent les autres tribus de professer le kharedjisme et, en l'an 148 (765), ils proclamèrent khalife leur chef Abou-Corra. Quand El-Aghleb-Ibn-Souada, général temîmien qu'Ibn-el-Achâth envoya contre eux, pénétra dans le Zab, Abou-Corra s'enfuit dans le Maghreb-el-Acsa; mais à peine ElAghleb se fut-il retiré, que le chef ifrenide rentra dans son pays.

Entre les années 150 et 160 (767-776), les Berbères prirent les armes contre Omar-Ibn-Hafs-Ibn-Abi-Sofra, surnommé Hezarmerd, et le tinrent bloqué dans Tobna. Au nombre des assiégeants se trouva l'ifrenide Abou-Corra à la tête de quarante mille Sofrites dont une bonne partie appartenait à sa tribu. Omar, se voyant réduit presqu'à la dernière extrêmité, acheta la retraite de cet adversaire redoutable au prix de quarante mille pièces d'or pour lui et de quatre mille pour son fils, lequel avait conduit la négociation. Les autres Berbères levèrent alors le siége.

Bientôt après, une armée berbère de trois cent cinquante mille cavaliers, dont quatre-vingt-cinq mille sous les ordres d'Abou-Corra, vint bloquer Cairouan. Omar-Ibn-Hafs y mourut pendant le siége. Yezîd-Ibn-Hatem arriva enfin avec le rang de gouverneur, dispersa toute cette multitude et brisa la coalition berbère. Abou-Corra et les Beni-Ifren regagnèrent leur pays, à Tlemcen, après avoir perdu sur le champ de bataille leur allié, Abou-Hatem-el-Kindi, ehef des révoltés. Un grand nombre des Beni - Ifren pèrit dans cette expédition. Yezid - IbnHatem envahit alors le Maghreb, châtia les habitants de ce pays et les ramena à l'obéissance. Depuis lors, aucune révolte n'éclata chez les Beni-Ifren jusqu'à ce qu'Abou-Yezid eut soulevé les Beni-Ouargou et les Merendjîsa.

Certains historiens représentent Abou-Corra comme membre de la tribu de Maghîla; mais il ne m'a pas été possible de constater l'exactitude d'une assertion dont les preuves sont balancées par celles de l'opinion contraire. En effet, bien que les en

virons de Tlemcen fussent la localité qu'habitaient les Beni-Ifren, il est également certain que cette même région servait de séjour aux Maghila. Les deux tribus demeuraient l'une à côté de l'autre, mais celle des Beni-Ifren était la plus forte et la plus nombreuse. Les Maghîla professaient la doctrine sofrite; et, pour cette raison, leur réputation comme Kharedjites était mieux établie que celle des Beni-Ifren, qui, au dire d'Ibn-Hazm et d'autres historiens, furent généralement regardés comme partisans de la doctrine

orthodoxe des Sonnites.

HISTOIRE D'ABOU - YEZÎD LE KHAREDJITE, MEMBRE DE LA TRIBU DES IFREN ET SURNOMMÉ L'HOMME A L'ANE.— SA GUERRE CONTRE LES FATEMIDES.

Ce fut chez les Beni-Ouargou, tribu sœur de celle des Merendjîsa et appartenant, comme elle, à la grande famille des Ifren. que naquit Makhled-Ibn-Keidad, surnommé Abou-Yezîd. Voilà tout ce que l'on sait rélativement à la parenté qui existait entre cet homme et les Beni-Ifren. Ibn-Hazm fournit [il est vrai,] un renseignement à ce sujet : « Abou-Youçof-el-Ouerrac, dit-il, » m'a raconté qu'il tenait d'Aïoub, fils d'Abou-Yezîd, que le » nom de son père était Makhled, fils de Keidad, fils de Sâd» Allah, fils de Moghîth, fils de Kerman, fils de Makhled, fils » d'Othman, fils d'Ourîmt, fils de Djounfer, fils de Semiran, fils » d'Ifren, fils de Djana lequel est Zenata. Quelques Berbères >> m'ont communiqué d'autres noms à insérer dans cette liste, >> entre Ifren et Djana.» L'historien Ibn-er-Rakîk dit qu'AbouYezid appartenait aux Beni-Ouacîn-Ibn-Ourcîk-Ibn-Djana, tribu dont nous avons indiqué l'origine au commencement de ce volume.

Keidad, père d'Abou-Yezîd, visitait souvent le pays des Noirs (Soudan) pour y faire le commerce. Son fils naquit d'une concubine nommée Sebîka et vit le jour à Kaokao, ville située dans cette région. Ramené par son père à Guîtoun-Zenata, dans la province de Castilia, il séjourna tantôt à Touzer et tantôt à Taktous..

Tout en étudiant le Coran et les belles-lettres, il fréquentait les Nekkarïa, et. comme les doctrines de cette secte lui plaisaient, il les apprit à fond et s'y distingua par son savoir. S'étant ensuite rendu à Téhert, afin de continuer ses études sous les cheikhs nekkariens de cette ville, il eut pour maître Abou-Obeida, et cela à l'époque où le Mehdi, Obeid-Allah, se trouvait enfermé dans la prison de Sidjilmessa. Réduit à la misère par la mort de son père Keidad, il fut obligé d'accepter les dons que les habitants de Guîtoun lui offraient par charité; et, en retour, il enseigna le Coran à leurs enfants ainsi que la doctrine nekkarite.

Le bruit se répandit alors dans le public que leur maître d'école avait déclaré infidèles tous ceux qui se tournaient vers la Mecque pour prier et qu'il insultait à la mémoire d'Ali, gendre du Prophète. Pour éviter l'indignation que cette découverte allait soulever, Abou-Yezid s'en alla à Takîous et, dans les fréquentes excursions qu'il fit alors à Touzer, il essaya d'indisposer les habitants de cette ville contre leurs chefs. Accusé d'avoir émis l'opinion que la révolte contre le pouvoir temporel (soltan) était permise, il fut mis hors la loi par les magistrats de Castilia. En l'an 310 (922-3), il s'éloigna de cette contrée avec l'intention de faire le pèlerinage de la Mecque; mais, se voyant poursuivi, il quitta la province de Tripoli et revint à Takîous.

Après la mort d'Obeid-Allah, [fondateur de la dynastie fatemide,] Abou-'l-Cacem-el-Caïm[, fils et successeur de ce prince,] envoya aux habitants de Castilia l'ordre d'arrêter Abou-Yezîd. Le perturbateur s'enfuit en Orient où il accomplit le pèlerinage et, en l'an 325 (936-7), il rentra à Touzer sous un déguisement, fut dénoncé au gouverneur de la ville par Ibn-Forcan 1 et mis en prison. A cette nouvelle, son ancien précepteur, Abou-AmmarAbd-el-Hamid-el-Ama (l'aveugle), chef de la secte nekkarite, partit pour Touzer en toute hâte avec une troupe de Zenata et somma le gouverneur à relâcher son ami. Voulant gagner du temps, ce fonctionnaire leur répondit que cela se ferait aussitôt qu'ils auraient acquitté leurs impôts. Fadl et Yezîd, tous les

1 V. p. 141 de ce volume.

deux fils d'Abou-Yezid, se mirent aussitôt à la tête de ces gens, se portèrent contre la prison, tuèrent les gardes et délivrèrent leur père.

Abou-Yezid passa alors dans la ville des Beni-Ouargla et, pendant l'espace d'une année qu'il séjourna chez eux, il fit plusieurs visites aux peuples de l'Auras, aux Beni-Zendak-IbnMaghraoua et aux Beni-Berzal, tribu qui habitait les montagnes situées au Sud d'El-Mecîla. Encouragé par la promesse de leur appui, il passa dans l'Auras avec Abou-Ammar et douze autres. personnages influents et, arrivé chez les Nekkariens de Noualat, il y rassembla tous les Azzaba et une foule de Kharedjites. Alors,

1 L'un de nos manuscrits porte el-caraba (les parents); l'autre offre la leçon el-gharaba (les étrangers), mais il faut, sans doute, lire elazzaba (les hommes non mariés), c'est-à-dire les initiés, ou les affiliés à la secte kharedjite. Au sujet de cette appellation, M. Berbrugger a ea la bonté de nous communiquer la note suivante :

SUR L'EMPLOI DU MOT AZZAB, AZZABA, AZZABÏA, POUR DÉSIGNER

LES BENI-MZAB.

Cette expression est généralement connue et employée dans notre Sahara. La principale mosquée de Tougourt porte encore le nom de Djamà -el-Azzabïa. Le chef du pays, Cheikh-Abd-er-Rahman-benDjellab, m'a dit, en 1850, qu'à l'époque où les Beni-Mzab dominaient dans le Sud, leur lieu priocipal de prière à Tougourt se trouvait sur l'emplacement de la grande mosquée actuelle, d'où la désignation qui a persisté jusqu'à nos jours.

Parmi les dictons populaires qui caractérisent chacun des centres de population de l'Oued-Rir',—et qu'on attribue à un certain Bou-Mkhebeursid-el-Kornin, compagnon de Mahomet, mort et enterré à Sidi-Okba dans les Ziban, on remarque celui-ci :

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Sahab el Azzaba fi R'omra

C'est-à-dire les amis des Mozabites sont à R'omra. En effet, les habitants de cette petite oasis, située au milieu des dones, à 12 kilomètres au N. N. O. de Tougourt, passent pour avoir les opinions religieuses des gens du Mzab. Ils ne parlent pas l'arabe et n'eniploient que le dialecte berber des R'ouara, dialecte qu'on appelle zenatïa dans

le pays.

Etant à Guerara, oasis du Mzab, en février 1851, j'adressai une lettre au cheikh Baba à R'ardaïa pour l'avertir que je me proposais de visiter cette capitale, lui annonçant en même temps que j'irais attendre sa réponse à Berrian.

Ce chef religieux de l'Oued-Mzab envoya, à ce sujet, à Salah-ben

par l'entremise d'Abou- Ammar, il leur fit promettre, sous la foi du serment, qu'ils combattraient les Fatemides, qu'ils pilleraient

Bas'aïd de la Djemaa de Berrïan, une lettre où il se sert du mot Azzaba pour désigner les habitants de cette ville:

عزابة بريان

Cette dernière circonstance surtout me fit penser que ce mot Azzaba désignait plutôt la secte que la nationalité. Cependant, des gens instruits du Mzab avec qui j'ai eu occasion d'en parler m'ont donné l'étymologie suivante, dont je leur renvoie toute la reponsabilité :

Les Beni-Mzab vivaient d'abord en Syrie; ils en sortirent du temps du Prophète et devant ses armes. C'est un d'entr'eux, leur docteur, Abd-er-Rahman-benou-Meldjoum, qui a tué le calife Ali.

Ils ont habité ensuite auprès de Sebkha Saharia, cauton de Djerba, et aussi dans le Djebel-Nfoussa, à l'Ouest de Tripoli de Barbarie. Ils tiraient leur origine d'Arabes de l'Irac; et il y a encore aujourd'hui dans l'Oman des gens de leur secte; quand ils se rencontrent à la Mecque, ils ne manquent pas de fraterniser.

Une série d'aventures, qu'il serait trop long de raconter, mais dont la base est toujours quelque persécution motivée par leur hétérodoxie, les amène dans l'affreux pays appelé aujourd'hui le Mzab et qui se nommait alors Oued-Mezar, appellation dont il est resté des traces dans le Tmizert qu'on rencontre entre Bounoura et Mlika.

Arrivés dans cet endroit désolé, que personne ne devait songer à leur disputer, pensaient-ils, azebou, c'est-à-dire ils se fixèrent. De là, disentils, leur nom d'Azzaba.

Cependant, avant leur arrivée, il y avait, dans la contrée des Ouaslia qui durent se retirer devant les armes triomphantes d'Ammi-Mohammed-ou-Babakeur, chef des Beni-Mzab. Ceci est la version de ces derDiers, car une autre autorité attribue cette conquète à Ammi-Mohammed-el-Sach, une illustration de Blidt-Ameur, petite oasis à environ 26 kilomètres au S. O. de Tougourt.

M. Prax a commis une grave erreur à propos du chef de la secte des Azzaba. Il a dit (Revue orientale, déc. 4849, p. 356):

« Mohammed-el-Kairoani, dans son Histoire de l'Afrique, traduite » par MM. Pelissier et Rémusat, nous montre le chef de celte secte, » Abaïd-Allah, partant de la Mecque pour le Maghreb en 280 de l'Hé-· » gire et convertissant les Berbères qui accouraient à lui de tous côtés. » D'abord, ce n'est pas Abaïd-Ailah, mais Obéïd-Allah dont parle Kérouani; et l'Obéïd dont il raconte les aventures n'est pas le chef de la secte des Abadïa, celle que suivent les habitants du Mzab, au dire de leurs théologiens.

Alger, 22 octobre 1851.

A. BERBRUGGER.

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