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à maintenir la guerre sainte, à fonder des écoles, à élever des zaouia et des ribat, à fortifier les frontières de l'empire, à risquer leur vie pour soutenir la cause de Dieu, à dépenser leurs trésors dans les voies de la charité, à s'entretenir avec les savants, à leur assigner la place d'honneur aux jours d'audience publique, à les consulter sur les obligations de la religion, à suivre leurs conseils dans les événements politiques et dans les affaires de la justice, à étudier l'histoire des prophètes et des saints, à faire lire ces ouvrages devant eux dans leurs salons de réception, dans leurs salles d'audience et dans leurs palais, à consacrer des séances spéciales au devoir d'entendre les plaintes des opprimés, à protéger leurs sujets contre la tyrannie des agents du gouvernement, à punir les oppresseurs, à établir au siège du khalifat et du royaume, dans l'enceinte même de leurs demeures, des oratoires où l'on faisait sans cesse des invocations et des prières, et où des lecteurs stipendiés récitaient une certaine portion du Coran tous les jours, matin et soir. Ajoutons à cela, qu'ils avaient couvert les frontières musulmanes de forteresses et de garnisons, et qu'ils avaient dépensé des sommes énormes pour le bien public, ainsi qu'il est facile de le reconnaître à l'aspect des monuments qu'ils nous ont laissés.

Faut-il parler des hommes extraordinaires, des personnages accomplis qui ont paru chez le peuple berbère? alors, on peut citer des saints traditionnistes à l'âme pure et à l'esprit cultivé; des hommes qui connaissaient par cœur les doctrines que les Tabés et les imams suivants avaient transmis à leurs disciples; des devins formés par la nature pour la découverte des secrets les plus cachés. On a vu chez les Berbères des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables, qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette

1 Tous les musulmans qui avaient connu Mahomet ou servi sous ses ordres reçurent le nom de Sahaba, c'est-à-dire compagnons; ceux qui ne l'avaient pas vu mais qui avaient connu l'un ou l'autre des Compagnons furent appelés Tabé, c'est-à-dire successeurs. Une grande partie de la loi traditionnelle des musulmans a pour base les paroles et les actes de ces deux classes de docteurs.

nation, l'extrême bonté qu'il lui a toujours témoignée, la combinaison de vertus dont il l'a dotée, les nombreux genres de perfection auxquels il l'a fait atteindre et toutes les diverses qualités propres à l'espèce humaine qu'il lui a permis de réunir et de s'approprier. A ce sujet, leurs historiens rapportent des circonstances qui remplissent le lecteur d'un profond étonnement.

Au nombre de leurs savants les plus illustres on compte Sâfou, fils de Ouaçoul, ancêtre de la famille midraride dont la dynastie régna à Sidjilmessa. Il avait vu plusieurs des Tabés et étudié sous Ikrima, esclave d'Ibn-Abbas 2. Arîb-Ibn-Homeid 3 fait mention de lui dans son ouvrage historique. On peut nommer aussi Abou-Yezid-Makhled-Ibn-Keidad l'ifrénite, surnommé l'homme à l'âne, qui professa la doctrine des kharédjites et se révolta contre les Fatemides en l'an 332 . Il avait étudié à Touzer sous les cheikhs de cette ville et s'était distingué par ses connaissances comme jurisconsulte. Ayant adopté le système professé par les kharédjites-eibadites, il y devint très-habile,

4 Il faut probablement lire Sahcou ou Sahgou.

2 Abou-Abd-Allah-Ikrima, esclave et disciple d'Ibn-Abbas, cousin de Mahomet, était berbère de nation. Il acquit une telle connnaissance de la loi qu'il fut autorisé à remplir les fonctions de mufti à la Mecque. Comme traditioniste il tient un haut rang aux yeux des docteurs musulmans. Il mourut en l'an 107 (725-6). — On trouvera dans ma traduction d'Ibn-Khallikan une notice biographique d'Ikrima et un article sur Ibn-Abbas.

3 Dans un des chapitres suivants, il sera question de cet historien. 4 On trouvera l'histoire d'Abou-Yezid dans un autre volume de cet ouvrage.

La secte des Kharedjites, c'est-à-dire; sortants, qui sortent de l'obéissance, rebelles, parut pour la première fois dans l'islamisme lors de la guerre qui éclata entre le khalife Ali, gendre de Mahomet, et Moaouïa, son compétiteur pour le trône du khalifat. Plusieurs musulmans, scandalisés de cette lutte odieuse, repoussèrent les prétentions des deux parties et déclarèrent que l'imam ou chef spirituel et temporel devait être élu par le suffrage universel des musulmans et qu'on pouvait même le choisir en dehors de la tribu de Coreich. On sait que jusqu'à la conquête de l'Égypte par les Turcs et la transmission de l'imamat à la maison Othomane, les musulmans orthodoxes avaient toujours admis comme article de foi, que l'imam devait être issu du sang de la tribu

et s'étant ensuite mis en relation avec Ammar-el-Ama, sofritenekkarien, il embrassa, à son grand malheur, les principes enseignés par ce vieillard. Quoi qu'il en soit, il est impossible de méconnaître la haute renommée que cet individu avait acquise parmi les Berbères.

Un autre de leurs hommes célèbres était Monder-Ibn-Said, grand-cadi de Cordoue et membre de la tribu de Soumata, l'une des fractions nomades de la tribu d'Oulhaça. Il naquit l'an 340 (922-3) et mourut en 383 (993-4), sous le règne d'Abd-er-Rahman-en-Nacer. Il faisait partie des Botr, descendants de Madghis.

dont leur prophète avait fait partie. Les Kharedjites osèrent rejeter ce principe el prirent les armes pour soutenir leur opinion. Dans la trente-huitième année de l'hégire, la plupart de ces insurgés furent exterminés à Nehrouan par les troupes d'Ali, et le reste se dispersa dans les provinces de l'empire musulman et commença à y propager les doctrines pour lesquelles il avait souffert. En Arabie, en Perse, en Mésopotamie et en Afrique ces missionnaires travaillèrent avec ardeur à renverser le khalifat, qui, à leurs yeux, n'était qu'une usurpation. Dans ce dernier pays le succès de leurs efforts fut immense : la plupart des Berbères musulmans accueillirent la doctrine kharedjite. Indignés de voir un peuple étranger s'établir chez eux en maîtres, ils embrassèrent avec empressement une religion qui leur permettait l'insurrection et leur enseignait qu'en leur qualité de vrais croyants, ils avaient le droit de traiter leurs adversaires politiques comme des infidèles, ennemis de la foi. Le récit des guerres et massacres qui résultèrent de l'application de ce principe, remplissent plusieurs pages de l'histoire de la Mauritanie. Bien que ces fanatiques fussent d'accord sur les grands dogmes de l'islamisme, ils se partagèrent en plusieurs sectes dont les nuances distinctives nous sont moins connues que leur haine de l'étranger. Eibadites, disciples d'Abd-Allah-Ibn-Eibad, Sofrides, sectateurs de Ziad-Ibn-Asfer, Sofrites-nekkariens (ou recusants), Ouacelia, tous travaillèrent à l'envi dans la grande tâche de renverser l'autorité des khalifes et rétablir l'indépendance de la nation berbère. Cette vaste insurrection s'éteignit vers l'époque où les Aghlebides prirent en main le gouvernement de l'Afrique. La doctrine kharedjite s'y conserva toutefois encore dans quelques tribus, et de nos jours même, on croit en reconnaitre des partisans dans les Mozabites et les habitants de l'île de Djerba.

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1 Dans le texte arabe on a imprimé par erreur le mot må avec un alif, à la place d'un ain.

Parmi les hommes d'origine berbère, on remarque aussi [Abou]-Mohammed-Ibn-Abi-Zeid [Yezîd], flambeau de la foi et membre de la tribu de Nefza '.

Il y avait aussi chez eux des hommes versés dans la généalogie, l'histoire et les autres sciences, et dont l'un, Mouça-Ibn-Salehel-Ghomeri, personnage illustre de la tribu de Zenata, a laissé une grande réputation parmi les Berbères. Nous avons déjà parlé de lui dans notre notice sur les Ghomert, tribu zenatienne. Bien que nous n'ayons trouvé aucun renseignement certain sur les croyances religieuses d'Ibn-Saleh, nous pouvons, néanmoins, le regarder comme un des ornements de sa nation et une preuve que la sainteté, l'art de la divination, le savoir, la magie et les autres sciences particulières à l'espèce humaine existaient à son époque chez les Berbères.

Au nombre des récits qui ont couru parmi ce peuple est celui relatif à la sœur du célèbre chef Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifréni. Selon les Berbères, cette femme donna le jour à un fils sans avoir eu commerce avec un homme. Ils l'appellent Kelman, et ils racontent de lui plusieurs traits de bravoure tellement extraordinaires que l'on est obligé de regarder ce haut courage comme un don que Dieu lui avait fait à l'exclusion de tout autre individu. Il est vrai que la plupart des chefs, parmi eux, nient l'existence de ce phénomène; méconnaissant ainsi la faculté que la puissance divine peut exercer afin de produire des choses surnaturelles. On raconte que cette femme devint grosse après s'être baignée dans une source d'eau chaude où les bêtes féroces avaient l'habitude d'aller boire en l'absence des hommes. Elle conçut par l'effet de la bave qu'un de ces animaux y avait laissé échapper après s'être abreuvé, et l'on nomma l'enfant Ibn-el-Aced (fils du lion) aussitôt qu'il commença à manifester son naturel courageux. Les Berbères racontent un si grand nombre d'histoires semblables que si l'on se donnait la peine de les mettre par écrit, on remplirait des volumes.

Telles furent les habitudes et le caractère des Berbères jusqu'à

Voy. note, page 28 de ce volume.

ce qu'ils parvinrent à fonder les dynasties et les empires dont nous allons raconter l'histoire.

COUP D'OEIL SUR L'HISTOIRE DES BERBÈRES DEPUIS LES TEMPS QUI ONT PRÉCÉDÉ LA CONQUÊTE MUSULMANE JUSQU'A L'AVÉNEMENT DE LA DYNASTIE AGHLEBIDE 1.

On sait par les ouvrages qui traitent de la conquête de l'Ifrîkïa et du Maghreb et par l'histoire des apostasies et des guerres par lesquelles les Berbères se signalèrent ensuite, que ce peuple formait plusieurs branches et se composait de tribus sans nombre. Ibn-er-Rakik raconte que Mouça-Ibn-Noceir, après la prise de Sekîouma, écrivit en ces termes à El-Ouélîd-Ibn-Abdel-Mélek : « Votre quint des prisonniers faits à Sekîouma monte << à cent mille individus »; et que ce khalife lui répondit par une lettre renfermant ces paroles : « Malheureux! j'y vois encore » un de tes mensonges! ce lieu dont tu parles aura donc été le >> rendez-vous de toute la nation! >>

Depuis le Maghreb [el-Acsa] jusqu'à Tripoli, ou, pour mieux dire, jusqu'à Alexandrie, et depuis la Mer-Romaine (la Méditerranée) jusqu'au pays des Noirs, toute cette région a été habitée par la race berbère, et cela depuis une époque dont on ne connaît ni les événements antérieurs ni même le commencement. La religion de ce peuple, comme celle de toutes les nations étrangères de l'Orient et de l'Occident, était le paganisme. Il arriva, cependant, de temps à autre, que les Berbères professaient la

4 Cette esquisse fournit des renseignements précieux, mais elle est malheureusement trop concise. Il en est de même des chapitres sur les émirs arabes et les Aghlebides que notre auteur a insérés dans une autre partie de son ouvrage et dont M. Noël Des Vergers a donné une édition. L'extrait de la grande encyclopédie d'EnNoweiri qui accompagne ce volume, complète les indications d'IbnKhaldoun.

2 Voyez ci-après, page 292, note 3. On trouve dans l'histoire du Maghreb, intitulée le Baïan, un grand nombre de passages extraits des écrits d'Ibn-er-Rakik.

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