Images de page
PDF
ePub

ceux que la mort de Si Ahmed ben Hamza vene de placer à la tête des Cheraga.

Ces nouveaux chefs étaient fort différents des précédents: tout d'abord, ils n'étaient pas de la même race; Si Kaddour ben Hamza et Si Eddin ben Hamza, issus de lits différents, avaient en effet pour mères deux négresses: une Soudanienne et une Abyssine. Grâce à cette origine, qui leur avait fait prendre rang après leurs frères consanguins plus jeunes qu'eux, ils n'avaient pas puisé dans le sang maternel ce fanatisme sauvage qui animait les trois petits-fils de Ben Heurma. Tenus par ce seul fait un peu au second plan, ils s'étaient tout naturellement trouvés rapprochés, depuis 1864, du soff de feu Boubeker, c'est-à-dire de ce qu'on pourrait appeler le soff français. Le fils de l'agha, le jeune Si Hamza, alors âgé de cinq ans, se trouvait de fait et de droit sous leur tutelle.

Leur premier mouvement, quand ils furent à la tête de la famille, fut de chercher à dégager leur responsabllité d'actes qu'ils n'avaient ni conseillés ni dirigés, mais qu'ils avaient dù subir et auxquels, en raison de leur situation familiale, ils avaient dù aider, au moins comme guerriers. Ils commencèrent donc par se tenir à l'écart, cessant toute agression contre nos colonnes et restant dans une réserve calculée : ce n'était déjà plus des rebelles, c'était encore des insoumis. Au bout d'une année de cette existence, pendant laquelle ils n'eurent maille à partir qu'avec les Gheraba, ils nous firent (en octobre 1869) des ouvertures de soumission et engagèrent des pourparlers avec le général de Wimpfen commandant la division d'Oran.

Il eût été sage et politique de les accepter. On aurait pu alors, en partageant le Sahara entre les deux soffs des Ouled-Sidi-Chikh, et en conservant Si Sliman ben Kaddour, comme chef effectif des Gheraba, réparer la faute commise en 1849, quand nous avions rejeté dans l'insurrection Chikh ben Taïeb, le chef légitime des dits

Gheraba, par suite de notre refus de lui donner une situation égale à celle du chef des Cheraga.

On ne le fit pas, et, de même qu'en 1849, on avait sacrifié les Zoua-Gheraba aux Zoua-Cheraga, de même, en 1868, on repoussa durement les ouvertures des Zoua-Cheraga au profit unique de Si Sliman ben Kaddour, chef des Gheraba.

Les récents succès du nouvel agha de Géryville, obtenus sans dépenses pour notre budget, sans fatigue ni déplacement pour nos troupes, et aussi les quelques tentes que son influence avait réussi à ramener dans le devoir, nous avait tout à fait éblouis et trompés sur la valeur de cet étrange personnage dont le caractère énergique et les allures si franches, en apparence du moins, plaisaient à nos officiers.

Aussi, pendant que d'un côté on rejetait dans l'insoumission Si Kaddour et Si Eddin, on se laissait entraîner par les conseils de Si Sliman et, à son instigation, on organisait cette grosse colonne de l'oued Guir qui, dans la pensée du général de Wimpfen, devait rallier à nous tous les Gheraba encore hésitants, assurer le calme sur notre frontière et donner à Si Sliman une popularité et un relief dont on ne doutait pas un seul instant que tout le profit ne fût pour l'influence française.

Grâce à l'énergie de nos troupes et à l'infernal entrain de Si Sliman, l'expédition de l'Oued-Guir et d'Aïn-Chaïr fut brillante et porta, en effet, un coup terrible à la fortune de Si Kaddour ben Hamza, qui fut battu en diverses rencontres.

En juillet 1870, Si Sliman ben Kaddour passa du poste d'agha de Géryville à celui d'agha des Hamyan; établi à El-Aricha, avec ses nombreux nomades belliqueux, il semblait devoir mieux couvrir notre frontière.

Si Kaddour, en effet, sentit qu'il ne pouvait lutter et à la fin de l'année, en décembre 1870, il entama de nouveaux pourparlers.

Ces négociations, malgré les terribles évènements qui

se déroulaient en France, firent quelque bruit; elles furent connues et approuvées du Gouvernement de Bordeaux (1).

Cependant elles ne devaient pas plus aboutir que les précédentes; car, sans même parler des prétentions excessives de Si Kaddour, elles avaient contre elles: 1o l'ingérence de ce brouillon de Sliman ben Kaddour, peu soucieux d'avoir son rival comme collègue et surveillant; 2o les intrigues des chefs indigènes du Tell oranais qui, restés toujours hostiles aux Ouled-Sidi-Cheikh, tant Cheraga que Gheraba, parvinrent bientôt à nous persuader que ces négociations n'étaient que ruses de guerre.

Avaient-ils tort, avaient-ils raison? Chi lo sa?

Toujours est-il que les défiances réciproques s'accusèrent de plus en plus des deux côtés, et qu'après avoir trainé quatre mois, les pourparlers se terminaient brusquement le 17 avril 1871, par un sanglant combat à El-Magoura, chez les Ouled-En-Nhar.

Cette rupture, à laquelle il n'était probablement pas étranger, combla d'aise Si Sliman qui restait seul au pouvoir. Malheureusement, il manquait de sens politique, et il abusa de cette situation pour mettre en coupe réglée les Hamyan, ses administrés, et les Marocains, ses voisins. Ce régime d'intimidation provoqua de nombreuses défections de gens qui allèrent rejoindre Si Kaddour; mais il assura pendant tonte l'année 1871 un calme absolu dans la division d'Oran, alors qu'une formidable insurrection désolait les provinces de Constantine et d'Alger.

Cependant, les mécontents affluant de tous côtés autour de Si Kaddour, on lança sur lui les goums, commandés par Si Sliman, et soutenus par les petites colonnes d'El-Aricha, de Saïda et de Géryville; le 23 décem

(1) Trumelet, Notes pour servir à l'histoire de l'insurrection, 2o partie, chap. XVI; Revue africaine, janvier 1883.

bre, à El-Mengoub, à 40 kilomètres au sud de Benoud, ces goums écrasaient de nouveau les contingents de Si Kaddour, qui était légèrement blessé, ainsi que Si Lala; le colonel Gand arrivait sur ce point le 25 avec ses troupes et recevait la soumission de nombreuses tribus.

Le jour même du combat de Mengoub, arrivait à Oran une décision de l'amiral de Gueydon retirant à Si Sliman son commandement des Hamyan, mais lui conservant son titre, son traitement, et l'invitant à vivre en simple particulier dans la plaine de la Mleta.

Cette décision était nécessaire; les faits d'exaction, d'arbitraire et de gestion fantaisiste, relevés à la charge de Si Sliman, étaient trop nombreux et ils mettaient trop en relief l'impossibilité de son maintien comme chef régulier. Le vide s'était fait autour de lui; ses administrés étaient, ou au Maroc avec les dissidents, ou nous assiégeaient de réclamations malheureusement très fondées; il n'avait plus autour de lui que quelques zoua et le gros de ses goum était fourni par des contingents des tribus de la limite du Tell; en réalité, il ne pouvait plus opérer ses razzia qu'avec l'appui de nos colonnes.

Continuer un pareil système, entretenir les habitudes de pillage et de guerre chez nos tribus fidèles, fatiguer nos troupes pour aider à ces coups de force que rien ne provoquait et qui ne profitaient qu'à un chef indigène, ne pouvaient convenir à la politique de paix, d'apaisement, de justice et de régularité administrative que l'amiral entendait suivre en Algérie.

V

La politique d'effacement (1872 à 1881)

Si Sliman disparu de la scène politique, nous nous retrouvions exactement dans la même situation qu'en 1867 au point de vue de la défense de nos frontières du sud oranais et de la protection des hauts-plateaux; il nous restait la responsabilité et la garde de 95,000 kilomètres carrés, sur lesquels se trouvaient, à 200 kilomètres en moyenne, au sud de nos postes les plus avancés, une ligne de ksour situés d'autre part à plus de 150 kilomètres au nord des Areg. Pour défense, nous ne pouvions compter que sur nos moyens militaires et on a vu plus haut que s'ils étaient pénibles et dispendieux, ils étaient loin d'être efficaces.

En réalité, à partir de 1872, nous en sommes réduits à une politique d'effacement et d'expédients dont le résultat final a été l'insurrection de 1881.

La France avait alors ses finances obérées par suite des dépenses de l'année terrible, et la plus stricte économie s'imposait dans l'emploi de nos moyens de gouvernement en Algérie. Nous dùmes donc nous abstenir de toute action militaire n'ayant pas pour objectif la protection tangible et immédiate de nos colons. Nous commençâmes par abandonner d'une façon absolue tout le Sahara et tout le pays au sud de la ligne des ksour, et nous laissâmes les hauts-plateaux à la discrétion de nos nomades fidèles. Mais comme ce Sahara et ces hautsplateaux sont, à partir d'El-Aricha jusqu'à Igli, c'est-àdire sur 420 kilomètres, absolument ouverts par l'Ouest aux incursions de nos dissidents comme à celles des tribus indépendantes, en droit ou en fait, de l'empereur du Maroc, ce fut, en réalité, aux nomades insoumis ou ennemis que nous laissâmes le pays.

« PrécédentContinuer »