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le Maghreb, les Berbères ketamiens, soutenus par d'autres tribus, expulsèrent ce peuple de l'Ifrîkïa. A cette occasion, les Zenata firent jaillir l'étincelle qui alluma chez eux le feu de la souveraineté. L'empire qu'ils réussirent à fonder passa successivement à deux de leurs tribus, ainsi que nous l'exposerons au lecteur.

HISTOIRE DE LA KAHENA ET DE SON PEUPLE, LES DJERAOUA.
CONDUITE A L'ÉGARD DES MUSULMANS, LORS DE L'INVASION.

LEUR

Les Djeraoua, peuple berbère qui habitait l'Ifrîkïa et le Maghreb, se distinguaient par leur puissance et par le nombre de leurs guerriers. Ils montraient aux Francs établis dans les villes une soumission apparente et, pour rester en possession du pays ouvert, ils prêtaient à ceux-ci l'appui de leurs armes à chaque réquisition. Quand les musulmans se montrèrent sur la frontière de l'Ifrikïa dont ils voulaient faire la conquête, les Djeraoua marchèrent contre eux avec les troupes de Djorédjîr (Grégoire), [prince des Francs]. Dans cette rencontre, Djorédjîr perdit la vie, son armée fut mise en déroute et la puissance des Chrétiens fut brisée. Depuis ce moment, les Berbères ne se présentèrent plus en masse devant les troupes arabes; mais chacune de leurs tribus combattit dans son propre territoire, en se faisant aider par un détachement des Francs.

La guerre entre Ali et Moaouïa empêcha les vrais croyants de songer à l'Afrique; mais, après l'Année de l'union, Moaouïa donna le gouvernement de ce pays à Ocba-1bn-Nafê de la tribu de Fihr [Coreich]. Ce chef, lors de sa seconde adminis

4 L'an 44 de l'hégire (661-2 de J.-C.), quand tous les peuples de l'islamisme se trouvaient encore réunis sous l'autorité d'un seul khalife, Moaouïa, fils d'Abou-Sofyan et fondateur de la dynastie oméïade.

* Selon Ibn-Khldoun, Ocba fut nommé au gouvernement de l'Afrique en l'an 45 de l'hégire.

tration, pénétra dans le Sous et, à son retour, il fut tué en traversant le Zab. Sous le règne d'Abd-el-Mélek-Ibn-Merouan, Zoheir-Ibn-Caïs, de la tribu de Bila, marcha contre les Berbères qui s'étaient réunis sous le drapeau de Koceila, chef de la tribu des Auréba. Dans cette expédition, les musulmans essuyèrent une défaite qui les força à quitter l'lfrîkïa, après avoir perdu Cairouan. Hassan-Ibn-en-Noman, le général qu'Abd-el-Mélek y envoya ensuite à la tête d'une nouvelle armée, battit les Berbères, tua Koceila, reprit Cairouan et s'empara de Carthage. Les débris de la population franque et grecque (Roum) se réfugièrent en Sicile et en Espagne. Le commandement des Berbères qui, jusqu'alors, avait été exercé par un chef unique, se morcella entre les divers chefs de tribus.

De tous ces peuples, les Zenata étaient les plus redoutables, à cause de la multitude de leurs guerriers. Les Djeraoua, enfants de Guérao, fils d'Adîdet, fils de Djana, et une de leurs nombreuses tribus, habitaient l'Auras et reconnaissaient pour chef la Kahena (devineresse) Dihya, fille de Tabeta, fils de Nîcan, fils de Baoura, fils de Mes-Kesri, fils d'Afred, fils d'Ousila, fils de Guérao. Cette femme avait trois fils, héritiers du commandement de la tribu, et, comme elle les avait élevés sous ses yeux, elle les dirigeait à sa fantaisie et gouvernait, par leur intermédiaire, toute la tribu. Sachant, par divination, la tournure que chaque affaire importante devait prendre, elle avait fini par obtenir pour elle-même le haut commandement. « Elle gouverna >> pendant soixante-cinq ans, dit Hani-Ibn-Bekour-ed-Darîci, et »elle vécut cent vingt-sept ans.» Ce fut elle qui poussa les Berbères de Tehouda à tuer Ocba-Ibn-Nafê, pendant qu'il traversait la plaine qui s'étend au midi de l'Auras. La part qu'elle avait prise à ce coup de main n'était pas ignorée des musulmans. Après la mort de Koceila, les débris de l'armée berbère se rallièrent autour de la Kahena, dans sa forteresse du mont Auras. Les Beni-Ifren, ainsi que toutes les tribus zenatiennes et berhères-botr de l'Ifrikïa étant venus se joindre aux troupes de cette femme, elle attaqua les musulmans dans la plaine située au pied de sa montagne, les mit en déroute et les expulsa de l'Ifrikia.

T. III.

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Hassan s'arrêta à Barca pour y attendre les renforts qu'Abdel-Mélek devait lui envoyer. En l'an 74 (693-4), il culbuta les Berbères, tua la Kahena, pénétra dans l'Auras et y massacra cent mille individus. Avant la bataille, deux fils de la Kahena étaient passés du côté de Hassan, conformément aux recommandations de leur mère, laquelle avait appris de son démon familier ce qui allait arriver. Accueillis honorablement par le chef arabe, les transfuges embrassèrent franchement l'islamisme et servirent avec dévouement la cause qu'ils venaient d'adopter. Dans la suite, ils obtinrent du gouverneur de l'Ifrikïa le commandement de leur tribu, les Djeraoua, et de toutes les populations qui s'étaient jetées dans l'Auras.

Plus tard, la domination des Djeraoua fut anéantie et les restes de ce peuple allèrent s'incorporer dans les autres tribus berbères. Une de leurs fractions s'établit à Melîla, sur le bord de la mer, et s'acquit une certaine considération parmi les tribus des alentours. Ce fut chez cette peuplade qu'Ibn-Abi-'l-Aïch se réfugia, au commencement du quatrième siècle, quand MouçaIbn-Abi-'l-Afïa lui enleva le royaume de Tlemcen, Plus loin, nous parlerons de la guerre qui eut lieu entre ces deux chefs. Une fois installé chez eux, Ibn-Abi-'l-Aïch y bâtit le château qui porte son nom et qui fut démantelé plus tard. De nos jours, il reste encore quelques faibles débris des Djeraoua dans cette localité, où on les trouve mêlés avec les Itouweft et les Ghomara.

INDICATION DU PREMIER ROYAUME FONDÉ PAR LES ZENATA DANS LES TEMPS ISLAMIQUES. ILS ÉTABLISSENT LEUR AUTORITÉ EN MAGHREB ET EN IFRÎKÏA.

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La famille d'Oméïa obtint possession da khalifat vers l'époque où les Berbères de l'Ifrîkïa et du Maghreb avaient abandonné leurs habitudes d'apostasie et de révolte pour se soumettre définitivement au contrôle de l'islamisme. Assise sur le trône de l'empire, à Damas, la dynastie oméïade dompta les nations,

porta ses armes dans les régions éloignées et soumit à sa puissance toutes les contrées qui s'étendent depuis l'Inde et la Chine, en Orient, jusqu'au pays des Berbères, en Occident, et depuis Ferghana, dans le Nord, jusqu'à l'Abyssinie, dans le Midi. Les Galiciens et les [autres] Francs d'Espagne eurent aussi à subir cette domination. L'islamisme et l'empire arabe appuyèrent leur poids énorme sur tous ces peuples. Les Oméïades sortirent vainqueurs de la lutte qu'ils eurent à soutenir contre leurs rivaux, les descendants de Hachem-Ibn-Abd-el-Menaf, famille qui, à plusieurs reprises, avait essayé de faire valoir par les armes ses droits au khalifat, droits qu'elle croyait tenir des dernières volontés du Prophète. La mort et la captivité accablèrent les Hachemides au point que tous les esprits en furent indignés et que le désir de la vengeance s'enracina dans tous les cœurs.

Les disputes qui eurent lieu au sujet de la transmission du khalifat par Ali aux autres descendants de Hachem donnèrent naissance à plusieurs partis : l'un prétendait que l'autorité devait passer à la descendance d'El-Abbas; un autre soutenait les droits des enfants d'El-Hacen, et un troisième se déclarait en faveur des enfants d'El-Hocein. Les agents du parti abbacide commen-> cèrent leurs prédications en Khoraçan; les Arabes yéménites soutinrent la même cause, et il en résulta la formation d'un empire dont l'étendue embrassa tous les états du khalifat. Les Abbacides fixèrent leur séjour à Baghdad et se débarrassèrent des Oméïades par le massacre et l'emprisonnement.

Quelques membres de la famille vaincue échappèrent à la mort en fuyant leur pays, et l'un de ces proscrits, Abd-er-Rahman, fils de Moaouïa-Ibn-Hicham, atteignit l'Espagne et fonda dans ce pays une nouvelle dynastie oméïade. Toute la région au-delà du Détroit se détacha alors de l'empire abbacide et ne vit plus flotter sur ses forteresses le drapeau de cette famille.

Les Alides, descendants du gendre du Prophète, contemplèrent d'un œil jaloux la vaste puissance temporelle et spirituelle que Dieu, dans sa bonté, avait accordée aux enfants d'El-Abbas, et le Mehdi Mohammed-Ibn- Abd-Allah, surnommé En-Nefs-ez-Zekïa (l'âme pure), s'insurgea contre Abou-Djâfer-el-Mansour. On

sait qu'à la suite de plusieurs batailles, les Alides furent écrasés par les Abbacides. Idris-Ibn-Abd-Allah, frère du Mehdi, s'échappa d'un de ces conflits et chercha un asile dans le Maghrebel-Acsa. Les Auréba, les Maghîla et les Sadîna, peuples berbères, accordèrent leur protection au fugitif et, dans leur zèle pour la cause de ce prince et de ses enfants, ils parvinrent à fonder un empire et à conquérir le Maghreb central. Des émissaires îdricides réussirent à détacher du parti des Abbacides les BeniIfren, les Maghraoua et d'autres tribus zenatiennes.

La puissance de la famille d'Idris fut anéantie par les Fatemides; mais, pendant toute sa durée, les Alides de l'Orient n'avaient jamais ralenti leurs efforts pour s'emparer du khalifat. Leurs agents parcouraient les provinces les plus éloignées, et un de ces missionnaires, nommé Abou-Abd-Allah-el-Mohteceb, vint en Ifrîkïa et invita les populations à soutenir les droits du Mehdi, descendant d'Ismail l'imam, fils de Djâfer-es-Sadec. Les Berbères de la tribu de Ketema embrassèrent cette cause et, soutenus par leurs alliés sanhadjiens, ils arrachèrent l'Ifrîkïa aux Aghlebides et rejetèrent les Arabes en Orient. Ce fut ainsi que ceux-ci perdirent l'empire de l'Occident et que les Berbères secouèrent le joug dont la descendance de Moder les avait chargés.

Il est vrai que la religion musulmane s'était alors bien établie chez les Berbères, qu'une foi vive avait pénétré dans leurs cœurs et qu'ils croyaient fermement à la promesse de cet Etre, source de toute vérité, qui a dit : La terre est à Dieu; il la donne en héritage à celui d'entre ses serviteurs qu'il veut. Aussi, en renversant l'empire, ils ne perdirent pas leurs croyances et, en détruisant les monuments de la puissance arabe, ils ne portèrent aucune atteinte à l'édifice de la foi. Cela est conforme à la promesse de Dieu, promesse inviolable, par laquelle il s'engage à compléter ses desseins et à faire triompher sa religion sur toutes les autres.

Voy. t. 1, p. 509.

• Coran; sourate 7, verset 125.

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