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principaux disciples se rassemblaient pour concerter tous leurs projets; et quand ils virent, enfin, leur autorité assurée et les esprits complètement façonnés à la nouvelle doctrine, ils jetèrent le masque et placerent Abd-el-Moumen, l'exécuteur de toutes leurs décisions, à la tête de la nation. Le cheikh AbouHafs, qui avait eu la conduite de cette grave affaire, obtint alors des Hintata et des autres tribus masmoudiennes leur consentement à une nomination qui, peu de temps auparavant, les aurait vivement offensés. En annonçant au public la mort du Mehdi, on déclara qu'il avait fait choix d'Abd-el-Moumen pour lui succéder et que tous les compagnons y avaient donné leur approbation. Yahya-Ibn-Yaghmor prit alors la parole et déclara que l'imam terminait toujours sa prière par ces mots : « Dieu tout>> puissant! je t'implore, en grâce, de verser tes faveurs sur » l'excellent disciple. » Ce témoignage ayant entraîné la conviction de toute l'assemblée, on décida que le serment de fidélité serait prêté au nouveau chef dans la ville de Tînmelel.

Abd-el-Moumen prit le commandement des Almohades en l'an 524 (1130), et entreprit aussitôt une série d'expéditions lointaines. Deux années plus tard, il soumit le Derâ, après avoir remporté de grands avantages dans la province de Tedla. Ensuite, il prit d'assaut la ville de Tachâbout'. Deux contingents ghomariens, les Beni-Ounam et les Beni-Mezerda, y furent passés au fil de l'épée avec leur chef Abou-Bekr-Ibn-Mézeroual 3. Alors, les Berbères accoururent en troupes de toutes les parties du Maghreb, afin d'embrasser la cause des Almohades et se soustraire à la domination des Lemtouna.

En l'an 533 (1438-9), Tachefin, fils du souverain almoravide, Ali-Ibn-Youçof, reçut de son père l'ordre de marcher contre les insurgés. Précédé d'une avant-garde formée des contingents

Variante: Tasghimout. Cette localité nous est inconnue.

* Variantes: Ounar, Ouarenti.

3 Mez-Zeroual signifie fils de Zeroual. Notre auteur a déjà mentionné cette tribu sous le nom de Beni-ou-Zeroual. Voy. p. 134 de ce volume. En berbère, les mots ou, mis et ammis signifient fils.

guezoulites, il traversa la province de Sous et trouva les Almohades au pied de leur montagne, d'où ils étaient descendus pour lui livrer bataille. A cet aspect, les Lemtouna prirent la fuite sans coup férir, de sorte que Tachefîn dut rebrousser chemin. Les Guezoula passèrent alors du côté d'Abd-el-Moumen.

L'année suivante, Abd-el-Moumen commença la célèbre campagne de sept ans, et ne rentra à Tînmelel qu'après avoir soumis les deux Maghrebs. En quittant Tînmelel pour faire cette expédition, il conduisit ses guerriers de montagne en montagne jusqu'à ce qu'il atteignit celles des Ghomara. Pendant toute cette marche, ses troupes trouvèrent des fruits et des bois de chauffage en abondance; leur nombre même fut augmenté par une foule de déserteurs qui abandonnaient, à chaque instant, les drapeaux de Tachefin dont l'armée suivait tous les mouvements des Almohades, sans toutefois quitter la plaine. Les contribuables du Maghreb furent, enfin, tellement accablés par les maux de la guerre et par la disette, qu'ils ne purent plus acquitter leurs impôts; et les musulmans de l'Espagne, aussi malheureux que leurs frères de l'Afrique, eurent à subir les attaques sans cesse renouvelées du roi chrétien.

En 537 (1142), eut lieu la mort d'Ali-Ibn-Youçof, émir des Lemtouna et roi des Adouatein 1. Son fils et successeur Tachefîn était alors engagé dans la longue campagne dont nous venons de parler, et, précisément à cette époque, il se trouvait cerné par l'ennemi. A la suite d'une grave mésintelligence qui éclata alors entre les Lemtouna et les Messoufa, plusieurs émirs de cette dernière tribu, tels que Berraz 2-Ibn-Mohammed, Yahya-IbnTakaght et Yahya-Ibn-Ishac, surnommé Anguemar, gouverneur de Tlemcen, passèrent du côté d'Abd-el-Moumen avec les troupes sous leurs ordres.

Les Lemtouna venaient de mettre hors de loi, non-seulement

Ce mot signifie les deux rivages et s'emploie pour désigner le littoral de l'Afrique septentrionale et celui de l'Espagne. Voy. l'Index géographique du tome 1.

Variante: Berran.

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les transfuges messoufiens, mais aussi tous les autres membres de cette tribu, quand Abd-el-Moumen, poursuivant toujours sa carrière victorieuse, alla mettre le siége devant Ceuta. Cette ville fit une vigoureuse résistance, grâce à l'énergie du gouverneur, le célèbre cadi Eïad, dont la piété, le courage et le rang comme magistrat lui avaient mérité ce haut commandement. S'étant ainsi attiré la haine implacable du gouvernement [almohade], il se vit plus tard éloigné de Ceuta pour passer le reste de ses jours dans la province de Tedla et remplir auprès des tribus nomades les fonctions de cadi.

Abd-el-Moumen soumit ensuite les Ghîatha et les Botouïa dans leurs montagnes; puis, étant descendu vers le Molouïa, il réduisit les forteresses de cette région et pénétra chez les Zenata. Ses généraux, Youçof-Ibn-Ouanoudîn et Ibn-Yermor, conquirent alors les tribus mediounites et mirent en déroute une armée zenato-almoravide que Mohammed-Ibn-Yahya-Ibn-Fannou, gouverneur de Tlemcen, avait menée de cette ville à leur rencontre. A la suite de cette bataille, dans laquelle Ibn-Fannou perdit la vie, les Zenata s'en retournèrent dans leur pays. Ce fut alors que Tachefîn confia le gouvernement de Tlemcen à Abou-BekrIbn-Mezdeli.

Vers la même époque, Abd-el-Moumen reçut, dans le Rif, la visite d'Abou-Bekr-Ibn-Makhoukh et de Youçof-Ibn-Yedder, émirs des Beni-Quemannou, et mit à leur disposition la colonne almohade que commandaient Ibn-Yaghmor et Ibn-Ouanoudîn. Les Beni-Abd-el-Ouad et les Beni -lloumi perdirent beaucoup de monde dans un conflit avec ce corps qui portait le ravage dans leur pays, mais, ayant ensuite obtenu un renfort de troupes lemtouniennes, auxquelles s'était joint Ez-Zoborteir, commandant de la milice chrétienne, ils allèrent occuper une forte position à Mindas. Ayant alors rallié les autres Zenata et Beni-Iloumi, ainsi que les Beni-Abd-el-Ouad commandés par Hammama-IbnMotahher, les Beni-Ingacen, les Beni-Ourcîfan et les Beni-Toud

1 Ce nom s'écrit ordinairement Yaghmor, avec un ghain à la place du ra.

jîn, ils attaquèrent encore les Beni-Ouémannou, leur enlevèrent le butin qu'ils avaient fait et tuèrent Abou-Bekr-Ibn-Makhoukh et six cents de ses guerriers. Ibn-Ouanoudin alla se retrancher, avec les Almohades, dans les montagnes de Cîrat, pendant que son fils, Tachefin, se rendit auprès d'Abd-el-Moumen pour lui demander des renforts. Ce monarque partit sur le champ, ramenant Tachefin avec lui, passa auprès de Tlemcen, prit la route de Cîrat et défit les Lemtouna et les Zenata au lieu où ils avaient dressé leur camp. Revenu à Tlemcen, il alla prendre position à Es-Sakhratein, pendant que [le souverain almohade] Tachefin[-Ibn-Ali] venait se poster à Stafcef. Celui-ci reçut alors un renfort de troupes sanhadjiennes que Yahya-Ibn-el-Azîz, seigneur de Bougie, lui avait expédié sous la conduite du géné– ral Taher-Ibn-Kebab. L'envoi de ce détachement fut motivé par l'amitié que les Sanhadja portaient aux Lemtouna à cause de leur commune origine.

Le jour même de son arrivée, Taher examina la position de l'armée almohade, et, comme il aimait à faire parade de courage et de bravoure, il témoigna hautement son mépris pour les Lemtouna et leur chef, parce qu'ils n'osaient pas hasarder une bataille. « Je suis venu ici, s'écria-t-il, pour vous livrer prisonnier cet » Abd-el-Moumen qui est maintenant votre maître; et cette >> besogne terminée, je m'en retourne chez nous. >> Par ces paroles, il piqua Tachefin au vif et se fit donner la permission d'attaquer les Almohades. Pendant qu'il s'élançait en avant à la tête de ses troupes, ceux-ci montèrent à cheval et vinrent à sa rencontre. Depuis ce moment, on ne revit plus les Sanhadja et leur chef'.

Ez-Zoborteir, commandant de la milice chrétienne, qui avait reçu de Tachefîn, quelque temps auparavant, l'ordre de se mettre en campagne avec un fort détachement, venait d'enlever un butin considérable aux Beni-Senous et aux peuplades zenatiennes de la plaine des Senous, quand il fut attaqué et tué, avec

↑ Une partie de ce corps fut taillée en pièces et le reste reprit le chemin de Bougie.

T. II.

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tous les siens, par un corps almohade faisant partie de l'armée d'Abd-el-Moumen. Son cadavre fut mis en croix.

Un autre détachement que Tachefin expédia vers le pays des Beni-Ouémannou fut défait par un corps almohade sous les ordres de Tachefin-Ibn-Makhoukh. Les vainqueurs se mirent ensuite à la poursuite des troupes sanhadjiennes qui opéraient leur retraite sur Bougie, et leur firent éprouver des pertes

énormes.

Découragé par tant de revers, Tachefin-Ibn-Ali se décida à gagner Oran, et, en l'an 539 (1144-5), il partit pour cette ville, après avoir renvoyé à Maroc son fils et successeur désigné, l'émir Ibrahim. Ce jeune prince se mit en route avec une escorte de troupes lemtouniennes et accompagné par Ahmed-IbnAtïa, secrétaire d'état. Parvenu à Oran, Tachefîn y attendit, pendant un mois, l'arrivée de son amiral, Mohammed-Ibn-Meimoun, qui lui amena, enfin, d'Almeria, une flotte de dix navires et vint mouiller à peu de distance du camp.

Abd-el-Moumen s'éloigna alors de Tlemcen. Son avant-garde, composée de Beni - Ouémannou et commandée par le cheikh Abou-Hafs-Omar-Ibn-Yahya, envahit les territoires des Benilloumi, des Beni-Abd-el-Ouad, des Beni-Ourcîfen et des BeniToudjîn, et ne cessa de combattre ces peuples jusqu'à ce qu'ils eurent embrassé la cause des Almohades. Abd-el-Moumen accueillit avec bonté les chefs de ces tribus et surtout Séïd-en-Nas, fils d'Amir-en-Nas et cheikh des Beni-Iloumi. Rassemblant alors tous les corps de son armée, il marcha sur Oran et réussit à surprendre les Almoravides dans leur camp.

Tachefin, voyant la déroute de ses troupes, s'enferma dans un rabta (couvent fortifié ou redoute) qui se trouvait près de là, et il y fut cerné par les Almohades qui allumèrent plusieurs feux à l'entour de l'édifice. Quand la nuit fut venue, il monta à cheval et sortit du fort, mais, étant tombé dans un des précipices dont la montagne est sillonnée, il y perdit la vie. Cet événement eut lieu le 27 de Ramadan, 539 (mars 1145)1. Sa tête fut envoyée à

Ci-devant, p. 85, notre auteur place la chute d'Oran en l'an 541.

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