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Fez, il déploya tant d'ardeur dans la répression des scandales et des abus, que les gens du peuple s'émeutèrent contre lui et lui donnèrent des coups de bâton.

En quittant cette ville, il se rendit à Maroc et recommença son rôle de réformateur. Il alla même en voir le souverain, Ali-IbnYouçof, qui assistait, dans la mosquée, à la prière du vendredi, et lui adressa une vigoureuse remontrance. Un autre jour, il rencontra Soura, sœur de ce prince, qui allait en public la figure découverte, ainsi que faisaient toutes les femmes almoravides, et, choqué de ce spectacle, il lui fit une vive réprimande'. Elle rentra aussitôt chez son frère, les larmes aux yeux, et lui raconta l'insulte qu'elle venait de subir. Ali, connaissant déjà, par la renommée, les opinions d'Ibn-Toumert, les soumit à l'examen de ses jurisconsultes. Ce docteur, partisan dévoué de la secte acharite, et toujours porté à donner une interprétation allégorique aux passages obscurs du Coran, reprochait à ses adversaires leur obstination à suivre le système des premiers musulmans, lesquels avaient pris ces passages dans leur sens littéral. Il pensait que le commun des hommes, en les récitant, devait se figurer Dieu avec une forme corporelle et qu'il méritait, pour cette raison, d'être regardé comme infidèle. En cela, il suivait l'une des deux maximes [différentes] énoncées par les Achârites, savoir qu'il faut regarder comme infidèle quiconque professe une opinion ayant une tendance vers une fausse doctrine. Il en résulta que les docteurs maghrebins, poussés par la haine et la jalousie, conseillèrent au souverain l'emploi de mesures sévères. Amené devant Ali-Ibn-Youçof et obligé de soutenir une discussion avec ces légistes, il ne quitta l'assemblée qu'après les avoir réduits au silence. Averti, en sortant de

1 Il ordonna à Soura et aux dames qui l'accompagnaient de se voiler la figure; ensuite, lui et ses compagnons se mirent à frapper la monture de la princesse au point que l'animal la jeta par terre. - (Ibn-elAthir.)

Dans le Cartas, p. 112 du texte arabe, on trouve quelques détails de cette conférence. La première question qu'Ibn-Toumert proposa à ses adversaires fut celle-ci : Les voies de la science sont-elles en nom

la salle d'audience, que ses adversaires ne manqueraient pas de s'en venger, il se rendit à Aghmat le même jour et recommença, dans cette ville, sa tâche de réformateur. Bientôt il dut s'en éloigner avec ses disciples, à cause des mauvaises dispositions des habitants, qui venaient d'expédier à Ali- Ibn-Youçof une lettre dans laquelle ils le priaient de les délivrer d'un homme aussi turbulent. Ismaïl-Ibn-Aiguig, un des partisans de la nouvelle doctrine, fit venir deux cents guerriers de sa tribu au secours de son maître et le conduisit à Mesfioua, dans les montagnes des Masmouda.

Ibn-Toumert passa ensuite chez les Hintata où il fut très bien reçu par un de leurs cheikhs appelé Omar, fils de Yahya-IbnMohammed-Ibn-Quanoudîn-Ibn-Ali, et généralement connu par le nom d'Abou-Hafs-Omar. Les Hintata désignaient la famille de ce chef par appellation des Beni-Fazkat, et leurs généalogistes disent que Fazkat était le grand-père de Ouanoudîn. Ils ajoutent que l'on désignait Omar par le surnom d'Inti, parce que les Hintata s'appellent ainsi dans leur langue. Au reste, nous exposerons sa généalogie en traitant de la dynastie hafside.

L'imam, ayant quitté les Hintata, se dirigea vers Aîguîlîn, dans le pays des Hergba, et s'arrêta au milieu de sa tribu. Il y arriva l'an 545 (1121-2). Ayant alors bâti un rabta pour s'y livrer à la dévotion, il attira auprès de lui une foule d'étudiants et de gens de différentes tribus, auxquels il enseigna son Morchida et son Tauhid, rédigés en langue berbère. Le nombre de

bre limité ou non? Il expliqua ensuite, à leur grand ébahissement, que les principes du vrai et du faux sont quatre : le savoir, l'ignorance, le doute et la supposition.

1 Ce chef fut l'afeul des Hafsides. Chez les Almohades, il portait le titre du Cheikh.

Les petites chapelles renfermant des cellules pour le logement des hommes dévots et des étudiants s'appellent zaouïa, ribat et rabta. Voy. t. 1, p. 83, notes 4 et 2.

3 Un très-ancien manuscrit des traités théologiques composés par Ibn-Toumert se trouve dans la Bibliothèque impériale. Il est écrit en arabe et on y reconnaît la plume d'un homme profondément versé

ses partisans s'accrut tellement que Malek-Ibn-Woheib1, président du corps des savants qui assistaient aux réunions de l'émir Ali-Ibn-Youçof, recommença ses dénonciations. Jouissant d'une certaine réputation comme augure et astrologue, il ne manqua pas d'indisposer son patron contre le Mehdi, et, comme les devins avaient prédit qu'un roi de race berbère devait né→ cessairement paraître en Maghreb et changer la forme de la monnaie aussitôt qu'il y aurait une conjonction des deux planètes supérieures, ce prince s'attendait déjà à quelques malheurs. « Protège l'empire contre cet aventurier, lui disait Ibn-Woheib; » c'est assurément l'homme de la conjonction et du dirhem carré; >> celui dont il est question dans ces méchants vers en patois » qui courent maintenant de bouche en bouche:

» Mets-lui les fers aux pieds; ou bien, un jour,
» Il te fera entendre un tambour!

» J'ai la conviction que c'est lui qui est l'homme an dirhem » carré2. »>

Frappé de ces paroles, Ali-Ibn-Youçof envoya plusieurs cavaliers à la recherche du Mehdi, qui échappa cependant à leur poursuite. Abou-Bekr-Ibn-Mohammed-el-Lemtouni, gouverneur de la province de Sous, gagna alors quelques individus de la tribu des Hergha et les chargea d'assassiner leur compatriote; mais les amis de celui-ci, ayant eu connaissance du complot, le transportèrent sur une montagne où ils avaient l'habitude de se réfugier et ôtèrent la vie aux traîtres.

dans la théologie dogmatique et dans la scolastique. Il est à regreller que nous n'ayons pas la traduction berbère de cet écrit; El-Marrekchi nous assure, dans son Histoire des Almohades, que le fondateur de cette secte s'exprimait en langue berbère avec une élégance extraordinaire.

A Voy. sur Abou-Abd-Allah-Ibn-Woheib, natif d'Espagne et vizir d'Ali-Ibn-Youçof, le t. n de ma traduction des Vies des Hommes illustres, d'Ibn-Khallikan, p. 265, et les auteurs qui y sont cités

• Les monnaies almohades, tant celles de la dynastie d'Abd-el-Moumen que celles des Hafsides, portent sur chaque face deux inscriptions dont l'une remplit un carré au centre de la pièce.

La même année, c'est-à-dire en 515, Ibn-Toumert somma les populations masmoudiennes à prendre l'engagement de soutenir la doctrine de l'unité divine, de le protéger lui-même1 et de combattre avec les armes tous ceux qui donnent à Dieu une forme corporelle. Les personnages les plus marquants de toutes ces tribus, accompagnés des dix principaux disciples du Mehdi et de plusieurs autres, vinrent lui prêter le serment demandé. Parmi eux se trouvèrent Abou-Hafs-Omar-Ibn-Yahya [aïeul des Hafsides], Abou-Yahya-Ibn-Iguît, Youçof-Ibn-Ouanoudin et IbnYaghmor, membres, tous les quatre, de la tribu des Hintata. Avec eux se présentèrent aussi Abou-Hafs-Omar-Ibn-Ali-Asnag, (le sanhadjien) Mohammed-Ibn-Soleiman, Omar-Ibn-Tafraguîn et Abd-Allah-Ibn-Melouyat, tous membres de la tribu des Tînmelel. La tribu des Hergha en entier se rallia à la cause de l'imam et entraîna, par son exemple, l'adhésion des Guedmioua et des Guenfiça.

Quand tous ces chefs lui eurent prêté le serment de fidélité, il changea son titre d'imam en celui de Mehdi, et donna alors le titre de Tolba (étudiants) à ses compagnons et celui d'ElMowahhedin (Almohades, unitaires) à ses partisans. Quand il eut

* Ses émissaires commencèrent par préparer les esprits pour l'arrivée du Mehdi, de celui qui devait remplir toute la terre de sa justice. Its citèrent les traditions dans lesquelles il est question de lui, et, quand ils virent le peuple parfaitement convaincu de l'excellence de ce saint personnage et disposé à le bien accueillir, ils laissèrent faire le reste à IbnToumert. Dans une allocution aux Berbères, celui-ci fit remonter son origine à Mahomet et finit par déclarer qu'il était lui-même le Mehdi impeccable. (El-Marrekchi.)

Les historiens nous fournissent des listes, plus ou moins complètes, des dix principaux disciples. Nous avons sous les yeux cinq de ces listes, mais il n'y en a pas deux qui soient d'accord.

› Dans le manuscrit d'El-Marrekchi, ce nom est écrit Yigguit.

Le mot mehdi est le participe passé de la première forme du verbe heda (diriger). — Voy., sur le personnage que les musulmans désignent par ce nom, l'Introduction du t. 1, p. xxvп, et l'Appendice n° 1 de ce volume.

gagné cinquante compagnons, il en forma une classe à part qu'il nomma Aït-Khamcîn (la bande des cinquante)1.

Abou-Bekr-Ibn-Mohammed-el-Lemtouni, gouverneur de Sous, se mit en marche pour attaquer les novateurs dans le pays des Hergha; mais la tribu ainsi menacée fit un appel à ses sœurs, les Hintata et les Tînmelel, et, avec leur secours, elle mit en déroute l'armée almoravide. Cette victoire, que le Mehdi leur avait prédite, fut le commencement des succès qui marquèrent la carrière des Almohades; elle attira sur eux l'attention des autres tribus et les porta à reconnaître l'autorité de l'imam. Les troupes lemtouno-almoravides marchèrent encore contre eux à plusieurs reprises; mais, dans chacune de ces tentatives, elles essuyèrent une nouvelle défaite.

2

Trois années après la prestation du serment par les peuples masmoudiens, Ibn-Toumert se transporta dans la montagne des Tînmelel et fixa son séjour au milieu d'eux. Il y bâtit, à la source de la rivière Nefis, une maison pour y passer le reste de ses jours et une mosquée dans laquelle il devait présider à la prière. Ayant résolu de porter la guerre chez les tribus masmoudiennes qui tardaient à reconnaître son autorité, il commença par les Hezerdja, les battit en plusieurs rencontres et les réduisit à l'obéissance. Ensuite il attaqua et soumit les Heskoura commandés par Abou-Derca-el-Lemtouni, et ayant été poursuivi par les Beni-Ouazguît, pendant qu'il se retirait, il les chargea à la tête de ses Almohades et leur fit éprouver de grandes pertes tant en tués qu'en prisonniers.

Notre auteur n'a pas osé raconter la conduite d'Ibn-Toumert pendant les premiers temps de son séjour chez les Masmouda : ses lecteurs auraient vu que le fondateur de la secte almohade n'était qu'un fourbe et un scélérat. Ihn-el-Athîr n'avait pas les mêmes motifs pour se taire, et, dans ses Annales, il nous fournit assez de renseignements à ce sujet; renseignements dont Ibn-Khaldoun a eu connaissance et auxquels il fait quelques fois allusion. Nous reproduirons quelques extrails d'Ibn-el-Athir dans l'Appendice n° v de ce volume. Dans le Cartas, on trouve quelques détails semblables.

2 Tinmelel signifie la blanche. Ce nom convient parfaitement à une montagne dont la cîme est toujours couverte de neige,

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