Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

Maghreb, sur les confins du pays des Ghomara. Youçof y mit le siége en l'an 471 (1078-9) 1 et somma Soggout de lui prêter son appui. Le premier sentiment du chambellan le portait à obéir, mais il s'en laissa détourner par les conseils de son fils El-Caïler-Baï. Youçof écrasa ses adversaires à Ed-Demna, acheva la conquête du Maghreb par la prise d'Aloudan, forteresse du pays des Ghomara qu'il ne pouvait pas laisser derrière lui, et envoya contre Soggout un corps d'armée sous les ordres de Saleh-IbnAmran, général lemtounien. Déjà les sujets de Soggout se félicitaient de l'approche des Almoravides et s'apprêtaient à courir audevant d'eux, quand ce chef s'écria: « Je jure que Saleh ne >> fera jamais entendre à aucun de mes sujets le roulement d'un >> tambour almoravide! » S'étant alors rendu à Tanger où son fils Dia-ed-Dola-el-Ezz commandait en son nom, il mit une armée sur pied et marcha contre l'ennemi. Il s'ensuivit, aux environs de Tanger, une bataille acharnée dont le résultat fut la mort de Soggout qui [âgé alors de 86 ans 3] se jeta au-devant des lances almoravides, en voyant écraser ses partisans sous la meule de la guerre. Les Almoravides s'emparèrent de Tanger, et Dïå-ed-Dola chercha un refuge dans Ceuta.

Comme le roi chrétien s'acharnait alors sur les provinces de l'Espagne musulmane, Ibn-Abbad [roi de Séville] fit inviter l'Emir des Musulmans, Youçof-Ibn-Tachefin, à remplir ses promesses en secourant les vrais croyants contre les infidèles. Touché par cet appel et par les pétitions que lui adressèrent toutes les populations [musulmanes] de l'Espagne, Youçof fit avec un grand empressement ses préparatifs de guerre. En l'an 476 (1083), il plaça un corps de troupes almoravides sous les ordres de son fils El-Moëzz et l'envoya contre Ceuta dont le port était déjà bloqué par la flotte d'Ibn-Abbad. La ville fut emportée d'assaut et Dïâ-ed-Dola tomba entre les mains des vainqueurs.

1 Cette date est fausse : Ed-Demma fut pris en 465 et Tanger en 470. Voy. le Cartas, pages 91 et 92 du texte arabe.

⚫ Ce titre signifie le prince prévoyant ou bien le diseur d'avis. Voy. le Cartas, page 92.

Conduit devant El-Moëzz et sommé de livrer ses trésors, il répondit avec tant d'insolence que ce prince le tua sur-le-champ. Ou découvrit, par hasard, le lieu où il avait déposé ses richesses, et l'on trouva dans ce dépôt le cachet de Yahya, fils d'Ali-IbnHammoud. El-Moëzz écrivit alors à son père pour lui annoncer la victoire des Almoravides.

Ainsi succomba la dynastie des Hammoudites et, avec elle, disparurent les derniers vestiges de leur domination dans le pays des Ghomara. Depuis ce moment, le gouvernement almoravide trouva dans les Ghomara des sujets obéissants.

En l'an 537 (1142-3), la puissance des Almohades était devenue formidable, et Abd-el-Moumen, le successeur du Mehdi, faisait, dans le territoire du Maghreb, la grande expédition qui devait se terminer par la prise de Maroc. Dans notre histoire de la dynastie fondée par ce prince, nous aurons l'occasion de parler du grand événement auquel nous faisons allusion. Les Ghomara embrassèrent alors la doctrine almohade et réunirent leurs forces à celles d'Abd-el-Moumen pour faire le siége de Ceuta. Les habitants de cette ville se defendirent vigoureusement sous les yeux de leur chef et cadi, le célèbre Eïad, dont la piété, le savoir, la noble fierté et le rang éminent avaient mérité tout leur respect. Malgré leur résistance, la place succomba en l'an 544 (1146-7), quelque temps après la chute de Maroc. L'empressement des Ghomara à se rallier aux Almohades leur valut la faveur constante de cette dynastie.

La puissance de la famille d'Abd-el-Moumen s'affaiblit à la fin; de nombreux soulèvements eurent lieu sur les frontières de l'empire, et en l'an 625 (1228), Abou-t-Touadjen-Mohammed

1 Ce célébre cadi laissa plusieurs ouvrages. Ils traitent principalement des habitudes et des paroles de Mahomet et ils jouissent encore d'une haute estime parmi les musulmans Eïad naquit à Ceuta en l'an 476 (1083), et mourut à Maroc en 544 (1149). Dans le second volume de la traduction d'Ibn-Khalikan, sous le mot Iyad, on trouvera une notice de ce docteur.

Il fallait dire avant la chute de Maroc. Tanger fut pris en Rebia second et Maroc en Choual, six mois plus tard.

Ibn-Mohammed-el-Ketami souleva le pays des Ghomara. Le père de cet aventurier était natif du Casr-Ketama; il y avait mené une vie retirée, s'occupant principalement de la magie naturelle, science qu'il enseigna à son fils. Celui-ci se rendit à Ceuta, et s'étant établi chez les Beni -Saîd, il professa l'alchimie et trouva beaucoup de disciples parmi les gens du peuple. Alors il se donna pour prophète, publia une nouvelle loi religieuse, et séduisit une foule de gens par ses prestiges et tours d'adresse. Malgré toute son habileté, il laissa enfin découvrir sa fourberie, et, se voyant abandonné par ses partisans, il prit la fuite devant la garnison de Ceuta qui était sortie pour le combattre, et mourut assassiné par quelques Berbères.

Vers l'an 640 (1242-3), les Mérinides avaient subjugué les campagnes et les villes du Maghreb; en 668 (1269), ils s'emparèrent de Maroc, capitale de l'empire almohade, mais ils ne purent amener les Ghomara à faire leur soumission. Ce peuple se tint à l'écart pour éviter leur domination, et, toujours prêt à courir aux armes, il encouragea les habitants de Ceuta par son exemple et les décida à repousser les prétentions de la nouvelle dynastie. Le gouvernement de cette ville passa alors entre les mains d'une junte, et, quelque temps après, le légiste Abou-'lCacem-el-Azéfi, un des principaux cheikhs de la localité, s'empara du commandement. Nous raconterons ailleurs les détails. de cette affaire.

Les tribus et les chefs ghomarides se laissèrent enfin entraîner dans une guerre civile par leurs querelles intestines. L'un des partis fit alors sa soumission au sultan mérinide, et l'autre se résigna, bon gré mal gré, à suivre cet exemple. Les Mérinides, devenus maîtres chez ce peuple, lui donnèrent des gouverneurs de leur choix, et ayant alors dirigé leurs efforts contre Ceuta, ville située derrière le territoire des Ghomara, ils l'enlevèrent à la famille Azefi en l'an 729 (1328-9).

De nos jours, les Ghomara sont redevenus puissants et nombreux; ils obéissent, cependant encore, au gouvernement mérinide et lui paient l'impôt tant qu'il a les moyens de se faire respecter; mais, dans les moments où il montre de la faiblesse

ou qu'il est occupé à comprimer des révoltes ailleurs, leur dévouement s'affaiblit, et il est obligé d'expédier des troupes de la capitale pour les faire rentrer dans l'obéissance. Protégés par des montagnes presqu'inabordables, ils ne craignent pas d'offrir asile aux princes de la famille royale [qui cherchent à s'emparer du trône] et à tous les révoltés qui demandent leur protection. Une de leurs tribus, surtout, les Beni-Iguem, se distingue par son esprit d'indépendance; occupant la montagne la plus escarpée de cette région, elle méprise les efforts de tous ses ennemis. Cette montagne est située à l'ouest de Ceuta; elle s'élève jusqu'aux nuages et ne peut être abordée que par certains défilés où la violence des vents suffit pour arrêter le voyageur. Les habitants obéissent à un chef pris dans une de leurs familles. appelée les Beni-Youçof-Ibn-Omar. Cette riche et puissante tribu y a construit des grandes maisons et formé de belles plantations". Le sultan leur accorde une donation annuelle prise sur les produits de la douane de Ceuta; il leur a aussi concédé plusieurs fermes et terres labourables dans la plaine de Tanger. De cette manière, il croit s'être assuré leur amitié et s'être ménagé des alliés avec lesquels il pourra comprimer l'esprit d'insubordination qui se manifeste assez souvent dans le pays des Ghomara.

HISTOIRE DES TRIBUS MASMOUDIENNES QUI HABITENT LES MONTAGNES

DU DEREN [L'ATLAS] DANS LE MAGHReb-el-acsa.

Parmi les plus grandes montagnes de l'univers, il faut compter celles du Deren, situées à l'extrémité [occidentale] du Maghreb. Enracinées dans les profondeurs de la terre, elles portent leurs cimes jusqu'au ciel et remplissent l'espace de leur masse énorme. Elles forment une barrière continue autour du littoral maghrebin, et, partant de l'Océan atlantique, près d'Asfi, elles se prolongent indéfiniment vers l'Orient. Quelques-uns disent, cependant, qu'elles s'arrêtent au midi de Bernic (Berenice), dans le

1 Je lis ghorous, avec un bon manuscrit, à la place d'orous.

en

pays de Barca. Dans la latitude de Maroc, elles paraissent entassées les unes sur les autres, formant ainsi des gradins successifs, depuis le Désert jusqu'au Tell. Le voyageur qui veut les traverser, afin de se rendre dans le Sous ou dans le Derà, partant de Temsna ou des contrées maritimes de Maroc, doit y mettre plus de huit jours, et se diriger vers le sud. Dans ces montagnes jaillissent de nombreuses sources; des arbrisseaux couvrent le sol d'un voile épais; de nombreuses forêts répandent leur ombre sur les vallons; des terrains étendus y offrent de grandes ressources à l'agriculture et à la multiplication des troupeaux, et des vastes pâturages y nourissent une foule d'animaux domestiques et de bêtes fauves. Dans ces régions fortunées, la végétation déploie une vigueur extraordinaire, et la nature y prodigue le tribut de ses dons. Ces lieux sont habités par des peuplades masmoudiennes dont Dieu seul connaît le nombre. Elles y ont élevé des forteresses et des châteaux, des grands édifices et des citadelles, et elles préfèrent leurs pays à toutes les contrées du monde. Des divers côtés, les marchands se rendent au milieu de ces tribus; les habitants des villes et des campagnes y font aussi de fréquentes visites.

Depuis une époque bien antérieure à l'islamisme, les Masmouda ont occupé le Deren, non pas quelques endroits seulement, mais bien des régions étendues. Ils y ont formé des royaumes et des états, et se sont partagés en grandes familles et en tribus, dont chacune est distinguée par un nom particulier. Leurs établissements dans ces montagnes commencent au Thenïat-el-Måden (défilé de la mine), endroit qui s'appelle aussi BeniFazaz et qui touche à la limite du pays habité par la tribu de Sanaga; ils entourent cette localité du côté du sud et leur territoire se prolonge ensuite jusqu'au Sous.

Parmi le grand nombre de tribus masmoudiennes qui occupent cette chaîne, on remarque les Hergha, les Hintata, les Tînmélel, les Guedmioua, les Guenfiça, les Ourîka, les Regraga, les Hezmîra, les Dokkala, les Haha, les Assaden, les Beni-Ouazguît, les Beni-Maguer et les Aîlana, appelés aussi Heilana. On dit qu'Aîlan, aïeul de cette tribu, fut fils de Berr; qu'il s'allia aux Masmouda

« PrécédentContinuer »