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l'an 749 (1348), ils mirent Abou l'-Hacen dans la nécessité de quitter Tunis pour marcher contre eux. Tant qu'il s'avança, ils reculèrent devant lui, mais, quand il fut arrivé près de Cairouan, ils lui livrèrent bataille, mirent ses troupes en pleine déroute et enlevèrent tous ses bagages avec ceux de son armée. Cette victoire, si funeste à la puissance du sultan, brisa l'autorité de l'empire mérinide, arrêta le triomphe des peuples zenatiens et mit un terme à leur carrière de conquête. Les conséquences en furent immenses, car, dès-lors, commença cette supériorité que les Arabes ont toujours conservée depuis sur les gouvernements établis en Afrique.

Après la mort d'Abou-'l-Leil, fils de Hamza, [son frère] Omer, trop faible pour résister aux prétentions ambitieuses de ses parents, se laissa enlever le commandement par son frère Khaled. Mansour, frère et successeur de celui-ci, exerça une puissance devant laquelle le sultan de Tunis, Abou-Ishac, fils d'Abou-Yahya, ne pouvait résister. Les Arabes s'emparèrent de toutes les campagnes de l'empire, et mirent le gouvernement hafside dans la nécessité de leur concéder en ictá des villes, des impôts et des propriétés de l'état, de sorte que tout le pays en fut bouleversé. Ils continuèrent à empiéter sur l'empire jusqu'à ce qu'ils lui ravirent le pays ouvert et se firent accorder une grande portion des impôts fournis par les villes, les terres cultivées, les plaines, les plateaux et les régions dactylifères. A chaque instant ils poussaient les princes du sang à la révolte, et marchaient avec eux contre la capitale, afin de pouvoir s'enrichir encore davantage aux dépens de l'État. Le sultan tenta alors de leur susciter des embarras, et ayant transmis leurs priviléges à leurs rivaux de la famille Mohelhel, il réussit à mettre la dissension entre ces deux puissantes tribus.

Cet état de choses se prolongea jusqu'à ce que Dieu, ayant voulu écarter les ténébres de l'oppression par les lumières de la justice et délivrer le peuple des maux de la tyrannie, de la famine et de la terreur, inspira au sultan, Émir des croyants, Abou-'l-Abbas-Ahmed, la pensée de s'emparer de la capitale et prendre possession du khalifat dont il était l'héritier légitime.

Ce fut en l'an 771 (1369), que ce prince quitta la frontière occidentale de l'empire, accompagné de l'émir des nomades, Mansour, fils de Hamza, qui s'était rallié à lui. Son oncle, le sultan Abou-Ishac, chef de la nation almohade, et maître de la capitale et des forces de l'empire, venait de mourir, et Khaled, fils de celui-ci, s'était emparé du pouvoir. Abou-'l-Abbas, ayant pénétré en Ifrikïa, enleva Tunis d'assaut, en l'an 772. Dès-lors il déploya une grande sévérité contre les Arabes, et les ayant forcés à se courber devant ses armes, il mit enfin un terme à leurs débordements. Cette ligne de conduite déplut tellement à Mansour, qu'il cessa de reconnaître l'autorité de l'empire, et proclama sultan l'émir Abou-Yahya-Zékérïa, fils du sultan [Abou-Bekr, surnommé] Abou-Yahya. Ce prince était resté pendant quelques années parmi les Arabes nomades, comme on le verra dans notre histoire de la dynastie hafside. En 773, Mansour marcha avec son protégé contre Tunis, mais ayant été découragé par la résistance que cette ville lui opposa, il fit la paix avec le sultan, et depuis lors, il le servit avec fidélité. Le rang élevé auquel il venait d'atteindre ainsi que l'extrême sévérité qu'il déploya envers les Arabes dont il était le chef, lui attirèrent enfin la haine de ses propres parents. Aussi, en l'an 775 (1373-4), il fut blessé à mort d'un coup de lance que lui porta son neveu Mohammed-Ibn-Abi'l-Leil et mourut le même jour.

La désunion se mit alors dans la tribu, et le commandement passa à Soula-Ibn-Khaled-Ibn-Hamza, neveu de Mansour, auquel on donna pour lieutenant un fils de Moulahem-Ibn-Omar. Soula montra d'abord un certain degré de zèle pour les intérêts du sultan, mais il jeta bientôt le masque et, pendant l'espace de trois années, il demeura en état de rébellion. Le sultan confia alors le commandement des Arabes à Mohammed-Ibn-Taleb-IbnMohelhel, membre de la famille rivale [de celle d'Abou-'l-Leil]. I autorisa les fils de cette maison à donner et à refuser des grâces aux tribus arabes, et il leur assigna le premier rang parmi les autres chefs. Les fils de Moulahem-Ibn-Omar-IbnAbi l'-Leil vinrent aussi se rallier au sultan, mais pendant longtemps, la famille de Hamza continua à s'agiter dans la révolte.

En l'an 780 (1378) le sultan entreprit une expédition contre le Djerîd, afin de faire rentrer les chefs de cette province dans l'obéissance. La famille de Hamza, encouragée par les promesses séduisantes qu'elle venait de recevoir de ces émirs, et soutenue par une foule de brigands arabes et bédouins, osa s'opposer à la marche du prince. Malgré tous leurs efforts, il parvint à délivrer le Djerîd des gens qui l'opprimaient, à en expulser les Arabes, faire prisonniers plusieurs des chefs insoumis et en chasser les autres du pays. S'étant alors emparé de leurs places fortes et de leurs trésors, il contraignit la famille Hamza à s'enfuir dans le Maghreb avec ses alliés de la tribu de Hakîm. Cette victoire assura à l'empire une grande supériorité sur les Arabes et lui permit d'étendre son ombre tutélaire sur tous ses sujets ; les populations purent alors jouir de quelque repos et se livrer aux travaux de l'agriculture; les routes, si long-temps infestées de brigands, n'offrirent plus aucun danger aux voyageurs, et les portes de la miséricorde divine s'ouvrirent enfin pour répandre des flots de bonheur sur le peuple.

La supériorité que les Arabes avaient acquise sur le sultan et sur l'empire n'a point d'autre exemple; [mais il faut se rappeler qu'] ils étaient une race d'une fierté extraordinaire; n'ayant jamais connu l'humiliation d'obéir à un sultan ni subi la nécessité de payer la dîme (sadacat).

Sous la dynastie Oméïade, ils puisaient leur force dans l'esprit de race qui reliait tous les Arabes en un seul corps; fait constaté par l'histoire de leurs révoltes et des ménagements que les [anciens] khalifes durent employer envers eux et leurs pareils. Dans ces temps primitifs, la sadacat était un impôt fondé sur le droit divin et dont l'acquittement devait se faire sans difficulté ni répugnance; et certes, dans le paiement d'une taxe de cette nature il n'y avait rien d'humiliant pour un peuple.

Lorsque la dynastie abbacide eut déployé ses forces, et qu'elle laissa paraître son aversion pour les peuplades organisées en tribus, [les Arabes cherchèrent encore à se soustraire aux impôts] en se jetant dans leurs déserts du Nedjd, du Tehama et des régions situées au-delà de ces provinces. Il en fut autrement

des Fatemides cette dynastie sentit la nécessité de se concilier leur appui à cause de ses démêlés avec les Abbacides. Plus tard, les Arabes se transportèrent dans les plaines de Barca et de l'Ifrîkïa, hors de l'action du gouvernement égyptien, et s'étant ensuite mis au service des Hafsides, ils se tinrent constamment en garde contre toute espèce d'humiliation et d'oppression; jusqu'à ce qu'ayant défait le sultan Abou l'-Hacen et ses Zenata près de Cairouan, ils se frayèrent le chemin à un degré de puissance qu'aucune autre tribu n'avait jamais atteint-puissance par laquelle ils se maintinrent contre tous les empires de l'Afrique septentrionale.

A leur exemple, les Makil et les Zoghba se soulevèrent contre les souverains zenatiens, et les attaquèrent avec acharnement, eux qui, auparavant n'avaient rien osé entreprendre de semblable, accablés, comme ils l'étaient, par la domination d'une race vainqueur.

Histoire de CACEM-IBN-MERA, RÉFORMATEUR KAOUBIEN. [NOTICE DE

QUELQUES AUTRES BRANCHES DE LA TRIBU de Soleim.

Depuis l'âge le plus tendre, Cacem-Ibn-Mera-Ibn-Ahmed-IbnKâb, membre de la tribu des Kaoub, avait été élevé par sa famille dans l'exercice de la dévotion. Ayant rencontré à Cairouan le. cheikh-Abou-Youçof-ed-Dehmani, chef des saints ascétiques de l'époque, il en devint le disciple. Rentré ensuite dans sa tribu, il suivit la voie que son maître lui avait tracée et s'adonna à la plus stricte observance des pratiques (sonna) consacrées par l'exemple du Prophète. Remarquant alors combien les Arabes vexaient les voyageurs par leurs brigandages et à quel point ils s'étaient écartés du sentier de la rectitude, il résolut de mettre un terme à leur conduite blåmable et de les contraindre à respecter l'autorité de la sonna. Pour accomplir cette tâche, il invita les membres de sa famille, les Aulad-Ahmed, à le seconder en combattant sous ses ordres. S'étant laissé diriger par les conseils de ses parents de la famille d'Abou-'l-Leil, et reconnaissant qu'il risquerait de tout gâter et même d'encourir la haine de sa propre tribu s'il entreprennait de la soumettre à ses réglements,

il s'adressa aux autres branches de la tribu de Soleim. S'étant ainsi assuré leur protection, il rassembla autour de lui une foule de bédouins et leur persuada d'adopter ses pratiques religieuses et de former une communauté de marabouts. Les membres de cette société reçurent le nom de Djennada '.

Ayant alors commencé sa carrière de réformateur, il ordonna la cessation des brigandages qui désolaient les environs de Cairouan et les régions situées entre cette ville et la mer; il se mit à poursuivre tous ceux qui osaient commettre des crimes sur les grandes routes; partout où il les rencontra il les mit à mort : il fit la guerre à leurs chefs, envahit leurs camps, confisqua leurs biens, tua une partie des malfaiteurs et en dissipa le reste. Parvenu à se faire respecter par les Hisn, il rétablit la surété des routes dans toute la partie de l'Ifrîkïa qui s'étend depuis Cairouan et Tunis jusqu'au Djerîd. La haute renommée qu'il s'acquit par le succès de ses efforts excita la jalousie de sa propre tribu, les Beni-Mohelhel-Ibn-Cacem, qui lui vouèrent une haine mortelle et résolurent sa perte. Pour accomplir leur projet ils envoyèrent un exposé peu exact de sa conduite à l'émir AbouHafs, sultan de Tunis, lui représentant que les entreprises de cet homme portaient atteinte non-seulement aux droits de la communauté musulmane, mais aussi à ceux de l'état. Comme ce prince leur laissa entrevoir l'intention de fermer les yeux sur leur conduite dans cette affaire et de ne s'y méler en aucune façon, ils se retirèrent avec la ferme intention de tuer le réformateur. L'ayant donc invité à une conférence, afin de régler leurs intérêts respectifs à la manière arabe, ils s'entretinrent avec lui pendant quelque temps au centre du camp et le menèrent ensuite à part sous prétexte de lui parler en secret. Mohammed-Ibn-Mohelhel, surnommé Bou-Adebetein 2 profita de ce moment pour lui porter

↑ Dans les meilleurs manuscrits ce mot est écrit avec un n redoublé par le techdid. Les moyens nous manquent d'en fixer la véritable signification, mais il paraît être l'équivalent de djond (défenseurs, milices).

2 C'est-à-dire l'homme aux deux adeba. L'adeba d'un turban est le bout du chal qu'on laisse pendre sur l'épaule.

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