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>> C'est donc là Ouryaora1, chef des orgueilleux? Que l'enfer

» l'écrase, lui et son peuple!

» Ce jour-ci ne sera pas pour vous un jour [de triomphe], » bien que [vous triomphez] dans les nuits [d'ignorance], étant » partisans de Meicera 2 !

» Abou-Ghofaïr épousa quarante-quatre femmes et en eut au» tant d'enfants ou même davantage. Il mourut vers la fin du » troisième siècle, après un règne de vingt-neuf ans. Son fils et » successeur, Abou-'l-Ansar-Abd-Allah, suivit les mêmes » usages, et, bien qu'il fût d'un caractère fort doux, il sut im>>poser tant de respect aux princes contemporains, qu'ils culti» vèrent son amitié et lui envoyèrent de riches cadeaux. Il por» lait pour habillement un manteau et un haut-de-chausse, mais » il se garda de rien mettre qui fût façonné avec l'aiguille3. Ni >> lui, ni personne dans son pays, à l'exception des étrangers, » ne portait le turban. Il était fidèle à sa parole et prompt à se>> courir tous ceux qui imploraient son appui. Il mourut en l'an » 341 (952-3), après avoir régné quarante-quatre ans. On l'en» terra à Tameslakht où son tombeau se voit encore. Son fils » Abou-Mansour-Eïça monta alors sur le trône, étant âgé de >> vingt-deux ans. Il suivit les pratiques de ses aïeux et se >> donna même pour prophète et devin. La haute puissance dont » il parvint à jouir lui assura l'obéissance des autres tribus du >> Maghreb. >> Au rapport de Zammor, le père de ce prince, étant sur son lit de mort, lui adressa ces paroles : « Mon cher

↑ Ouryaora est une altération du terme berbère Ourillara (sans pareil, admirable). Cette expression, qui est encore employée, se compose d'our (ne), illa (il a été) et ara (pas), c'est-à-dire non-existant, introuvable.

En traduisant ce dernier vers, dont, au reste, nous ne garantissons pas le sens, nous avons adopté la leçon fournie par la note du texte arabe. Dans les manuscrits d'El-Bekri, on lit, de plus, riddetakom à la place de yaumakom. M. Quatremère a rendu ainsi ce vers, en suivant les leçons rapportées par El-Bekri : Votre apostasie ne date pas d'au... jourd'hui, mais du temps où vous étiez soumis à Maïsarah.

3 El-Bekri dit : « il ne porta pas de chemise. » lu, mal-à-propos, mahit à la place de camis.

Ibn-Khaldoun a

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>> fils, tu seras le septième de la famille qui aura régné, et j'ai >> tout espoir que Saleh-Ibn-Tarîf viendra te trouver. » « Son armée, dit Zemmor, se composait d'environ trois mille >> hommes appartenant à la tribu des Berghouata, et de dix >> mille fournis par les autres tribus, telles que les Djeraoua, les >> Zouagha, les Beranės, les Medjekėsa, les Matghera, les Demmer, >> les Matmata et les Beni-Ouarzguît. Sa religion avait été adop» tée par les Beni-Ifren, les Assada, les Regana, les Izmen, les >> Resafa' et les Renemsezara. Aucun de leurs souverains, de>> puis la fondation de la dynastie, ne prit les emblèmes de la » royauté. » Fin du récit de Zemmor.

Les rois d'Espagne et d'Afrique, les Idrîcides, les Oméïades et les Fatemides, faisaient, pendant ces temps et plus tard, des expéditions contre les Berghouata, guerres saintes qui ont laissé de grands souvenirs.

Djàfer-Ibn-Ali[-el-Andelosi] ayant reçu d'El-Mansour-IbnAbi-Amer le gouvernement du Maghreb, quitta l'Espagne en l'an 366 (976-7), pour aller s'établir à Basra; mais il se laissa enlever l'autorité par son frère Yahya, lequel s'était attiré l'affection des troupes et l'amitié des émirs zenatiens. Ayant alors pris la résolution de faire la guerre sainte aux Berghouata, entreprise qui paraissait des plus méritoires, Djåfer marcha contre eux à la tête de la milice andalousienne et des troupes maghrebines. Ayant rencontré les ennemis dans le cœur même de leur pays, il essuya une telle défaite, qu'à peine put-il ramener, auprès de son frère, à Basra, quelques débris de son armée. Rappelé, ensuite, par El-Mansour, il partit pour l'Espagne, laissant son frère Yahya à la tête du gouvernement 3.

1 Variante d'El-Bekri : Resana.

Variantes: Ournemderara, Ouimserara. A la place de ce nom, dont la véritable orthographe est inconnue, les manuscrits d'El-Bekri portent Terarta.

3 On trouvera parmi les appendices de ce volume la traduction du chapitre consacré par notre auteur aux Beni-Hamdoun, famille dont Djâfer-Ibn-Ali faisait partie.

En l'an 368 (978-9), les Berghouata eurent à soutenir une guerre contre les Sanhadja qui, sous les ordres de BologguînIbn-Ziri, avaient envahi le Maghreb. Déjà les Zenata s'étaient enfuis devant lui et avaient cherché un asile au pied des fortifications de Ceuta, position presqu'inabordable à cause de la difficulté des approches. Bologguin tourna donc ses armes contre les Berghouata, et ayant rencontré leur armée qui venait au-devant de lui sous la conduite d'Abou-Mansour-Eïça, fils d'Abou-'lAnsar, il la mit en pleine déroute. Abou-Mansour et une grande partie de ses troupes trouvèrent la mort sur le champ de bataille. Le vainqueur envoya ses prisonniers à Cairouan et fit encore plusieurs expéditions contre les Berghouata, tant qu'il resta en Maghreb. Il quitta ce pays en l'an 372 (982-3) et reprit le chemin de sa capitale, mais il mourut avant d'y arriver.

Je n'ai pu découvrir qui régna sur les Berghouata après Abou-Mansour; mais je sais que les troupes d'El-Mansour-IbnAbi-Amer portèrent la guerre chez eux en 389, époque où son fils Abd-el-Mélek[-el-Modaffer] rentra en Espagne, après avoir dirigé une expédition contre Zîri-Ibn-Atïa et confié le gouvernement du Maghreb à son affranchi Ouadeh. La première entreprise de Ouadeh fut de marcher contre les Berghouata avec les milices [andalousiennes], les émirs de ces provinces et les populations soumises à ses ordres. Dans cette expédition, il fit subir à l'ennemi des pertes énormes tant en tués qu'en prisonniers.

Plus tard, les Berghouata eurent à combattre les Beni-Ifren. Vers le commencement du cinquième siècle, une guerre avait éclaté entre les descendants de Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifreni et ceux de Zîri-Ibn-Atïa-el-Maghraoui. Les premiers enlevèrent à leurs adversaires la ville de Salé, et Temim-Ibn-Zîri, petit-fils de Yala, qui avait alors succédé au commandement de la tribu, s'installa dans la place conquise afin de pouvoir attaquer plus facilement ses voisins, les Berghouata, et de faire ainsi la guerre sainte. Un peu plus tard que l'an 420 (1029), il commença des

1 Cette dale est fausse : il faut sans doute lire 369 ou 370. Voy. pp. 11 et 12 de ce volume.

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hostilités contre eux et y déploya un zèle extraordinaire. Leur ayant tué beaucoup de monde et fait un grand nombre de prisonniers, il leur enleva Temsaa et y établit un de ses officiers comme gouverneur.

Après la mort de Temîm, les Berghouata réparèrent leurs pertes, mais enfin les Almoravides étendirent sur eux leur domination. Ce peuple, étant sorti de ses déserts, pénétra dans le Maghreb et prit d'assaut un grand nombre de places fortes situées, les unes, dans le Sous-el-Acsa, et, les autres, dans les montagnes habitées par les Masmouda; ensuite il lui sembla bon de faire une guerre sainte aux Berghouata qui se trouvaient dans la province de Temsna et sur le littoral de l'occident. En conséquence de cette résolution, Abou-Bekr-IbnOmar, émir des Lemtouna, marcha contre eux à la tête de ses Almoravides et leur livra plusieurs batailles. Dans un de ces conflits, lequel eut lieu en l'an 450 (1058), Abd-Allah-IbnYacîn le guezoulien trouva le martyre et mourut les armes à la main. Abou-Bekr et ses successeurs ne cessèrent de combattre les Berghouata jusqu'à ce qu'ils les eurent totalement exterminés.

Quand les Berghouata étaient sur le point de succomber, ilst avaient pour chef un nommé Abou-Hafs-Abd-Allah, descendant d'Abou-Mansour-Eïça, fils d'Abou-'l-Ansar-Abd-Allah, fils d'Abou-Ghofaïr-Mohammed, fils de Moâd, fils d'Eliça, fils de Saleh, fils de Tarif. Il mourut sur le champ de bataille, et, avec lui, succomba la puissance de sa nation. Les débris de cette secte furent exterminés par les Almoravides; louanges en soient à Dieu, seigneur de tous les êtres!

Ils se trompent, ceux qui regardent les Berghouata comme un peuple zenatien. « Quelques personnes disent que Saleh était » juif, que son père se nommait Chemaoun [Simon]-Ibn-Yacoub >> et qu'il avait passé ses premières années dans Berbat. Ayant >> alors fait le voyage de l'Orient, il étudia sous Abd-Allah le » le motazelite, et, après s'être adonné à la magie et à plu

4 Il sera question de cet endroit quelques lignes plus loin.

Les motazelites enseignaient le libre arbitre et rejetaient la doctrine des attributs divins.

>> sieurs autres sciences, il repartit pour l'Occident et se fixa » dans Temsna. Là, il trouva quelques tribus berbères plongées >> dans l'ignorance; il afficha devant elles une grande austérité » de mœurs et parvint à les fasciner par son éloquence. Ayant >> ainsi gagné leur appui, il commença à jouer le rôle de pro» phète. On lui donna le surnom de Berbati, c'est-à-dire natif » de Berbat, vallée dans les environs de Xérès, en Espagne. » Les Arabes changèrent ce mot en Berghouati pour le plier au » génie de leur langue. » — Nous rapportons ici les paroles de l'auteur du Nudm-el-Djouher dont les opinions, à ce sujet, s'accordent avec celles de plusieurs autres généalogistes qui se sont occupés des Berbères. Tout cela n'est cependant qu'un tissu d'erreurs qui sautent aux yeux, car les Berghouata n'appartenaient pas à la race zenatienne; on en voit la preuve dans la localité qu'ils habitaient et dans les rapports de bon voisinage qu'ils entretenaient avec leurs frères, les Masmouda. Quant à Saleh-Ibn-Tarif, c'est une chose reconnue qu'il était berghouatien de naissance; il est d'ailleurs impossible qu'un intrus, un individu d'origine étrangère, puisse réussir à subjuguer des pays et des tribus. Enfin, nous le répétons, c'est une chose avérée que la personne dont il s'agit appartenait réellement à la tribu des Berghouata, branche des Masmouda.

HISTOIRE DES GHOMARA, TRIBU MASMOUDIENNE,

QU'ILS ONT FONDÉS,

ET DES ROYAUMES

Cette tribu masmoudienne a pour ancêtre Ghomar, fils de Masmoud, ou, selon une autre tradition, Ghomar, fils de Mestaf

1 En effet, ils avaient entre eux et les Zenata les tribus de Zanaga et de Masmouda, sans compter la chaîne de l'Atlas.

* Ibn-Khaldoun invoque ici un principe qu'il a développé ailleurs et qu'il regarde comme incontestable. Dans l'histoire de l'Afrique musulmane, on trouve, cependant, plusieurs faits qui contredisent ce principe tels sont l'avènement des Beni-Saleh chez les Ghomara, des Idricides chez les Zenata, des Fatemides chez les Ketama et de la famille d'Abd-el-Moumen chez les Masmouda.

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