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mise à sa disposition, et infligea un châtiment sévère aux Arabes contumaces. Sa réputation comme général et la haute considération dont il fut entouré se maintinrent jusqu'à sa mort. Quelque temps après son départ du Maghreb, ses neveux, Ahmed, Muhammed et Omar, le suivirent à Tunis, où ils trouvèrent bon accueil, richesses et honneurs. Ahmed, l'aîné des trois frères, reçut du sultan Abou-Hafs le gouvernement de Cafsa, d'où il passa à celui d'El-Mehdïa. Ayant ensuite obtenu la permission de résigner son commandement, il revint à Tunis, et, chaque fois que le sultan Abou-Acîda se mettait en campagne, il y remplit les fonctions de lieutenant-général et jouit de tous les priviléges accordés à ses prédécesseurs dans cette charge. Sa mort eut lieu au commencement de l'an 703 (août-sept. 1303). Ses fils AbouMohammed-Abd-Allah et Abou-'l-Abbas-Ahmed furent élevés au palais, sous les yeux du sultan. Le premier épousa la fille d'Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten, grand cheikh de l'empire, et, plus tard, le second reçut en mariage la fille d'Abou-MohammedAbd-Allah-Ibn-Yaghmor. Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn devint l'ami d'Abou-Darba-Ibn-el-Lihyani et resta avec lui jusqu'à la bataille de Messouh. Dans cette journée il fut fait prisonnier ainsi que plusieurs autres chefs almohades. Gracié avec plusieurs autres par le sultan [Abou-Yahya-] Abou-Bekr, il sut gagner la faveur de ce prince et obtenir le vizirat, place que le cheikh Abou-Mohammed-Ibn-el-Cacem avait occupée précédemment. Plus tard, c'est-à-dire en 742 (1344-2), le sultan le nomma grand cheikh des Almohades, en remplacement d'Abou-Omar-Ibn-Othman qui venait de mourir. Quand l'émir Abou-Zékérïa, seigneur de Bougie, alla demander l'appui du roi de Maghreb, afin de résister aux Beni-Abd-el-Ouad, le sultan, son père, le fit accompagner par Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn. Dans cette mission, le chef almohade déploya un grand zèle pour les intérêts de son maître et montra tant d'habileté comme diplomate que, depuis lors, ce fut sur lui qu'on jeta les yeux toutes les fois qu'il s'a

Dans le texte arabe il faut lire el-îthar à la place de li-ithar.

gissait d'envoyer un ambassadeur auprès du roi de Maghreb. Le chambellan Ibn-Seïd-en-Nas fut jaloux de son influence et chercha à lui nuire; mais il finit par s'en abstenir par, déférence aux ordres du sultan. L'on dit même que ce monarque avait confié à Abou-Mohammed son intention de renverser le pouvoir de ce chambellan. Quand Ibn-Abd-el-Azîz et le caïd Ibn-elHakim se chargèrent de l'administration de l'empire, en se partageant le commandement de l'armée, la direction des affaires publiques, la confiance du sultan et le droit d'exécuter ses commandements, Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguîn conserva toute son influence dans le conseil d'état. Ses deux collègues étaient toujours de son avis, sachant qu'il formait, avec eux, le troisième soutien de l'empire et que son bon jugement était la pierre de touche de leurs opinions.

Après la mort du chambellan Ibn-Abd-el-Azîz, le sultan résolut la perte d'Ibn-el-Hakîm, ministre dont la puissance et les dilapidations lui inspirèrent de graves inquiétudes. L'on rapporte qu'il fut averti par Ibn-Abd-el-Azîz, qui était alors sur son lit de mort, de se tenir sur ses garder contre Ibn-el-Hakim et ses mauvais desseins. Dans cet entretien, Ibn-Abd-el-Azîz lui raconta qu'en l'an 742, lors de la présence des Arabes sous les murs de Tunis, ce général lui avait déclaré son intention de remplacer le sultan par un des fils d'Abou-Debbous, princes que l'on détenait alors à Tunis. Ce projet, dicté par la trahison, aurait eu pour motif le mécontentement ressenti par Ibn-el-Hakîm en se trouvant bloqué dans Tunis par les Arabes et en voyant que le sultan ne voulait pas faire une sortie contre eux. Ibn-Abd-el-Azîz n'avait jamais perdu le souvenir de cette confidence qui pouvait, au besoin, devenir une arme contre son collègue; et, maintenant, qu'il voyait approcher son dernier moment, il se justifia luimême en révélant tout au sultan. Un secret de cette nature, confié à une oreille bien attentive, devait nécessairement amener la chute d'Ibn-el-Hakim. Après la mort d'Ibn-Abd-el-Azîz, le sultan nomma Abou-Mohammed-Ibn-Tafraguin grand cheikh des Almohades et demanda son avis sur la nécessité de châtier, ce général. Comme les deux fonctionnaires se détestaient mu

tuellement et qu'Ibn-Tafraguîn guettait depuis longtemps l'occasion de perdre son rival, il s'empressa d'approuver le dessein du sultan. Pendant ce temps, Ibn-el-Hakim était loin de la capitale et s'occupait à soumettre les frontières de l'empire. Après avoir campé dans l'Auras et fait rentrer les impôts dus par les populations de cette région, il avait pénétré dans le Zab et obtenu de Youçof-Ibn-Mansour-el-Mozni, gouverneur de cette province, le paiement intégral de toutes les contributions arriérées; il s'était ensuite avancé dans le Righ et, par la prise de Tuggurt, il avait procuré à ses troupes un riche butin. Ce fut au milieu de ces victoires qu'il apprit la mort d'Ibn-Abd-el-Azîz et la nomination d'Ibn-Tafraguîn à la place de chambellan. Cette nouvelle lui causa un vif mécontentement; il avait cru que le sultan n'aurait jamais choisi un autre que lui pour remplir co poste élevé; il avait désigné son secrétaire, Abou-'l-CacemIbn - Ouaran, comme la personne qui devait lui servir de lieutenant dans ces nouvelles fonctions; il s'était même imaginé qu'Ibn-Abd-el-Azîz, l'ancien occupant de cette place, y avait eu moins de droits que lui. Frappé de ce coup inattendu et agité par mille pensées diverses, il laissa éclater son indignation et, suivi d'une simple escorte, il courut à la capitale; mais le sultan avait déja pris conseil d'Ibn-Tafraguîn, et le corps des intimes se tenaient prêts pour l'arrêter. Il y arriva vers le milieu du mois de Rebîa de l'an 744 (août 1343), et, dans une audience solennelle, il présenta au sultan les chevaux de race, les esclaves et les chameaux que les tribus lui avaient envoyés. La réception terminée, le sultan congédia ses vizirs, et, en passant dans son appartement, il fit un signe aux intimes. Ibn-elHakîm fut entouré à l'instant même, traîné en prison et mis à la torture. On lui arracha ainsi la déclaration des lieux où il avait caché son argent, et l'on tira de ces dépôts quatre cent mille pièces d'or monnayées que l'on porta au trésor du sultan. Ils confisquèrent pour à peu près la même valeur de pierreries et de biens-fonds; puis ils étranglèrent leur victime dont ils avaient desséché [par les tourments] jusqu'à la moëlle des os, jusqu'à la dernière goutte de tant de richesses. Un si terrible exemple

laissa dans les esprits une impression profonde. Ce malheureux mourut dans le mois de Redjeb de la même année. Ses enfants et leur mère furent déportés en Orient, et, ballotés par l'adversité dans un pays étranger, plusieurs d'entre eux succombèrent à la misère; mais plus tard, deux de ses fils, Ali et Obeid, revinrent en Ifrikïa avec leurs familles, après avoir subi les vicissitudes de la fortune.

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Pendant que le gouvernement hafside s'était occupé à repousser les expéditions que les Beni-Abd-el-Ouad dirigeaient sans cesse contre les terres de l'empire, toutes les villes du Djerîd avaient profité de cette occasion pour se constituer en républiques, gouvernées chacune par un président. A Touzer, toute l'autorité s'était concentrée dans les mains de Mohammed-IbnYemloul. Le sultan ayant enfin trouvé assez de loisir pour rétablir l'influence de t'empire, commença à sévir vigoureusement contre les états insurgés. L'administration républicaine de Cafsa disparut devant ses armes, et le commandement de cette ville ainsi que de la province de Castflïa passa à son fils Abou-'lAbbas. Cet émir travailla sérieusement à y raffermir son pouvoir; il dirigea même plusieurs expéditions vers les contrées voisines, afin de reconnaître jusqu'à quel point les habitants lui étaient soumis. Son chambellan, Abou-'l-Cacem-Ibn-Ottou, conduisit un corps d'armée à Nefta, dans le but d'éprouver l'obéissance des Beni-Modafê, mieux connus sous le nom des Beni-'l-Khalef. Ces quatre frères avaient usurpé le commandement à Nefta pendant l'embarras du gouvernement hafside. A l'approche d'Ibn-Ottou ils s'enfermèrent dans leurs châteaux, pensant y trouver une retraite assurée; mais, abandonnés par leurs sujets, que les mesures vigoureuses de leur adversaire avaient démoralisés, ils cédèrent à la crainte et se mirent à la merci du sultan. On les conduisit au supplice et on laissa leurs

cadavres attachés aux troncs de leurs propres dattiers pour servir d'exemple. Ali, le plus jeune, évita le sort de ses frères en passant aux Hafsides avant la prise de la ville.

L'émir Abou-'l-Abbas incorpora Nefta dans ses états, avec l'autorisation de son père, et soumit une partie considérable de la province de Nefzaoua. Il avait conçu l'espoir de se rendre maître de Touzer, mais Mohammed-Ibn-Yemloul, chef de ce nid de sédition, s'aperçut du danger, et alla trouver Mohammed-Ibn-el-Hakim, général en chef des armées du sultan. A force d'intrigues et de sollicitations, il obtint la permission de rester à Touzer sans être molesté, et, en effet, il conserva le gouvernement de cette ville jusqu'à la fin de ses jours. Il mourut la même année qu'Ibn-el-Hakîm.

La mort de Mohammed-Ibn-Yemloul occasionna de graves désordres à Touzer ses fils et ses frères se disputèrent le commandement, et quelques-uns d'entre eux furent tués par les autres. Il y avait alors dans la prison de Tunis un de ses frères nommé Abou-Bekr. Le sultan le fit mettre en liberté et l'envoya à Touzer, après lui avoir imposé toutes les conditions qui pourraient assurer la fidélité d'un tel personnage et le paiement régulier des impôts au gouvernement hafside. Arrivé à sa destination, Abou-Bekr-Ibn-Yemloul parvint à y établir son autorité; mais, séduit par l'amour de l'indépendance, il refusa de remplir ses engagements et traita avec mépris les sommations que lui adressa l'émir Abou-'l-Abbas. Ce prince, mécontent de voir entraver le progrès de sou autorité par la résistance de Touzer, s'en plaignit au sultan et le pria de venir châtier ce petit état. En l'an 745 (1344-5), le souverain hafside arriva dans Cafsa à la tête d'une armée. Abou-Bekr apprit cette nouvelle avec effroi, et, voyant ses partisans en train de l'abandonner, il offrit sa soumission et promit de se rendre auprès du sultan. Ali-IbnMohammed-et-Temoudi, qui avait servi de secrétaire à son père et qui remplissait alors les mêmes fonctions auprès de lui, prit aussitôt la fuite et courut à Biskera, afin de se mettre sous la protection de Youçof-Ibn-Mozni. Sa réputation l'y avait déjà devancée, car ce fut réellement lui qui gouvernait à Touzer.

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