IBN-MOZNI FAIT SA SOUMISSION. Quand les chefs du Djerîd et du Zab virent le sultan triompher des graves difficultés qui l'avaient empêché de tourner ses armes contre eux, ils commencèrent à craindre les suites de leur insoumission et cherchèrent à se garantir du danger en suscitant de nouveaux embarras au souverain de Tunis. Croyant reconnaître dans Abou-Hammou Il, sultan de Tlemcen, une personne capable de les protéger en donnant de l'occupation à leur ennemi, ils conçurent le projet d'une alliance avec lui. << Alors, pensèrent-ils, nous le pousserons à des hostilités contre >> Tunis, ainsi que l'on y ponssa autrefois ses prédécesseurs, » Abou 1-Hammou I et Abou-Tachefin. >> Ce fut là un calcul qui péchait par sa base, vu les malheurs qui avaient accablé les Beni-Abd-el-Ouad dans ces derniers temps, ainsi que la dispersion, la ruine de ce peuple, par la guerre civile et la guerre extérieure. Ahmed-Ibn-Mozni, seigneur de Biskera, fut le premier à tenter cette démarche; l'exemple de ses aïeux et la proximité de ses états à ceux de Tlemcen l'y invitèrent également. Les autres chefs, aveuglés par l'ambition, s'empressèrent de l'imiter. Vers cette époque, l'émir Abou-Zian, fils du sultan AbouSaîd, et cousin d'Abou-Hammou, passa chez Ibn-Yemloul, à Touzer, après s'être vu abandonner par Salem-Ibn-Ibrahîm, chef de la tribu des Thâleba. Salem avait embrassé la cause de ce prince et s'était mis en campagne avec lui; mais, au bout de quelques jours, il le renvoya et se rallia de nouveau au parti d'Abou-Hammou. Ceci se passa en l'an 778 (1376-7). AbouZian sortit alors des états du roi de Tlemcen et arriva à Touzer. Ibn-Yemloul lui donna l'hospitalité et expédia un courrier à Ahmed - Ibn - Mozni pour lui annoncer cette nouvelle. Rien ne Le texte arabe des manuscrits porte: Ibn. pouvait faire plus de plaisir à ce coryphée de séditieux qu'une telle communication; il résolut, de tenir Abou-Zian sous la main, afin de contraindre Abou-Hammou à faire les volontés des chefs djeridiens. Dès lors, leurs courriers ne cessèrent de se rendre à Tlemcen et d'en revenir; mais, à la fin, les envoyés se fatiguèrent d'une négociation qui s'embrouillait chaque jour davantage, et ils ne purent obtenir d'Abou-Hammou que la promesse de leur être bon voisin et de les soutenir, pourvu qu'ils le garantissent contre les tentatives d'Abou-Zîan. On était encore à traiter cette affaire, quand Abou-'l-Abbas pénétra dans le Djerîd, après avoir dispersé les Aulad-Abi-'l-· Leil, cette tribu qui s'était engagée envers les chefs insurgés de lui défendre l'entrée de leur pays. Cafsa, Touzer et Nefta étant tombés au pouvoir du sultan hafside, Yahya-Ibn-Yemloul emmena Abou-Zîan à Biskera et descendit chez Ibn-Mozni où il mourut peu de temps après. Yacoub-Ibn-Ali, cheikh des Riah, s'inquiéta des suites que devaient avoir ses liaisons avec cette bande de factieux ; il se rappela avec effroi l'appui qu'il leur avait donné et son extrême empressement à excuser leur conduite; voyant aussi d'un œil jaloux les riches cadeaux que recevaient ses rivaux, les Douaouida, la haute faveur dont ils jouissaient auprès du sultan depuis leur adhésion à la cause des Hafsides, il céda au mécontentement qui l'agitait et, vers le commencement de l'an 782 (avril 1380), il partit pour Tlemcem. Son intention était d'entraîner Abou-Hammou à lever des troupes et à courir au secours de la coalition djeridienne. S'étant arrêté chez ses alliés, les Aulad-Arif de la tribu de Soueid, il envoya son fils auprès d'Abou-Hammou pour le pousser à la guerre. Dans sa réponse, ce monarque refusa son appui aux chefs du Djerîd, sous le prétexte d'un refroidissement survenu entre lui et le sultan du Maghreb; mais, en réalité, il voulait se tenir en observation et profiter du moment où ils se croiraient menacés par Abou-1Abbas, pour se faire livrer Abou-Zian. Il donna même à entendre d'une façon détournée, qu'il volerait à leur défense s'ils consentaient à jeter ce prince dans le fond d'une prison. Pendant l'absence de Yacoub-Ibn-Ali, le sultan Abou-'l-Abbas éprouva une légère indisposition, et la nouvelle s'en étant répandue, une vive agitation se déclara parmi les factieux dư Djerîd. Les partisans de la famille Yemloul en firent aussitôt avertir le fils de Yahya-Ibn-Yemloul, qui était resté à Biskera depuis la mort de son père. Ibn-Mozni approuva le désir de ce jeune homme qui voulait passer dans le Djerîd avec ses amis, et, sans se donner la peine de prendre des renseignements sur l'état du sultan, il les y expédia sur-le-champ afin de surprendre la ville de Touzer. Un corps d'Arabes fut soldé pour le même objet et partit avec eux. A la suite d'une marche rapide, ils arrivèrent devant cette ville, qui était alors presque dégarnie de troupes. El-Montacer, le prince qui y commandait, rassembla aussitôt ses amis et combattit avec une telle bravoure qu'il repoussa les assaillants. A la suite de cette tentative, qui avait mis au grand jour les bonnes dispositions des habitants de Touzer et leur fidélité au sultan, Ibn-Yemloul partit pour Biskera, frustré dans son espoir, accablé de chagrin et craignant de nouveaux malheurs. Au moment où il rentra dans cette ville, Yacoub-Ibn-Ali y arriva aussi, venant du Maghreb, et leur reprocha amèrement une expédition entreprise pendant son absence et dont le résultat devait être une rupture avec le sultan, rupture complète et irréparable. Aussitôt qu'Abou-'l-Abbas eut connaissance de l'attaque de Touzer et de la complicité d'Ibn-Mozni dans ce coup de main, il prit la résolution de marcher sur Biskera. Ayant, en conséquence, établi son camp en dehors de Tunis, il distribua de l'argent aux troupes pour leur entrée en campagne et fit apprêter les machines de siége. A la nouvelle de ces préparatifs, les chefsinsoumis tinrent un conseil et, après y avoir épuisé toutes les ressources de leur esprit, ils adoptérent l'avis de mettre AbouZîan aux arrêts afin d'obtenir les secours qu'Abou-Hammou leur avait promis. Sous le prétexte de quelque boutade qui aurait échappé à leur protégé, ils n'hésitèrent pas à trahir les engagements pris avec lui, et, aussitôt après son arrestation, ils expédièrent un courrier à Abou-Hammou, afin d'obtenir l'exécution de sa promesse. On peut juger de leur désappointement, quand un messager de ce prince vint leur annoncer que son maître se trouvait dans l'impossibilité de venir à leur se-' cours, mais qu'il leur enverrait de l'argent. Convaincus alors de l'impuissance d'Abou-Hammou, ils rompirent avec lui, et ayant su que le sultan Abou-'l-Abbas condamnait hautement leur conduite à l'égard d'Abou-Zîan, ils s'empressèrent de relâcher ce prince, de lui faire des excuses et de le laisser partir pour Constantine. Yacoub-Ibn-Ali les décida alors à conjurer l'orage par une prompte soumission et chargea son cousin d'aller se jeter aux pieds du sultan et d'intercéder pour eux. Le monarque agréa la prière du messager et accueillit le repentir des insurgés. Il ferma même les yeux sur la conduite d'Ibn-Mozni et eut la bonté d'envoyer de la capitale son conseiller et premier ministre, AbouAbd-Allah-Ibn-Abi-Hilal, afin de les rassurer et de dissiper les derniers nuages d'appréhension qui pourraient encore troubler leur esprit. L'arrivée d'Ibn-Abi-Hilal fut pour eux un bonheur aussi cher que la vie. Dans le mois de Dou-'l-Câda 782 (février 4381), le sultan sortit de Tunis avec l'intention de visiter ses états et de reconnaître jusqu'à quel point les populations des provinces lui étaient soumises. Un de ses officiers se rendit alors chez Ibn-Mozni et, ayant reçu de ce chef toutes les marques d'une soumission pleine et entière, il effaça de son cœur jusqu'aux dernières traces de méfiance et le décida à reprendre le vêtement de l'obéissance. Ibn-Mozni s'empressa de témoigner sa gratitude en choisissant ce qu'il avait de plus beau en fait de chevaux et d'objets précieux afin de les envoyer au sultan et, ayant confié à des amis plusieurs bêtes de somme chargées du tribut fort raisonnable au paiement duquel il s'était engagé, il fit partir le tout avec l'escorte qui accompagnait l'envoyé. Cette caravane arriva au camp du sultan, dans la plaine de Tebessa, vers le commencement de Dans le texte arabe il faut lire irtehal à la place d'inteha. l'an 783 (avril 4381). Sa majesté tint une séance publique pour recevoir cette offrande; il accueillit les porteurs avec de grands honneurs et reçut de leur bouche l'assurance positive du dévouement et de l'obéissance de leur maître. Enchanté de la solution heureuse de cette affaire, il combla de grâces tous les envoyés et, à leur départ, il leur donna, à chacun, des cadeaux en rapport avec leur rang. La députation partit alors, chargée de faveurs et heureuse d'avoir conquis la bienveillance du sultan, seul bonheur qu'elle pouvait désirer. RÉVOLTE ET SOUMISSION DES AULAD-ABI-'L-LEIL. Après la prise de Cafsa par le sultan et son retour à Tunis, les Aulad-Abi-'l-Leil vinrent lui offrir leur soumission. Malgré la gravité de leurs offenses, il consentit à leur pardonner, mais, pour s'assurer de leur obéissance, il exigea d'eux la prestation du serment de fidélité et les obligea à lui remettre leurs enfants comme otages. Cette affaire arrangée, l'émir Abou-YahyaZékérïa, frère du sultan, partit avec un corps de troupes afin de contraindre les Hoouara à payer tous les impôts qu'ils n'avaient pas acquittés pendant les dernières années de troubles. Les Aulad-Abi-'l-Leil et leurs confédérés de la tribu des Hakim se mirent en marche avec lui et l'aidèrent à parcourir les diverses parties de son gouvernement jusqu'à ce qu'il eut fait rentrer la totalité des impôts. Au retour de cette expédition, les Arabes qui en avaient fait partie prièrent le sultan de leur prêter quelques troupes, selon l'usage, afin d'obliger les cantons du Djerid à payer les impôts que les Aulad-Abi-'l-Leil avaient le droit d'y recueillir à titre de concession (icta). Le sultan mit [son fils] Abou-Fares[-Azouz] à la disposition de ces chefs, qui partirent alors à la tête de leurs tribus. Nous avons déjà dit qu'Ibn-Mozni, et Ibn-Yemloul avant lui, ainsi que Yacoub-Ibn-Ali, avaient très-souvent invité les Arabes à imiter leur exemple et à embrasser le parti du seigneur de |