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le titre de Commandant des musulmans (Emir el-Moslemîn), il fit proclamer la suprématie d'El-Mostadher, khalife de Baghdad, et lui expédia deux ambassadeurs. L'un de ces envoyés fut AbdAllah-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Arebi el-Mâaferi, natif de Séville, et l'autre fut le cadi Abou-Bekr, fils de celui-ci 1. Ces agents prirent un ton si insinuant et remplirent leur mission avec tant d'adresse, que le khalife déclara leur maître souverain de l'Espagne et du Maghreb et expédia des lettres patentes à cet effet, afin d'en donner connaissance au public. Ils rapportèrent aussi à Youçof un acte d'investiture par lequel le khalife lui accordait la souveraineté de toutes les contrées sur lesquelles il avait déjà étendu sa domination. L'imam El-Ghazzali et le cadi Abou-Bekrel-Tortouchi lui adressèrent aussi des lettres de conseils et l'engagèrent de la manière la plus pressante à gouverner avec justice et à ne jamais s'écarter de la bonne voie ; ils lui envoyèrent en même temps leur décision relative aux roitelets musulmans de l'Espagne, décision qui l'autorisait à exécuter sur eux la sentence de Dieu.

En l'an 497 (1103-4), Youçof passa en Espagne pour la quatrième fois, à la suite de l'expédition que le souverain hammadite, El-Mansour-Ibn-en-Nacer, avait entreprise, la même année, contre Tlemcen. Nous avons déjà parlé de cette démonstration hostile dans notre notice sur les Beni-Hammad2 et mentionné qu'Ibn-Tînamer avait enlevé à El-Mansour la ville d'Achîr. Pour donner satisfaction au prince hammadite, Youçof ôta le commandement de Tlemcen à Ibn-Tînamer et ordonna à Mezdeli de quitter le gouvernement de Valence et d'aller remplir la place vacante. Abou-Mohammed-Ibn-Fatema fut nommé gouverneur de Valence.

Après avoir fait de nombreuses expéditions dans le pays des chrétiens, Youçof-Ibn-Tachefîn mourut à la fin du cinquième siècle (dans le mois de Moharrem 500- Septembre 1106). Ali-Ibn Youçof, fils d'Ibn-Tachefîn et prince d'un excellent

1. Voir vol. I, p. 138.

2. Voir p. 54 de ce volume.

caractère, monta alors sur le trône. Son règne commença par des jours prospères et par une suite de victoires sur les infidèles. Ayant passé le Détroit, il mit à feu et à sang le pays des chrétiens, ramena une foule de prisonniers et confia à [son frère] Temîm le gouvernement de l'Espagne. Le roi chrétien rassembla alors des troupes pour combattre les musulmans, mais son armée fut mise en déroute par celle de Temîm.

En l'an 503 (1109-10), Ali-Ibn-Youçof traversa le Détroit, ta assiégea Tolède et porta le ravage dans le territoire chrétien. Après sa rentrée de cette expédition, le fils de Radmîr [Alphonse I, fils de Don Sanche Ramirez] marcha contre Saragosse et défit les musulmans [de Tudèle] qui étaient sortis à sa rencontre. Leur chef, [El-Mostaïn-Ibn-Houd, mourut sur le champ de bataille, martyr de la foi,et le fils de Radmîr assiégea la ville [de Tudèle] jusqu'à ce qu'elle se rendît à discrétion 1.

Quelque temps après, c'est-à-dire en 509 (1115-6), les Génois s'emparèrent de Maïorque. Cette île dut sa délivrance et le retour de sa prospérité à Ibn-Tafertast, général almoravide dont nous avons déjà parlé dans notre notice sur les roitelets d'Espagne 2.

Ali-Ibn-Youçof continua à jouir d'un règne prospère et à augmenter sa puissance. En l'an 526 (1131-2), il nomma son fils Tachefin gouverneur de l'Espagne occidentale, lui désigna Cordoue et Séville comme résidences, et le fit accompagner à sa destination par Ez-Zobeir-Ibn-Omar, chef almoravide de haut rang. Il accorda en même temps le gouvernement de l'Espagne orientale à Abou-Bekr-Ibn-Ibrahîm-el-Messoufi auquel il assigna Valence pour lieu de séjour. Cet Abou-Bekr est le même émir que le poète Ibn-Khafadja 3 a célébré dans ses vers

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1. Nous avons corrigé l'erreur d'Ibn-Khaldoun. Saragosse fut assiégé en 1114 par le roi d'Aragon. Ce prince s'empara alors de Tudèle, leva le siège de Saragosse, l'assiégea de nouveau en 1118 et s'en empara. 2. La notice des souverains espagnols se trouve dans la partie inédite de l'ouvrage.

3. La vie de ce poète se trouve dans le premier volume de la traduction d'Ibn-Khallikan, p. 36.

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et qui eut à son service [comme ministre] le philosophe AbouBekr-Ibn-Badja [Avenpacé], mieux connu sous le nom d'Ibnes-Saïgh 1. Ali-Ibn-Youçof donna à Ibn-Ghania-el-Messoufi le gouvernement de Dénia et des îles Baléares.

Pendant les quatorze premières années de son administration, Ali-Ibn-Youçof avait constamment joui des faveurs de la fortune, mais, enfin, la prospérité de son règne fut interrompue par l'apparition du Mehdi, fondateur de la secte des Almohades. Cet imam s'était d'abord occupé de l'étude et de l'enseignement; ensuite il se chargea gratuitement des fonctions de mufti (légiste consultant) et travailla avec un zèle extraordinaire à la réformation des mœurs. Dans l'accomplissement de cette tâche, ileut à subir bien des désagréments, surtout à Bougie, à Tlemcen et à Miknaça où il reçut toutes sortes de mauvais traitements des méchants et des gens pervers. Cité à comparaître devant l'émir Ali-Ibn-Youçof, il maintint une controverse avec les docteurs almoravides, les réduisit au silence et partit pour rejoindre sa tribu, les Hergha. Il était déjà arrivé au milieu de ce peuple quand Ali-Ibn-Youçof changea d'avis à son sujet et fit courir après lui. Les Hergha, sommés de livrer leur compatriote et se voyant menacés par un corps de troupes almoravides, formèrent une alliance avec les Hintata et les Tînmelel, et prirent tous l'engagement de protéger le Mehdi, de maintenir la vraie religion et de la propager, selon la promesse qu'ils lui avaient faite. Nous parlerons en détail de ces événements dans l'histoire des Almohades. En l'an 524 (1130), (deux ans] après la mort du Mehdi, son principal disciple, Abd-el-Moumen-el-Koumi, prit le commandement en vertu du testament de cet imam.

Les tribus masmoudites, animées alors d'un seul et même sentiment, attaquèrent, à plusieurs reprises, la ville de Maroc, et, pendant que la puissance des Lemtouna s'affaiblissait en Espagne, elles travaillèrent à faire triompher la cause almohade en Maghreb et à y rallier les autres populations berbères.

1. Dans ma traduction d'Ibn-Khallikan, vol. III, p. 133, se trouve une notice d'Avenpacé.

Après la mort d'Ali-Ibn-Youçof, événement qui eut lieu en l'an 537 (1142-3), l'autorité suprême passa à Tachefîn- Ibn-Ali, son fils et successeur désigné. Des deux côtés du Détroit l'on s'empressa de reconnaître le nouveau souverain, et cela au moment où les Almohades, devenus formidables, s'acharnaient à lui faire la guerre. Quand Abd-el-Moumen entreprit sa grande expédition dans les montagnes du Maghreb, Tachefîn le suivit de près, mais en se tenant dans les plaines, et il arriva ainsi à Tlemcen. Abd-el-Moumen et ses Almohades prirent alors position pour l'assiéger et campèrent auprès de la gorge qui s'ouvre1 entre les Deux-Rochers (Es-Sakhratein) du Tîrni, montagne qui domine la ville. Un corps de troupes sanhadjiennes commandé par Taher-Ibn-Kebab et envoyé au secours de Tachefîn par Yahya-Ibn-el-Azîz, seigneur de Bougie, se laissa alors entraîner par son ardeur et chargea les Almohades, mais il fut taillé en pièces et perdit son chef. A la suite de ce combat, Tachefîn s'enfuit à Oran, où il avait donné rendez-vous à son amiral', LobIbn-Meimoun, et à la flotte almoravide. Les Almohades se mirent à sa poursuite et pénétrèrent de vive force dans la ville. Oran succomba en l'an 541 (1146-7). Tachefîn y perdit la vie, ou, selon un autre récit, il disparut et on ne le vit plus 3. Les

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2. Amiral, en arabe caid ou caid-el-istol (conducteur de la stolé ou flotte). Les historiens arabes n'ont point d'autre terme pour désigner le chef d'un armement maritime. Le mot almilend, qu'ils emploient en parlant des commandants de flotte chrétienne, est une altération du mot espagnol almirante.

3. Plus loin, dans l'histoire du règne d'Abd-el-Moumen, on trouvera quelques détails sur la mort de ce prince. L'auteur du Cartas raconte cet événement de la manière suivante : « Etroitement bloqué dans Oran >> par les Almohades, Tachefin-Ibn-Ali sortit, de nuit, avec sa mohalla » (ou corps d'armée) pour surprendre l'ennemi; mais, ayant été ac» cablé par la nombreuse cavalerie et infanterie des assiégeants, il prit » la fuite. A ce moment, il se trouvait sur une colline élevée qui do» minait la mer, et, croyant courir sur un terrain uni, il alla se jeter » dans un précipice vis-à-vis du ribat (citadelle) d'Oran. Le lendemain, >> on découvrit son corps sur le bord de la mer et on en détacha la tête. » pour l'envoyer à Tînmelel. »

Almohades, devenus maîtres du Maghreb central, y massacrėrent les Lemtouniens.

A la mort de Tachefîn, son fils Ibrahîm fut proclamé souverain à Maroc, mais la faiblesse et l'incapacité de ce prince amenèrent sa déposition. On lui substitua son oncle Ishac, fils d'Ali et petit-fils de Youçof-Ibn-Tachefîn1. Ce fut alors que les Almohades arrivèrent sous les murs de la ville après avoir conquis tout le Maghreb. Le nouveau souverain, accompagné de ses favoris et de sa famille, alla se présenter devant Abd-el-Moumen, mais les Almohades les tuèrent tous sous les yeux du vainqueur 2.

En l'an 551 (1156), Abd-el-Moumen passa en Espagne avec les Almohades et se rendit maître de ce pays. De tous côtés la mort enveloppa les Lemtouna, et, avec eux, succombèrent leurs émirs; mais une bande de fuyards réussit à se jeter dans les îles orientales: Maïorque, Minorque et Ivîça. Plus tard, ces réfugiés quittèrent leur asile et allèrent fonder un nouvel empire dans la province de l'Ifrîkïa.

Histoire de l'EMPIRE FONDÉ A CABES ET A TRIPOLI PAR IBN-GHANÎA, DERNIER REPRÉSENTANT DE LA MONARCHIE ALMORAVIDE. RÉCIT DES EXPÉDITIONS QU'IL ENTREPRIT, DE CONCERT AVEC CARACOCHEL-GHOZZI, CONTRE LES ALMOHADES.

Les Almoravides reconnaissaient, d'abord, aux Guedala, une des tribus à litham, le droit de leur commander; mais, après la mort de Yahya-Ibn-Ibrahîm, ils rejetèrent l'autorité de leur chef spirituel, Abd-Allah-Ibn-Yacîn, [et brisèrent ainsi la confédéra

1. Dans le tableau des souverains almoravides, t. I, p. xxxi, l. 13, il aut lire : Ibrahim-Ibn-Tachefîn, et, ensuite, Ishac, fils d'Ali, etc.

2. Pour d'autres détails sur la dynastie des Almoravides, on peut consulter le Cartas.

3. Plus loin, dans l'histoire des Almohades, règne du sultan Yacoubel-Mansour, l'auteur donne une seconde version des aventures d'IbnGhania. Il aborde encore le même sujet dans sa notice sur les Hafsides.

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