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chef à travers les rangs des assiégeants. Les troupes d'El-Mansour les eurent bientôt atteints, et Abou-Yezîd, affaibli par sa blessure, glissa des bras des trois hommes qui l'emportaient et tomba dans un précipice. Il en fut retiré vivant et déposé aux pieds d'El-Mansour, qui se prosterna pour remercier Dieu. Dès ce moment Abou-Yezîd resta en détention auprès du prince fatemide, et vers la fin de Moharrem 336 (août 947), il mourut de ses blessures. Son cadavre fut écorché et sa peau, remplie de paille, fut placée dans une cage pour servir de jouet à deux singes qu'on avait dressés à ce métier. El-Mansour prit alors la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdïa 1.

Fadl, fils d'Abou-Yezid, alla trouver Mâbed-Ibn-Khazer et marcha avec lui contre Tobna et Biskera; mais ils durent se jeter dans les montagnes de Kîana pour échapper à la poursuite d'El-Mansour. Chafê et Caïcer, affranchis de ce monarque, conduisirent une armée contre eux, et Zîri-Ibn-Menad assista à cette expédition avec sa tribu, les Sanhadja. Les deux rebelles finirent par prendre la fuite, leurs partisans se dispersèrent et El-Mansour rentra enfin à Cairouan.

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Dans le mois de Safer 336 (août-sept. 947), El-Mansour marcha contre Hamid-Ibn-Isliten, gouverneur du Maghreb, qui, ayant cessé de reconnaître l'autorité de Fatemides, venait de mettre le siège devant Tèhert, après avoir proclamé dans cette province la souveraineté des Oméïades espagnols. Arrivé à SoucHamza, il y fit halte pour rallier les Sanhadja de Zîri-Ibn-Menad. Des renforts lui étant arrivés de tous les côtés, il alla délivrer Tehert. Hamid courut s'embarquer à Ténès et se rendit à Cordoue, auprès d'En-Nacer, le souverain oméïade.

Pendant son séjour à Tèhert, El-Mansour nomma Yala-IbnMohammed l'ifrénide au gouvernement de cette ville et accorda

1. Dans le tome III, se trouve encore un chapitre sur Abou-Yezîd.

à Zîri-Ibn-Menad le commandement général des Sanhadja et de toute la région occupée par ce peuple. Ensuite il tourna ses armes contre les Louata, et les ayant refoulés dans le Désert, il occupa une position qui dominait la vallée du Mînas. Là, se voyaient trois montagnes dont chacune était couronnée d'un château en pierres de taille, et, sur la face d'un de ces édifices, on remarqua une large pierre portant une inscription. El-Mansour la fit interpréter et apprit que le sens était celui-ci : Je suis Soleiman le Serdéghos. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux et Dieu m'aida à les vaincre 1. C'est Ibn-erRakik qui, dans son histoire, rapporte cette circonstance.

Après avoir revêtu Zîri-Ibn-Menad des hautes fonctions dont nous venons de parler, El-Mansour partit pour Cairouan, où il arriva dans le mois de Djomada 336 (décembre 947). Averti alors que Fadl, fils d'Abou-Yezîd, venait de reparaître dans le Mont-Auras, il marcha aussitôt contre lui et, l'ayant poursuivi à travers le Zab jusqu'au Désert, il reprit la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdïa. Fadl profita de son éloignement pour venir assiéger Baghaïa, mais il fut assassiné par un nommé Batît, et sa tête fut envoyée à El-Mansour.

En l'an 339 (950-1), El-Mansour donna le gouvernement de la Sicile à El-Hacen-Ibn-Ali-Ibn-Abi-'l-Kelbi qui remplaça ainsi Khalil-Ibn-Ishac. El-Hacen s'y rendit indépendant et transmit l'autorité à ses enfants, ainsi que je le raconterai ailleurs 2.

El-Mansour, ayant appris que le roi des Francs 3 se préparait à faire la guerre aux musulmans, expédia une flotte sous la conduite de son affranchi Fareh, pour observer les mouvements de l'ennemi. Il envoya aussi l'ordre à El-Hacen-Ibn-Ali, gouverneur de la Sicile, de seconder ce général. Les deux chefs débarquèrent en Calabre et pénétrèrent dans le pays des Francs. Red

1. Voir t. I, p. 234.

2. Voir pp. 165 et suiv. de l'extrait d'Ibn-Khaldoun publié par M. Noël des Vergers sous le titre : Histoire de l'Afrique sous la dynastie des Aghlabites, etc.

3. C'est-à-dire l'officier qui gouvernait la Calabre au nom de l'empereur grec, Constantin VII.

djar1, roi de ce peuple, vint les combattre et essuya une défaite sanglante. Cette bataille eut lieu en l'an 340 (951-2). Deux années plus tard, Fareh revint à El-Mehdia, chargé de butin.

Mâbed-Ibn-Khazer avait persévéré dans la révolte depuis l'époque où il embrassa le parti de Fadl, fils d'Abou-Yezîd. Poursuivi sans relâche par les partisans du gouvernement fatemide, il fut fait prisonnier à la suite d'un combat et conduit avec son fils devant El-Mansour. On les promena à travers les rues d'El-Mansourïa, puis on leur ôta la vie. Ceci eut lieu en l'an 341 (952-3).

§ XII.

MORT D'EL-MANSOUR ET AVÈNEMENT DE SON FILS

EL-MOËZZ.

El-Mansour mourut le huitième jour du mois de Ramadan 341 (fin de janvier 953), après avoir rempli les fonctions de khalife pendant sept années. Il venait de s'exposer à la neige et à la pluie, de sorte qu'il en fut transi de froid, et, dans cet état, il était entré au bain, contre l'avis de son médecin, Ishac-IbnSoleiman-el-Israîli 2. Par cette imprudence il éteignit la chaleur naturelle du corps et s'attira une insomnie dont il mourut. Son fils Mâdd lui succéda et reçut le titre d'El-Moëzz li-dîn Illah (qui exalte la religiom de Dieu).

En l'an 342, El-Moëzz pénétra avec une armée dans l'Auras, parcourut cette montagne en tous les sens et accueillit la soumis

1. Reddjar est le nom donné par les historiens arabes à Roger I et à Roger II, roi de Sicile. Il est à peine nécessaire de relever l'étrange anachronisme de notre auteur.

2. La vie de ce médecin célèbre a été donnée par le biographe IbnAbi-Osaïbïa. Elle se trouve traduite dans l'Abd-Allatif de M. de Sacy, p. 43. Ibn-Abi-Osaïbïa dit qu'Israîli mourut vers l'an 320, mais l'anecdote racontée par Ibn-Khaldoun démontre que cet événement n'a pu avoir lieu qu'après l'an 341. Dans ma traduction d'Ibn-Khallikan, vol. I, p. 220, cette même anecdote est reproduite.

sion des Beni-Kemlan et des Melila, tribus hoouariennes. Il agréa aussi la soumission de Mohammed-Ibn-Khazer qui, depuis la mort de son frère Mâbed, n'avait cessé de solliciter sa grace. Laissant alors le commandement des troupes à son affranchi Caïcer, gouverneur de Baghaïa, il rentra à Cairouan. Caïcer travailla à soumettre les contrées voisines et, ayant gagné par sa douceur les cœurs des Berbères et rallié les populations qui avaient émigré, il conduisit leurs chefs à Cairouan. El-Moëzz leur accorda à tous de riches cadeaux et une réception honorable. Mohammed-Ibn-Khazer le maghraouien y arriva ensuite, et, touché de l'accueil plein de bienveillance que lui fit El-Moëzz, il ne le quitta plus et mourut à Cairouan, en l'an 348 (959-60).

En l'an 343 (954-5), El-Moëzz rappela d'Achîr Zîri-Ibn-Menad, émir des Sanhadja, et, lui ayant fait un riche présent, il le renvoya dans son gouvernement. L'année suivante il envoya à El-Hacen-Ibn-Ali, gouverneur de la Sicile, l'ordre d'opérer une descente sur la côte d'Espagne. Cet officier ravagea le territoire d'Almeria et rapporta en Sicile un butin considérable et beaucoup de prisonniers. En-Nacer, le souverain espagnol, confia aussitôt à son affranchi Ghaleb le commandement d'une flotte et l'envoya sur les côtes de l'Ifrîkïa. N'y pouvant effectuer un débarquement à cause de la résistance que lui opposèrent les troupes d'ElMoëzz, Ghaleb remit à la voile; mais, étant revenu dans les mêmes parages l'année suivante avec une flotte de soixante-dix navires, il incendia Mersa-'l-Kharez, dévasta les environs de Souça et ravagea le territoire de Tabarca.

El-Moëzz parvint toutefois à étendre son autorité en Ifrikïa et en Maghreb : le nombre de ses sujets s'accrut tous les jours, et la région qui s'étend depuis Ifgan, ville située à trois journées de marche au delà de Tèhert, jusqu'à Er-Rammada, endroit situé en deçà de la frontière égyptienne, le reconnut pour maitre. Tehert et Ifgan avaient pour gouverneur Yala-Ibn-Mohammed l'ifrenide; Achîr et ses dépendances obéissaient à Ziri-IbnMenad le sanhadjien ; El-Mecîla et les contrées voisines étaient sous le commandement de Djafer-Ibn-Ali-el-Andeloci ; Baghaïa reconnaissait l'autorité de Caïcer l'esclavon; Fez celle d'Ahmed

Ibn-Bekr-Ibn-Abi-Sehl-el-Djodami, et Sidjilmessa celle de Mohammed-Ibn-Ouaçoul le miknacien.

En l'an 347 (958-9), El-Moëzz apprit que Yala-Ibn-Mohammed l'ifrénide entretenait une correspondance avec les Oméïades espagnols et que le Maghreb-el-Acsa venait de repousser la domination des Fatemides. Cette nouvelle le décida à y envoyer une armée sous la conduite de son vizir, le kateb (secrétaire) Djouher l'esclavon1. Zîri-Ibn-Menad, gouverneur d'Achîr, et Djâfer-IbnAli, seigneur d'El-Mecila, accompagnèrent cette expédition, ainsi que Yala-Ibn-Mohammed, seigneur du Maghreb central. Quand cette armée passa par Ifgan, une rixe éclata parmi les troupes de l'arrière-garde, et Djouher, à qui on vint annoncer que les Ifrénides pillaient les bagages, ordonna l'arrestation de Yala qui fut aussitôt tué à coups de sabre par les Ketamiens. Ifgan fut saccagée, et Yeddou, fils de Yala, fut mis en arrestation. Djouher marcha ensuite sur Fez avec l'intention d'y assiéger Ahmed-IbnBekr-el-Djodami, mais la résistance que cette ville lui opposa le décida à suspendre l'attaque et à décamper. Il prit alors la route de Sidjilmessa, où Mohammed-Ibn-el-Feth-Ibn-Ouaçoul gouvernait sous le titre d'Emîr-el-Moumenîn (commandant des croyants), après avoir fait graver son nom sur les monnaies ainsi que l'inscription suivante : tacaddecet ezzet Allah (que la gloire de Dieu soit vénérée). Ce prince, averti de l'approche de l'ennemi, avait pris la fuite, mais il fut fait prisonnier et livré à Djouher. L'armée fatemide se rendit ensuite jusqu'au bord de l'Océan [atlantique], soumettant tous les pays qu'elle traversait, et, revenu sous les murs de Fez, elle l'emporta d'assaut. Zîri-IbnMenad eut l'honneur de cette conquête, ayant escaladé la place pendant la nuit. Fez succomba en l'an 348 (959-60). Le gouverneur, Ahmed-Ibn-Bekr, tomba entre les mains des vainqueurs et fut remplacé par un serviteur de Djouher; tous les préfets que

1. Variante: le Sicilien. Ibn-Khallikan a donné une notice sur Djouher dans son dictionnaire biographique ; voir vol. I, p. 340 de ma traduction de cet ouvrage. On trouvera dans le même volume une notice de Zîri et une autre de Djâfer-Ibn-Ali.

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