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alors sa résidence et marcha rapidement vers sa destination. Après avoir traversé le Djebel-ez-Zan et perdu Abou-l-CacemIbn-Abi-Djebbi, qui avait reçu l'ordre de les accompagner et qui mourut au passage de cette montagne, les troupes abd-elouadites commencèrent le siège de Bougie; mais, au lieu de continuer, elles quittèrent leurs positions afin d'aller ravager les contrées situées à l'est de cette ville. Pendant leur marche, elles mirent tout à feu et à sang, et, ayant pénétré, l'an 713 (1313), dans la montagne des Beni-Thabet, elles y répandirent la ruine et la mort. Le corps d'armée préposé à la défense de cette région leur mit enfin tant de monde hors de combat et remporta sur elles tant d'avantages, qu'il les força à la retraite. Ce fut alors que les Abd-el-Ouadites construisirent et approvisionnèrent leur forteresse à Zeffoun. Quand ils furent de retour de cette expédition, le sultan fit de vifs reproches à Mohammed-IbnYouçof et à Moçameh, et, en punition de leur négligence et incapacité, il leur ôta leurs commandements.

En l'an 714 (1314-5), le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] revint de Constantine et envoya un corps d'armée contre la forteresse que les Beni-Abd-el-Ouad avaient bâtie à Zeffoun. Ces troupes, étant soutenues par la flottè qui fut expédiée de Bougie pour le même objet, s'emparèrent de la place et la ruinèrent de fond en comble, après en avoir enlevé tous les approvisionnements. L'année suivante, une armée abd-el-ouadite, commandée par Masoud-Ibn-Abi-Amer-Ibrahîm, cousin du sultan Abou-Hammou, vint attaquer la ville de Bougie. Pendant le siège, le bruit se répandit que Mohammed-Ibn-Youçof-IbnYaghmoracen [prince de la famille royale de Tlemcen] s'était mis en révolte, et, qu'ayant obtenu l'appui des Beni-Toudjîn, il s'était emparé du camp d'Abou-Hammou à la suite d'un combat qui avait amené la déroute des Abd-el-Ouadites. Masoud abandonna aussitôt ses positions et s'éloigna de la ville. Bientôt après, le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] reçut de Mohammed

1. Littéralement : il leur attacha le collier de la négligence êt de l'incapacité. Il faut lire oua tauwacahoma.

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Ibn-Youçof la promesse de faire cause commune avec lui et de le reconnaître pour souverain. Par suite de cette communication, Mohammed-Ibn-el-Haddj, un des serviteurs du sultan, porta au prince abd-el-ouadite les emblèmes du commandement avec un riche cadeau et l'assurance d'obtenir un secours efficace et la concession de tous les domaines que Yaghmoracen avait autrefois reçus du gouvernement de l'Ifrîkïa. Le sultan, ayant ainsi suscité à la cour de Tlemcen assez d'embarras pour l'empêcher d'attaquer Bougie, sortit avec ses troupes afin d'examiner l'état de ses provinces.

IBN-GHAMR ÉTABLIT SA DOMINATION A BOUGIE.

Le chambellan Ibn-Ghamr continuait depuis longtemps à gouverner l'esprit du sultan ; il réglait toutes les volontés de ce prince; il contrôlait ses ordres et, par des insinuations perfides, il obtenait de lui la mort ou le bannissement de plusieurs courtisans. Le sultan commença enfin à se lasser d'une telle servitude, et, en l'an 713, il poussa secrètement quelques habitants de Constantine à tuer, en guet-apens, ce puissant ministre. Un plan fut adopté pour y parvenir; mais, avant de recevoir son accomplissement, il fut découvert par Ibn-Ghamr qui en fit punir les auteurs par divers genres de supplices. Dans la même année, le sultan revint à Bougie, afin de relever le courage des habitants toujours exposés aux dangers d'un siège 1, et, jusqu'au moment d'atteindre l'âge viril, il continua à subir la domination de son chambellan. A cette époque, il laissa percer la violence de son caractère, et, dans une partie de débauche, il tua de sa propre main Mohammed-Ibn-Fadl, sans même avoir prévenu le ministre de son intention. Le lendemain, de bonne heure, IbnGhamr se rendit à la porte du palais pour y donner audience comme d'habitude et il vit, étendu au milieu du chemin, le corps d'Ibn-Fadl, tout habillé et couvert de sang. Ayant appris

1. Dans le texte arabe, lisez : hiçariha.

ce qui venait de se passer, il reconnut avec inquiétude que le sultan commençait à montrer de l'énergie et à agir en maître. Craignant alors pour lui-même et sachant que les intrigues des courtisans et les calomnies des intimes du palais devaient avoir dorénavant des suites redoutables, il chercha un prétexte pour décider le sultan à s'éloigner de Bougie, afin de pouvoir y commander lui-même sans opposition. Il l'encouragea donc à tenter la conquête de l'Ifrîkïa, et, ayant organisé une armée et réuni tout ce qu'il fallait en fait de tentes, de machines de guerre et de serviteurs, il se chargea de la solde des troupes et les mit à la disposition du prince, en l'invitant à marcher contre [AbouYahya-]Ibn-el-Lihyani et à lui enlever ce pays. En l'an 715 (1315-6), Abou-Yahya-Abou-Bekr prit le commandement de cette armée et se rendit à Constantine, d'où il fit une irruption dans le territoire des Hoouara et en expulsa le commandant militaire, Dafer, et les autres affranchis hafsides au service de cet officier. Ayant levé l'impôt de toute cette région, il reprit le chemin de Constantine et y fit son entrée en l'an 716. Pendant ce temps, Ibn-Ghamr gouvernait la ville de Bougie en maître absolu et la défendait contre les Zenata [abd-el-ouadites], et comme le sultan avait accepté Mohammed-Ibn-Caloun comme vice-chambellan 1, il se vit au comble de ses vœux et possesseur de l'indépendance qu'il avait tant souhaitée. Nous le reverrons plus tard.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-EL-LIHYANI SE REND A CABES

ET ABDIQUE.

Le sultan Abou-Yahya-Ibn-el-Lihyani, étant alors très avancé en âge, reconnut, par son expérience des affaires politiques, qu'il ne pourrait supporter plus longtemps le poids du khalifat. Il venait d'apprécier les droits légitimes des descendants de l'émir Abou-Zékérïa l'ancien au trône de l'Ifrîkïa et la puissance du nouvel empire fondé par l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr

1. Pour hidjabetihi, il faut lire probablement hidjabeti.

Dans le mois de Djomada [premier] 717 (juillet-août 1317), le sultan quitta Constantine à la tête de son armée. Pendant sa marche, il accueillit les députations des tribus arabes, et, arrivé à Bédja, il trouva que la garnison avait évacué la place pour rentrer à Tunis. Abou-l-Hacen-Ibn-Ouanoudîn, lieutenant du sultan Ibn-el-Lihyani, fit aussitôt prévenir son maître de l'approche du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr et lui déclara qu'il devait absolument venir et repousser l'ennemi. Le sultan s'en excusa, mais il mit à la disposition des envoyés l'argent qu'il avait par devant lui et leur donna l'autorisation de lever autant de troupes qu'ils voudraient. [Rentrés à Tunis, ] ils commencèrent à monter un corps de cavalerie, à enrôler des fantassins et à organiser une administration militaire. Il firent aussi remettre en liberté le prince Mohammed-Abou-Darba (le balafré), fils d'Ibn-el-Lihyani'. La nouvelle s'étant alors répandue tout-à-coup que le sultan de Constantine était en vue de Bédja, [toute cette armée sortit de Tunis [pour le combattre, et Moulahem-IbnOmar-Ibn-Abi-'l-Leil passa à l'ennemi. Il y avait longtemps que ce chef attendait une occasion semblable, étant très mécontent du gouvernement tunisien et de la préférence que son frère, Hamza, avait trouvée auprès d'Ibn-el-Lihyani. Ayant rencontré le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr en deçà de Bédja, il se mit à ses ordres et l'encouragea à marcher en avant. Dans le mois de Châban (octobre), le sultan arriva en vue de Tunis et campa dans le Raud-es-Senadjera (prairie des Sindjar), un des parcs royaux. Les notables de la ville hésitèrent toutefois à lui prêter le serment de fidélité, ne sachant pas la tournure que prendrait la tentative d'Abou-Darba et de ses partisans.

Voici comment les choses se passèrent : Quand le sultan de Constantine quitta Bédja pour se porter en avant, Hamza-IbnOmar courut à Tunis et trouva les amis et partisans d'Ibn-elLihyani sur le point d'abandonner la ville. Il leur conseilla de proclamer Abou-Darba, afin de contenir le peuple et de marcher

1. L'auteur ne dit pas pour quelle raison Abou-Yahya avait fait emprisonner son fils.

ensuite contre l'ennemi. Il parvint aussi à obtenir de son frère Moulahem la promesse de jeter le désordre dans l'armée [d'Abou-Yahya-Abou-Bekr]. Ce monarque avait passé sept jours au Raud-es-Senadjera sans pouvoir faire reconnaître son autorité dans Tunis, et ayant alors appris que Moulahem devait le trahir, il décampa précipitamment et prit la route de Constantine.

Moulahem le quitta alors pour rentrer dans son pays, et Mansour-Ibn-Mozni se rendit à Bougie pour remplir une mission auprès d'Ibn-Ghamr. Vers le milieu de Châban, Abou-Darba rentra à Tunis avec ses Almohades et fut proclamé khalife, sous le titre d'El-Mostancer [IV]. Après avoir décidé les Tunisiens à entourer leurs faubourgs d'une muraille d'enceinte, il fit entreprendre ce travail malgré les exigences des Arabes qui lui demandaient des sommes exorbitantes pour l'avoir soutenu. Bientôt après, notre seigneur le sultan[Abou-Yahya-Abou-Bekr] y entreprit une seconde expédition.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-ABOU-BEKR PREND POSSESSION DE LA
CAPITALE.
DÉFAITE D'ABOU-DARBA ET FUITE DE SON PÈRE

EN ORIENT.

Avant de s'éloigner de Tunis pour rentrer à Constantine, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr fit partir pour Bougie son caïd Mohammed-Ibn-Séïd-en-Nas. L'arrivée de cet officier causa tant. d'inquiétude à Ibn-Ghamr qu'il prétendit ne point le connaître et refusa de le recevoir. Une conduite aussi suspecte n'échappa pas à l'observation du sultan, mais il dut fermer les yeux là-dessus et se contenter de demander des renforts. Alors Ibn-Ghamr se montra empressé à obéir; il réunit des troupes, des tentes, des machines de guerre, et bientôt il expédia au sultan sept corps d'armée, commandés chacun par un grand dignitaire de l'empire. Ces chefs étaient Mohammed-Ibn-Séïd-en-Nas, Mo

1. Lisez yordjif dans le texte arabe.

T. II.

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