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chrétiens qui se tenaient dans El-Cachetîl. Cette forteresse avait été bâtie par eux en 688 (1289), lors de la conquête, pour servir de retraite à leur garnison. Pendant que ses agents parcouraient l'île pour y prélever l'impôt, il tint le château étroitement bloqué; mais, ayant épuisé ses vivres et reconnu l'impossibilité de réduire la place autrement que par un blocus très prolongé, il décampa au bout de deux mois et rentra à Cabes. S'étant alors dirigé vers le Djerîd, il fit halte à Touzer et, secondé par AhmedIbn-Mohammed-Ibn-Yemloul, cheikh de cette ville, il parvint à faire rentrer les impôts de toute la province. Cette besogne terminée, il reprit le chemin de Cabes où il descendit chez Abd-elMélek-Ibn-Othman-Ibn-Mekki. Alors il fit connaître son intention de partir pour la Mecque et renvoya l'armée à Tunis 1.

Il eut pour successeur dans la place de chef des Almohades Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten. Pour éviter l'air malsain de Cabes, il alla habiter une des montagnes voisines, en attendant le passage de la première caravane qui se dirigerait vers la Mecque. Il était alors malade, et, lorsqu'il eut recouvré la santé, il se rendit à Tripoli où il séjourna un an et demi. Ce fut alors seulement, c'est-à-dire vers la fin de l'an 708 (mai 1309), que l'ambassade du gouvernement turc[-mamelouk] arriva du Maghreb-el-Acsa. Il partit avec elle et, après avoir accompli le pèlerinage, il rentra à Tunis et monta sur le trône des Hafsides. Plus loin, on trouvera l'histoire de cet événement.

En l'an 708, après l'évacuation de Djerba par les troupes musulmanes, la garnison d'El-Cachetîl reçut un renfort que lui amena Frédéric, fils du roi et seigneur de la Sicile. Les sectaires nekkariens de l'île s'opposèrent au progrès de l'ennemi et combattirent sous les ordres d'Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Hacen,

1. On trouvera beaucoup de détails sur l'expédition d'Ibn-el-Lihyani et sur l'état de la province de Tunis, dans le voyage d'Et-Tidjani dont M. A. Rousseau a fait paraître la traduction dans le Journal asiatique de 1852-1853. Voir, sur Et-Tidjani, notre premier volume, p. 136,

note.

2. Il s'agit ici de Frédéric, fils de Pierre d'Aragon.

cheikh almohade, secondé par Ibn-Aumghar et ses gens, natifs de Djerba. Dieu accorda la victoire aux musulmans. Depuis la chute de l'empire sanhadjite, cette île fut continuellement exposée aux attaques de l'ennemi ; quelquefois aussi, la guerre civile éclatait entre les deux sectes hérétiques qui y demeuraient, et alors l'une ou l'autre de ces factions se réunissait aux chrétiens. Cet état de choses dura assez longtemps; mais, entre les années 740 et 750, sous le règne de notre seigneur Abou-Yahya-Abou-Bekr, Djerba fut enlevée aux chrétiens, ainsi qu'on le verra dans l'histoire de ce prince.

MORT DU SULTAN ABOU-ACÎDA ET INAUGURATION D'ABOU-BEKR

ES-CHEHÎD.

Dans le mois de Rebiâ second 709 (septembre 1309), le sultan cessa de vivre, après avoir joui d'un règne long et prospère. Il mourut dans son lit, emporté par une maladie hydropique dont il souffrait depuis longtemps. Comme il ne laissa point. d'enfants, les Almohades placèrent sur le trône un descendant de l'émir Abou-Zékérïa, aïeul de la famille royale. Ce prince, qui se nommait Abou-Bekr -Abd-er-Rahman, vivait alors dans le palais. Son père, Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa, est celui dont nous avons mentionné la mort dans le chapitre qui traite de la prise de Milîana par son frère germain Abou-Hafs 3. Cet événement eut lieu sous le règne du sultan El-Mostancer. Les enfants d'Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa, furent élevés dans le palais, à l'ombre tutélaire de la souveraineté, et son petit-fils, Abou-Bekr-Abd-er-Rahman, grandit au milieu des soins et des faveurs dont le sultan Abou-Acîda s'était plu à l'entourer. Lors de la mort d'Abou-Acîda, [le chef arabe] Hamza-Ibn-Omar,

1. Notre auteur indique ailleurs que la conquête de Djerba eut lieu en 738.

2. Ici et ailleurs, les manuscrits portent: Abou-Bekr-Ibn-Abd-erRahman.

3. Voir ci-devant, p. 353.

qui avait perdu tout espoir de faire remettre en liberté son frère [Moulahem], s'était rallié au parti d'Abou-'l-Baca, sultan de Bougie, et n'avait cessé de pousser ce prince à s'emparer du royaume de Tunis; aussi, quand Abou-Ali-Ibn-Kethîr vint leur annoncer la vacance du trône, le sultan fit tous ses préparatifs et marcha sur la capitale. Cette démonstration inspira beaucoup d'inquiétude aux Almohades et les décida à proclamer la souveraineté de l'émir Abou-Bekr 2 [-Abd-er-Rahman], prince que l'on désigne ordinairement par le surnom d'Es-Chehid (le martyr), parce qu'il fut mis à mort dix-sept jours après son avènement au trône. Le nouveau souverain conserva AbouAbd-Allah-Ibn-Irzîguen comme vizir, mais il destitua le chambellan, Mohammed-Ibn-ed-Debbagh, en le menaçant de sa vengeance à cause du peu d'égards que ce fonctionnaire lui avait témoignés sous le règne du feu sultan. Dès lors Ibn-ed-Debbagh ne cessa de travailler contre lui.

LE SULTAN ABOU-'L-BACA-KHALED OCCUPE LA CAPITALE ET DEVIENT LE SEUL REPRÉSENTANT DE LA SOUVERAINETÉ HAFSIDE.

Abou-'l-Baca se trouvait à Bougie, capitale de ses états, quand il apprit la maladie du sultan Abou-Acîda, et, craignant que les gens de Tunis ne fussent tentés de rompre le traité qui assurait au dernier survivant des deux souverains le droit de succéder à l'autre, il résolut de se rapprocher de Tunis, afin de veiller à ses intérêts et de faire valoir ses prétentions au trône. Cette démarche lui fut vivement conseillée par Hamza-Ibn-Omar, chef arabe qui avait abandonné le parti des Tunisiens. Ayant quitté Bougie sous le prétexte de faire une expédition contre Alger, où Ibn-Allan commandait encore en maître, il prit la route de Casr-Djaber, et, en y arrivant, il reçut la nouvelle

1. Tome I, p. 146.

2. Dans le texte des manuscrits, on trouve ici Zékérïa à la place de Bekr, et, quelques lignes plus haut, on y lit Kebîr à la place de Kethir.

qu'Abou-Acîda venait de mourir et que les Almohades avaient proclamé souverain le prince Abou-Bekr-Abd-er-Rahman, fils d'Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa. Indigné de la mauvaise foi du gouvernement tunisien, il pressa sa marche et rallia sous ses drapeaux toutes les tribus commandées par les Aulad-Abi-'lLeil. Quant aux Aulad-Mohelhel, rivaux de ceux-ci, ils allèrent joindre le sultan de Tunis.

Le ministre Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten et le vizir Abou-AbdAllah-Ibn-Irzîguen prirent alors le commandement des troupes tunisiennes, avec la résolution de mourir pour la défense de leur maître. Devant la charge de l'armée d'Abou-'l-Baca, celle de Tunis recula en désordre et abandonna son camp; Ibn-Irzîguen fut frappé à mort, et les Arabes Mohelhel prirent la fuite pour se jeter dans le Désert. Pendant l'agitation que la rentrée des fuyards avait excitée dans la ville, le sultan Abou-Bekr-Abder-Rahman alla se poster en dehors des remparts; mais, voyant ses troupes passer du côté d'Abou-'l-Baca, il prit la fuite et se réfugia dans une maison de campagne. Tiré bientôt de sa retraite, il fut conduit devant Abou-'l-Baca et emprisonné dans une tente par l'ordre de ce prince. Les cheikhs almohades, les hommes de loi et tous les autres notables de la ville sortirent alors au devant du vainqueur et lui prêtèrent le serment de fidélité. L'émir Abou-Bekr fut mis à mort, et depuis lors on l'a toujours désigné par le surnom d'Es-Chehîd (le martyr). Il fut tué par son cousin Abou-Zékérïa-Yahya-Ibn-Zékérïa, cheikh almohade. Le lendemain, Abou-l-Baca fit son entrée dans la capitale et, devenu maître du khalifat, il prit le titre d'En-Nacer-li-dîn-Illah el-Mansour (le champion de la religion de Dieu, le victorieux), auquel il ajouta plus tard le surnom d'El-Motewekkel (qui se confie à Dieu). Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten garda sa position et fut déclaré chef des Almohades, mais il dut partager les fonctions de cet office avec Abou-Zékérïa-Yahya-Ibn-Abi-'l-Alam, chef des Almohades de Bougie. Abou- Abd-er-RahmanYacoub-Ibn-Ghamr continua à servir le sultan en qualité de chambellan. La perception des impôts fut confiée à MansourIbn-Fadl-Ibn-Mozni.

IBN-MOZNI PROCLAME LA SOUVERAINETÉ DE YAHYA

IBN-KHALED.

Yahya-Ibn-Khaled, petit-fils du sultan Abou-Ishac, vivait à la cour d'Abou-l-Baca; mais, étant tombé en disgrâce à cause de sa conduite imprudente, il crut éviter la colère du sultan en se réfugiant auprès de Mansour-Ibn-[Fadl-Ibn-]Mozni, [à Biskera]. Mansour, étant alors en mauvaise intelligence avec Ibn-Ghamr, consentit à soutenir les prétentions de son hôte et à lui servir de ministre; puis, ayant rassemblé ses Arabes, il alla faire des courses sur le territoire de Constantine, ville qui était alors gouvernée par Ibn-Tofeil. Une foule de vagabonds se mirent alors aux ordres de Yahya et captèrent sa confiance, au point d'obtenir de lui la promesse qu'aussitôt maître du trône il les débarrasserait de Mansour. Celui-ci, ayant découvert les mauvaises intentions du prince et des gens qui l'entouraient, cessa de le soutenir et rentra dans Biskera. Les bandes de Yahya se dispersèrent, et Mansour, ayant fait sa soumission, reprit sa place à côté du chambellan [Ibn-Ghamr] et des favoris du sultan.

Yahya se rendit à Tlemcen pour y chercher des secours et descendit chez le sultan Abou-Zian-Mohammed, fils d'Othman et petit-fils de Yaghmoracen. Quelques jours après son arrivée, Abou-Zian mourut et son frère, Abou-Hammou, monta sur le trône. Avec les troupes fournies par ce prince, Yahya-IbnKhaled alla assiéger Constantine, mais il y trouva une résistance qui déjoua tous ses efforts. S'étant ensuite rendu à Biskera, sur l'invitation d'Ibn-Mozni, il se fixa chez cet émir qui lui assigna une forte pension et une garde pour le surveiller. [Plus tard,] Ibn-el-Lihyani, sultan de Tunis, envoya un riche cadeau à Ibn-Mozni dans le but de s'assurer les bonnes dispositions d'un chef, qui, à chaque instant, pouvait lui susciter un rival. Il lui concéda même plusieurs villages aux environs de Tunis, lesquels appartiennent encore à la famille Mozni. Yahya-Ibn-Khaled passa le reste de ses jours en détention chez Ibn-Mozni et mourut en l'an 721 (1321).

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