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était au service d'Ibn-Abi-Djebbi, il devint le lieutenant d'IbnGhamr et chercha ensuite à le supplanter. Pour se venger de ce mauvais procédé, Ibn-Ghamr fit découvrir au sultan certains projets de trahison qu'Er-Rokhami nourrissait en secret. Cette révélation entraîna la chute du vice-chambellan1 qui fut déporté en Maïorque [chez les chrétiens] après avoir subi la torture et la confiscation de ses biens. Plus tard, le sultan mérinide, YouçofIbn-Yacoub, disgrâciaAbd-Allah-Ibn-Abi-Medyen et racheta ErRokhami pour en faire son ministre des finances, ainsi que nous le raconterons ailleurs?; mais la mort de ce souverain frustra les espérances du proscrit qui, depuis lors, ne quitta plus Tlemcen, et mourut dans cette ville. Yacoub-Ibn-Ghamr, ayant conservé la place de chambellan, la remplit avec tant d'habileté que le sultan lui confia l'administration de l'état. Les fonctionnaires de tous grades furent soumis à son contrôle, et rien ne se décida dans le conseil d'état sans son approbation. Le premier individu qui succomba sous les coups de sa puissance fut son ancien protecteur Merdjan : il réussit à indisposer le sultan contre lui; puis il le fit arrêter et jeter à la mer pour servir de nourriture aux poissons. N'ayant plus alors de rival à craindre, il conserva l'entière direction des affaires jusqu'au jour où Aboul-Baca s'empara de Tunis.

IBN-EL-AMÎR PROCLAME ABOU-ACIDA A CONSTANTINE.

PRISE DE

LA VILLE PAR ABOUL-'L-BACA ET MORT DU CHEF RÉVOLTÉ.

Nous aurons à raconter, dans l'histoire des Mérinides, comment Youçof-Ibn-el-Amîr 3-el-Hemdani fut tué à Tanger par les

1. La disgrâce d'Er-Rokhami eut lieu quelque temps après la révolte d'Ibn-el-Amîr à Constantine. Voir ci-après, p. 425.

2. Dans l'histoire de Youçof-Ibn-Yacoub, on cherche vainement le passage auquel l'auteur renvoie ici son lecteur.

3. Variante: Amin.

[petits-] fils d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack. Ses enfants passèrent à Tunis afin d'obtenir du sultan El-Mostancer la juste récompense du zèle que leur famille avait déployé en faveur de la dynastie hafside, depuis le temps où Abou-Ali-Ibn-Khalas gouvernait à Ceuta jusqu'au moment où El-Azéfi usurpa le commandement de cette ville. On trouvera dans notre chapitre sur El-Azéfi les détails de ces événements 1. Accueillis à Tunis de la manière la plus bienveillante, ils reçurent du gouvernement des pensions et des grâces qui suffirent pour leur procurer tous les agréments de la vie. L'aîné de ces frères s'y fit bientôt remarquer par sa hauteur et son insolence; et, plus d'une fois, il aurait attiré sur sa famille la sévérité du gouvernement, si l'indulgence du sultan ne l'eût pas emporté sur le mécontentement général. Leurs enfants furent élevés dans l'opulence, et l'un d'entre eux, Abou-'l-Hacen-Ali, se retira à Bougie lors des troubles et changements qui suivirent la mort du sultan [ElMostancer]. Pendant son séjour dans cette ville, il gagna l'amitié d'Ibn-Abi-Djebbi et, pour s'attacher à lui par les liens les plus solides, il en épousa la fille. Cet homme d'état, ayant obtenu de l'émir Abou-Zékérïa la place de chambellan, n'épargna aucune démarche pour faire admettre son gendre au partage de la puissance et des honneurs. Le succès répondit à ses efforts, et Abou'l-Hacen-Ibn-el-Amîr monta rapidement aux plus hauts emplois jusqu'à se faire nommer gouverneur de Constantine et chambellan du prince Abou-Bekr[-Abou-Yahya], fils de l'émir AbouZékérïa. Dans cette position, il montra beaucoup de talent et de prudence; mais, voyant que la chute de son beau-père l'exposait aussi à la vengeance du sultan, il fit proclamer à Constantine l'autorité du souverain de Tunis. Avec l'acte d'hommage qu'il

1. Voir aussi page 334 de ce volume.

2. Le onzième souverain hafside se nommait Abou-Bekr et portait le surnom d'Abou-Yahya, Dans cette traduction, les deux appellations sont constamment employées ensemble pour éviter la confusion à laquelle une étrange fantaisie de notre historien peut donner lieu dans le premier volume du texte arabe, il appelle presque toujours ce sultan Abou-Bekr et, dans le second, il le nomme Abou-Yahya.

expédia à cette capitale et auquel les habitants de la ville avaient donné leur adhésion, il envoya une lettre dans laquelle il demanda des renforts et la présence d'un représentant du sultan. En l'an 704 (1304-5), Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn Ahmed-IbnMohammed-el-Lihyani, chef des Almohades et premier ministre de l'empire, arriva à Constantine et ratifia, au nom de son maître, l'acte de soumission.

Le sultan Abou-'l-Baca, ayant appris cette nouvelle, quitta Bougie vers la fin de l'année et marcha sur Constantine. Pendant quelques jours il fit inutilement le siège de la place et il se disposait même à s'en éloigner, quand un nommé Ibn-Mouza, un des favoris d'Ibn-el-Amîr, ouvrit une correspondance secrète avec Abou-'l-Hacen-Ibn-Othman, cheikh almohade [au service du prince de Bougie]. Cet officier, qui était posté en face du Babel-Ouadi [porte qui domine la rivière], fit marcher ses gens à l'assaut et escalada les murailles, grâce à la connivence d'IbnMouza. Au bruit des armes, le sultan monta à cheval, conduisit son armée jusqu'à la porte de la ville, qui lui fut ouverte par ses partisans. Les Gonfodi1, les Badîs et les [autres] notables s'empressèrent de sortir au devant de lui; mais la ville fut emportée d'assaut, et Abou-Mohammed-er-Rokhami? courut avec la garde du sultan vers le palais. Ibn-el-Amîr, se voyant abandonné de tout le monde, alla se barricader dans une chambre sur le toit de cet édifice, avec l'intention de vendre chèrement sa vie; mais, séduit par les promesses d'Er-Rokhami, il consentit enfin à sortir de sa retraite. On le fit aussitôt monter à rebours sur une mauvaise rosse et on le conduisit ainsi devant le sultan. Il fut mis à mort sur-le-champ, et son cadavre, attaché à un pieu, resta exposé aux yeux du public, pour lui servir de leçon et d'exemple.

1. Variantes: Ghonfol, Gongodi, Gonfodi. Cette dernière est la bonne leçon.

2. Cet Abou-Mohammed-er-Rokhami est la même personne que l'AbdAllah-er-Rokhami des pages 120 et 122.

EXPÉDITION DU SULTAN ABOU-'L-BACA CONTRE ALGER.

Nous avons déjà parlé de la révolte d'Alger contre l'autorité de l'émir Abou-Zékérïa et raconté comment Ibn-Allan y usurpa le commandement. Quand le sultan Abou-l-Baca eut rétabli l'ordre dans ses états, après être monté sur le trône de Bougie, il pensa que la mort de Youçof-Ibn-Yacoub et l'abandon du siège de Tlemcen par les Mérinides lui avaient procuré une bonne occasion de marcher contre Alger. En l'an 706 (1306-7) ou 707, il se mit en campagne et, arrivé dans la Metîdja, il reçut la soumission de Mansour-Ibn-Mohammed, chef des Melikich. Toute la tribu suivit l'exemple de son cheikh. Il prit, en même temps, sous sa protection Rached-Ibn-Mohammed-Ibn-Thabet,émir des Maghraoua, qui s'était enfui devant les Beni-Abd-el-Ouad. Ayant alors ressemblé toutes les tribus des environs, il marcha sur Alger, mais la résistance qu'il y rencontra fut si vigoureuse qu'au bout de quelques jours il reprit le chemin de sa capitale. Les Melîkich lui demeurèrent fidèles et ne cessèrent de harceler la ville d'Alger jusqu'au jour où elle tomba au pouvoir des Beni-Abd-el-Ouad. Dans l'histoire de Beni-Zian, nous reparlerons de cet événement. Rached-Ibn-Mohammed accompagna Abou-l-Baca à Bougie où il resta au service et sous la protection de ce prince; mais il fut enfin tué par Abd-er-Rahman-IbnKhalouf, ainsi que le lecteur le verra ailleurs.

LA PAIX S'ÉTABLIT ENTRE LES SOUVERAINS DE TUNIS ET
DE BOUGIE.

La prise de Constantine et la mort d'Ibn-el-Amir ayant laissé au sultan Abou-l-Baca la liberté de tourner ses armes ailleurs, le gouvernement de Tunis éprouva un vif regret d'avoir tardé à faire la paix avec lui. La mort du [sultan mérinide] Youçof-IbnYacoub, qui eut lieu vers la même époque, trompa aussi l'espoir des Tunisiens en les privant du seul allié qui fut capable de

tenir le prince de Bougie en échec, et les disposa à souhaiter une suspension d'armes. Leurs envoyés se rendirent à Bougie et négocièrent un traité de paix, dont un des articles, dicté par le sultan Abou-'l-Baca lui-même, portait que celui des deux monarques qui survivrait à l'autre hériterait du trône vacant et serait reconnu comme sultan. La ratification de ce traité se fit d'abord à Bougie en présence des grands officiers et des cheikhs almohades, et ensuite à Tunis avec la même formalité. Bien que les deux parties eussent déclaré solennellement qu'elles acceptaient cet acte comme valide et qu'elles en rempliraient toutes les conditions, les Tunisiens refusèrent de s'y conformer lors de la mort du sultan Abou-Acîda.

ABOU-YAHYA-EL-LIHYANI, GRAND CHEIKH DE L'EMPIRE, MÈNE UNE EXPÉDITION CONTRE DJERBA ET PART ENSUITE POUR LA MECQUE.

Quand la paix fut établie entre les deux empires, le premier soin du ministre tunisien, Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-el-Lihyani, fut de tourner son attention vers le salut de son âme et de chercher dans son esprit le moyen d'échapper aux liens qui le retenaient dans la vie publique. Il attendait avec impatience le retour de l'ambassade que les émirs de l'Égypte avaient envoyée au sultan Youçof-Ibn-Yacoub et qui, après être débarquée à El-Mehdïa, s'était dirigée vers le Maghreb. Il comptait se joindre à cette caravane lorsqu'elle serait en route pour l'Égypte, pays d'où il pourrait facilement atteindre la Mecque. Comme ces envoyés tardaient de venir, il résolut de partir sans les attendre davantage, et, pour mieux cacher son dessein, il imagina de faire une expédition contre l'île de Djerba afin d'en expulser les chrétiens, et ensuite contre le Djerîd pour faire rentrer ce pays dans l'ordre. Après avoir pris l'avis du sultan sur le but ostensible de cette expédition, il partit de Tunis dans le mois de Djomada 706 (fin de 1306), avec l'autorisation de ce monarque, et se porta rapidement du côté de Djerba. Ayant alors traversé le gué par lequel on pénètre dans cette île, il attaqua les

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