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attention à cette révolte, et la ville d'Alger continua à repousser l'autorité des Almohades jusqu'au jour où elle passa sous la domination des Beni-Abd-el-Ouad.

MORT DE L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA, SOUVERAIN DE BOUGIE. SON FILS ABOU-'L-BACA-KHALED Y EST PROCLAMÉ SOUVERAIN.

Pour enlever au royaume de Tunis les villes de la frontière. occidentale et former ainsi un second empire hafside, l'émir Abou-Zékérïa avait dû montrer une vigilance, une prévoyance et une fermeté d'âme dont on ne trouve plus d'exemple. Depuis lors et jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu vers la fin du septième siècle, il s'occupa sans relâche à parcourir ses provinces, à tout examiner de ses propres yeux et à faire disparaître les obstacles qui s'opposaient encore à la prospérité du

pays.

En l'an 698 (1298-9), il désigna pour lui succéder son fils, l'émir Abou-'l-Baca-Khaled, et l'établit à Constantine en qualité de gouverneur. Aussitôt qu'il eut rendu le dernier soupir, le chambellan, Abou-'l-Cacem-Ibn-Abi-Djebbi, réunit les cheikhs almohades et les divers corps de l'armée afin de leur faire prêter le serment de fidélité envers Abou-'l-Baca, et en même temps il expédia un courrier à ce prince pour le rappeler à Bougie.

Le nouveau souverain reçut, en arrivant, les hommages solennels de tous ses sujets et conserva Ibn-Abi-Djebbi comme chambellan; mais il confia le vizirat à Yahya-Ibn-Abi-el-Alam. Aux Sanhadja, il donna pour chef un de leurs parents nommé Abou-Abd-er-Rahman-Yacoub-Ibn-Khalouf et surnommé ElMizouar. Le commandement des Almohades fut accordé à AbouZékérïa-Yahya-Ibn-Zékérïa, membre de la famille hafside.

MISSION ET MORT DU CADI EL-GHOBRINI.

Nous avons dit que les Mérinides avaient tourné leurs armes contre Bougie sur l'invitation du souverain de Tunis. Pour mettre un terme aux hostilités qui duraient encore, le sultan

Abou-l-Baca se décida, en montant sur le trône, à nouer des rapports d'amitié avec le sultan tunisien. Il choisit pour remplir cette mission Abou-Zékérïale hafside, doyen des membres de la famille royale qui se trouvaient à Bougie, et ille fit accompagner à la capitale par le cadi Abou-'l-Abbas-el-Ghobrîni, premier notable de la ville et grand conseiller du corps municipal. Ces deux envoyés revinrent à Bougie après avoir accompli leur mission; mais, pendant leur absence, les courtisans avaient réussi à indisposer le sultan contre El-Ghobrîni; ils firent même répandre le bruit que ce cadi avait concerté un projet avec le sultan de Tunis afin de renverser l'autorité du souverain de Bougie. Dafer, grand officier de la cour, fut le principal agent dans cette intrigue : il récapitula au sultan les délits du cadi et lui donna à entendre que la trahison des Beni-Ghobrîn envers le sultan Abou-Ishac avait été ourdie par ce même personnage1. Le sultan ajouta foi à ces accusations et ressentit une telle méfiance pour El-Ghobrîni, qu'en l'an 704 (1304-5) il le fit mettre en arrestation. Dans le cours de la même année, il céda aux instances de son entourage et permit à El-Mansour le Turc de se rendre à la prison et de lui ôter la vie.

MISSION ET DISGRÂCE DU CHAMBELLAN IBN-ABI-DJEBBI.

Lors de l'avènement du sultan Abou-'l-Baca, les troupes mérinides avaient envahi le territoire de Bougie à plusieurs reprises et s'étaient même emparées d'une partie considérable de ce pays. Cet état de choses inquiéta beaucoup Ibn-Abi-Djebbi qui, en sa qualité de chambellan, gouvernait l'empire. Sachant combien la présence de l'ennemi nuisait à sa propre autorité tout en compromettant les intérêts de l'empire, il crut pouvoir mettre un terme à la guerre en négociant un traité d'alliance avec le souverain de Tunis. On sait que les Mérinides n'avaient attaqué Bougie que sur l'invitation de ce prince. Plein de confiance dans le

1. Voir p. 394 de ce volume.

crédit dont il jouissait auprès de son sultan, il ne craignit pas de le quitter et de se rendre à la capitale pour traiter cette grave affaire. En l'an 705 (1305-6), il quitta Bougie et trouva à Tunis un accueil digne de son mérite et du haut rang de celui dont il tenait ses pouvoirs. Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-el-Lihyani, chef des Almohades et ministre de l'empire, le logea chez lui, le combla d'égards et lui accorda la faveur qu'il désirait tant obtenir.

L'absence du chambellan avait laissé le champ libre à l'intrigue les courtisans s'étaient empressés d'offrir leurs conseils à l'émir Abou-'l-Baca et de lui dépeindre Ibn-Abi-Djebbi comme un homme très dangereux. Yacoub-Ibn-Ghamr l'emporta sur les autres par l'acharnement de ses délations et il trouva un bon second dans [Abou-Mohammed-]Abd-Allah-er-Rokhami, secrétaire et confident du chambellan. En agissant de cette façon, Er-Rokhami voulait se venger de la froideur qu'Ibn-Abi-Djebbi lui avait témoignée par suite des calomnies de son proche parent, Ibn-Tofeîl 1. Cet homme avait encouru la haine de tout le monde par sa fierté et par son insolence, [et par suite de son mauvais naturel] il avait travaillé à desservir Er-Rokhami. Les deux courtisans représentèrent au sultan que son ministre complotait avec le souverain de Tunis, auquel il voulait livrer Bougie et Constantine; ils lui firent aussi observer qu'Ali-Ibnel-Amir, le gouverneur actuel de Constantine, tenait sa nomination du chambellan dont il était le gendre. Le sultan se laissa enfin pousser à la méfiance, de sorte qu'au retour d'Ibn-AbiDjebbi, il l'accueillit très froidement. Dès lors, le souverain et son ministre se tinrent en garde l'un contre l'autre, jusqu'à ce que celui-ci demanda l'autorisation de se rendre à la Mecque. Parti de Bougie pour accomplir le pèlerinage, Ibn-Abi-Djebbi s'arrêta pendant quelque temps au milieu des tribus qui fréquentaient les campagnes de Constantine et de Bougie; ensuite il se rendit à Tunis et resta dans cette ville jusqu'à la mort du sultan AbouAcîda et l'inauguration d'Abou-Bekr-es-Chehîd. Lors de la prise

1. Voir p. 400 de ce volume.

de Tunis par Abou-'l-Baca, il profita de ce moment de confusion pour s'échapper et prendre la route de l'Orient. Quand il eut accompli le pèlerinage, il traversa l'Ifrîkïa, atteignit Tlemcen et poussa1 le sultan Abou-Hammou à une expédition contre Bougie.

ABOU-ABD-ER-RAHMAN-IBN-GHAMR EST NOMMÉ CHAMBELLAN.

SES ANTÉCÉDENTS.

3

Yacoub-Ibn-Abi-Bekr-Ibn-Mohammed-Ibn-Ghamr-es-Selmi portait le surnom d'Abou-Abd-er-Rahman. Les gens de sa maison m'ont assuré que son aïeul Mohammed avait été cadi de Xativa et qu'il vint à Tunis lors de l'émigration des musulmans espagnols qui fuyaient la domination chrétienne 2. Sous le règne d'Abou-Acîda, il habita le faubourg septentrional de la ville. Ses fils Abou-Bekret Mohammed allèrent à Constantine où ils furent très bien reçus par Ibn-Youkîan, le cheikh almohade 3 qui gouvernait cette forteresse au nom de l'émir Abou-Zékérïa second. Abou-Bekr obtint alors la direction de la douane de Collo et sut mériter par sa bonne conduite la bienveillance de son patron. Comme il allait très souvent à Bougie pour des affaires de service, il fit connaissance avec l'eunuque Merdjan, affranchi de l'émir Abou-'l-Baca-Khaled et officier du palais, Par l'entremise de cet ami, il trouva l'occasion de rendre plusieurs services à l'émir Abou-l-Baca et à la mère de ce prince. Ayant ainsi gagné leurs bonnes grâces, il jouit d'une haute faveur à la cour et obtint pour son fils Yacoub la main d'une de ces belles servantes que l'on élève dans les palais des rois. A l'ombre

1. Dans l'arabe, il faut lire oua-aghra.

2. En l'an 1248, lors de la prise de Séville.

3. En lisant l'histoire des Hafsides, on doit se rappeler que cette dynastie avait conservé la religion et l'organisation politique de l'ancien empire almohade. Pour plus de clarté, le traducteur a, quelquefois, substitué, dans les chapitres suivants, le mot hafside à celui d'almohade.

d'un si haut personnage la fortune de Yacoub ne cessa de grandir, et, comme sa famille avait cultivé l'amitié du haddj Fadl, intendant du palais et favori du sultan, il entra au service de cet officier et ne le quitta plus. El-Haddj-Fadl faisait de fréquents voyages en Espagne pour y acheter de belles étoffes de soie, et il se rendait quelquefois à Tunis afin d'y chercher de riches effets d'habillement. Lors de son dernier voyage en Andalousie, il emmena avec lui [son fils et] Ibn-Ghamr, et à peine débarqué, il cessa de vivre. Alors le sultan, au lieu d'adresser ses lettres au fils de Fadl, les envoya directement à Ibn-Ghamr en lui ordonnant de terminer promptement les achats et de revenir. A son retour, Ibn-Ghamr fut interrogé par le sultan, ainsi que le fils d'El-Haddj-Fadl, au sujet de leurs opérations, et comme le premier était doué d'une meilleure mémoire que son compagnon de voyage, il répondit mieux au prince et mérita, par son zèle et son activité, l'honneur d'entrer au service de l'état. Favorisé par son maître, il monta d'un emploi à un autre et, après avoir rempli les fonctions de receveur d'impôts, il obtint la place de ministre des finances. Cette position l'exposa à la jalousie d'Ibn-Abi-Djebbi et d'Abd-Allah-er-Rokhami qui virent en lui un rival dangereux, et, en conséquence de leurs calomnies, le sultan le fit déporter en Espagne. Quand Abou-l-Baca monta sur le trône, Ibn-Ghamr fit valoir les anciens services rendus à ce prince et obtint son rappel à la cour. S'étant alors embarqué avec Ali et Hocein, fils d'ErRendahi 1, il entra au port de Bougie pendant l'absence d'IbnAbi-Djebbi et reçut du sultan un très bon accueil. Aussitôt arrivé, il travailla avec Merdjan pour renverser ce chambellan et parvint à ses fins, ainsi que nous venons de le raconter. La place qui vaqua ainsi lui fut donnée par le sultan, et l'administration des finances fut confiée à Er-Rokhami. Comme ce dernier s'était mis au courant des fonctions de chambellan pendant qu'il

1. Notre auteur a déjà parlé de Hadjboun-er-Rendahi; voir p. 334 de ce volume. Dans l'histoire des Mérinides, il fait encore mention de ce caïd.

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