Images de page
PDF
ePub

leur témoignage du zèle et de l'habileté de cet officier. Dans le Djerîd surtout, il eut l'occasion de montrer la supériorité de ses talents par l'adresse avec laquelle il se conduisit envers les chefs de ce pays. Ce fut lui qui, sur la dénonciation des cheikhs de Touzer, mit à la question Ahmed-lbn-Yemloul et l'arrêta court dans la carrière de l'ambition 1. Il mourut l'an 693 (1293-4), à deux journées de Tunis, pendant qu'il conduisait une nouvelle expédition dans le Djerîd.

L'année suivante vit la mort du chambellan Abou-l-CacemIbn-es-Cheikh. Ce personnage, ayant émigré de Dénia à Bougie en l'an 626 (1228-9) 2, se présenta à Mohammed-Ibn-Yacin, administrateur de cette dernière ville, et obtint auprès de lui la place de secrétaire. Quand son patron, dont il avait su gagner la confiance, fut rappelé à la capitale, il fit le voyage avec lui. Le sultan cherchait alors un secrétaire sur lequel il pourrait déverser le poids des affaires, et comme Ibn-Yacîn lui fit l'éloge le plus brillant de son protégé, il consentit à le prendre à l'essai. Cette épreuve ne fut pas favorable à Ibn-es-Cheikh dont elle amena le renvoi ; mais le sultan, ayant enfin pu reconnaître les talents de cet homme, l'admit définitivement à son service. IbnAbi-'l-Hocein fut chargé d'enseigner au nouveau secrétaire les devoirs de sa place et de l'initier par la pratique dans la marche et dans les détails de l'administration; aussi Ibn-es-Cheikh fut-il bientôt en état d'apporter un grand soulagement au souverain dans l'expédition des affaires. La mort d'Ibn-Abi-'l-Hocein laissa vacantes plusieurs places, dont l'une était la surintendance de la maison royale, aucune dépense ne pouvant s'y faire sans sa signature. Cette charge fut confiée à Ibn-es-Cheikh avec l'avertissement que le cumul ne lui serait pas permis. El-Ouathec, étant monté sur le trône, se laissa diriger par Ibn-el-Habbeber; il conserva toutefois Ibn-es-Cheikh comme surintendant et l'ad

1. Voir l'histoire des Beni-Yemloul dans le troisième volume.

2. En cette année, Mohammed-Ibn-Houd, soutenu par les chrétiens, v ait enlevé Dénia et Murcie aux Almohades.

mit au nombre de ses intimes. Abou-Ishac, étant devenu sultan, le garda aussi à son service, mais en lui donnant pour collègue Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, directeur général des contributions. Sous le règne de ce monarque, la place de premier ministre fut successivement remplie par ses fils, les princes Abou-Fares, Abou-Zékéria et Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed. Quand le prétendant eut réussi dans son imposture et obtenu possession du trône, il distingua particulièrement Ibn-es-Cheikh, et, au visa des comptes que ce fonctionnaire exerçait depuis si longtemps, il ajouta le droit d'inscrire le paraphe impérial en tête des pièces officielles. Quand Abou-Hafs fit mourir le prétendant et recouvra le royaume de ses pères, Ibn-es-Cheikh craignit que la faveur dont il avait joui sous l'usurpateur ne lui attirât la colère du sultan et, pour cette raison, il employa auprès de lui l'intercession des hommes dévots avec lesquels il s'était déjà lié par la pratique de la piété et des bonnes œuvres. Le prince accueillit leur prière, sans même dissimuler le besoin qu'il avait d'un serviteur aussi utile. Dès lors, au visa des comptes du palais, Ibn-es-Cheikh réunit les fonctions de grand chambellan; mais le droit d'écrire le paraphe fut donné à une autre personne1 de la cour. Ibn-es-Cheikh mourut, en place, l'an 694 (1294-5). Dès lors, chacune de ces trois charges donna à celui qui la remplissait le titre de chambellan. Quant à l'administration de l'état et le commandement de l'armée, ces fonctions importantes furent réservées aux cheikhs almohades; mais, dans la suite, plusieurs grands changements eurent lieu, ainsi que le lecteur verra plus loin, et l'on remplaça sans difficulté un almohade par une personne qui ne l'était pas, et vice versa.

La place de chambellan laissée vacante par la mort d'Ibn-esCheikh fut donnée à Abou-Abd-Allah-es-Chakhchi, officier de la milice. Ce fonctionnaire conserva son emploi jusqu'à la chute de l'empire [devant les armes des Mérinides].

[ocr errors]

1. Dans le texte arabe, il faut lire ghairihi.

MORT DU SULTAN ABOU-HAFS.

Le sultan Abou-Hafs jouit d'un règne tranquille et prospère jusqu'au terme de ses jours. Vers le commencement du mois de Dou-'l-Hiddja 694 (octobre 1295), il ressentit les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. Bientôt il se trouva gravement indisposé, et pensa avec inquiétude au sort futur de ses sujets et à la lourde responsabilité qu'il avait encourue en se chargeant des intérêts d'un peuple entier. Le douze du même mois, il désigna comme successeur au khalifat son fils AbdAllah; mais ce choix déplut au corps des Almohades, parce que le prince était encore impubère et parce qu'il n'avait occupé jusqu'alors aucune position dans l'état. Le sultan, ayant appris ce qu'ils se disaient entre eux, en éprouva un extrême mécontentement, et ne voulant pas se régler d'après leur avis, il alla prendre conseil d'Abou-Mohammed-el-Merdjani, saint personnage dont le caractère lui avait inspiré la plus haute estime.

Quand El-Ouathec fut mis à mort avec ses enfants, une de ses concubines, qui était alors enceinte, se réfugia dans le couvent d'Abou-Mohammed et donna le jour à un fils dans la chambre même de son protecteur. Il nomma l'enfant Mohammed et, sept jours après sa naissance, il lui rasa la tête selon la coutume et tua un mouton afin de le faire manger aux pauvres avec une acîda, ou potage de froment. Depuis ce jour, l'enfant continua à porter le surnom d'Abou-Acîda. Quand on n'eut plus de motifs pour cacher l'existence de ce prince, on le fit entrer au palais pour y être élevé au sein de sa famille. Devenu grand, il conserva encore pour Abou-Mohammed un profond attachement, et le cheikh, de son côté, lui garda une vive affection.

Le sultan Abou-Hafs, l'ayant alors consulté sur le choix d'un successeur en lui exposant que les Almohades ne voulaient pas de son fils, reçut le conseil de transmettre le pouvoir à Mohammed, fils d'El-Ouathec. Cet avis lui`parut si bon qu'il convoqua les grands officiers de l'empire et les cheikhs almohades, afin de leur faire reconnaître le prince Mohammed comme successeur

au trône. Cette formalité accomplie, le sultan mourut vers la fin de Dou-'l-Hiddja 694 (commencement de novembre 1295).

INAUGURATION DU SULTAN ABOU-ACÎDA.

Quand le sultan Abou-Hafs eut cessé de vivre, les grands officiers almohades, les membres de la famille royale, l'armée et le peuple se portèrent à la citadelle et prêtèrent le serment de fidélité à l'héritier du trône, Abou-Abd-Allah-Abou-Acida, fils du sultan El-Ouathec. Cette cérémonie eut lieu le 24 du mois de Dou-l-Hiddja 694 (commencement de novembre 1295). L'avènement de ce prince causa une vive satisfaction à tout le monde. Il adopta le surnom d'El-Mostancer-Billah1 et commença son règne par faire mourir Abd-Allah, fils du sultan Abou-Hafs, parce que cet enfant aurait pu, par sa haute naissance, lui devenir un rival dangereux. Il prit pour vizir Mohammed-Ibn-Irzîguen, cheikh almohade, et conserva Mohammed-es-Chakhchi comme chambellan. L'administration de l'état,le commandement de l'armée et la présidence du corps des Almohades passèrent à Abou-Yahya-Zékérïa, fils d'Ahmed et petit-fils de ce Mohammedel-Lihyani, qui, à l'époque où son fils visait au trône, avait été mis à mort par le sultan El-Mostancer. Abou-Yahya remplit avec zèle les devoirs de sa charge, bien qu'il y eut pour coadjuteur et rival l'ancien chef du corps des Almohades, Abd-el-Hack-IbnSoleiman ; mais la catastrophe qui termina les jours de ce fonctionnaire le rendit directeur absolu des affaires de l'empire. Quant à Es-Chakhchi, il conserva le rang de chambellan et eut pour lieutenant [Abou-'l-Hacen-]Mohammed-Ibn-Ibrahîm-Ibnel-Debbagh. Parlons de ce personnage.

Ibrahim, père d'Abou-'l-Hacen, était venu de Séville à Tunis, lors de l'émigration de 646 (1248-9) 3. Abou-'l-Hacen naquit à

1. Voilà la troisième fois que ce titre fut pris par un sultan hafside. Voir ci-devant, p. 396.

2. Le texte arabe des manuscrits et de l'édition imprimée porte Berirziguen.

3. Lors de la prise de cette ville par les chrétiens.

Tunis et y passa sa jeunesse. Il étudia les principes de l'administration publique et de la comptabilité sous deux frères d'une grande habileté dans cette partie, Abou-'l-Hakem-Ibn-Modjahed et Abou-'l-Hacen-Ibn-Modjahed. Ayant épousé la fille de ce dernier, il fut nommé amîn du bureau des provinces (receveur général des impôts). Plus tard, il devint secrétaire d'Abou-AbdAllah-el-Fazazi, et, voyant ce ministre ambitieux traiter le sultan avec peu de considération, il chargea le chambellan Ibn-esCheikh de lui faire connaître régulièrement les volontés du prince, afin d'influencer d'avance l'esprit d'El-Fazazi et de le faire agir en conformité avec la volonté royale. Par cette conduite habile, il gagna la faveur d'Abou-Hafs. Comme il avait déjà rendu plusieurs services à Abou-Acîda, ce prince,devenu sultan, le prit pour secrétaire, et cela avec d'autant plus d'empressement que son chambellan Es-Chakhchi ne lui paraissait pas avoir les talents qu'exige un tel emploi. Plus tard, en 695 (1295-6), il fut nommé par le sultan écrivain du paraphe impérial; ensuite il devint lieutenant d'Es-Chakhchi; puis, en 697, lors de la mort de ce fonctionnaire, il fut nommé à la place de chambellan, position la plus élevée à laquelle il pouvait aspirer. En effet, l'administration de l'état et de la guerre était réservée au cheikh des Almohades.

DISGRÂCE D'ABD-EL-HACK-IBN-SOLEIMAN.

SES FILS.

SORT DE

Abou-Mohammed-Abd-el-Hack-Ibn-Soleiman, chef des Almohades sous le règne d'Abou-Hafs, appartenait à une famille tînmelélienne qui, lors de l'établissement de l'empire hafside, s'était fixée à Toborsok. De même que ses aïeux, il avait tenu le rang de chef de tribu, et, quand ce sultan monta sur le trône, il devint chef de tous les Almohades de la capitale. Serviteur dévoué de son souverain, il le conseilla, avec instance, de choisir pour successeur le prince Abd-Allah, et combattit avec

1. Dans le texte arabe, lisez mostasában.

« PrécédentContinuer »