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père Abou-Bekr avait rendus à la famille royale; mais, au lieu de cultiver les sciences, ils recherchèrent les biens de ce monde. et ambitionnèrent de hautes positions dans l'administration de l'État. S'étant adressés aux fils d'Abou-Ishac, qui étaient alors détenus dans le palais, ils gagnèrent leur confiance et furent admis à leur service; aussi, quand Abou-Fares fut déclaré héritier du trône avec le rang de vizir, Ahmed se vit comblé d'honneurs par le jeune prince, dont il devint aussi le chambellan. Abou-'l-Hocein, de son côté, parvint à un aussi haut degré de faveur que son frère. Une si brillante fortune excita l'envie des courtisans; on chercha à jeter de l'inquiétude dans l'esprit du sultan et à l'indisposer contre son fils qui, disait-on, conspirait avec Ahmed-Ibn-Seïd-en-Nas dans le but de s'emparer de l'empire. Le principal meneur de cette cabale fut Abd-el-OuehhabIbn-Caïd-el-Kelaï, l'un des secrétaires d'État et chargé alors d'écrire le paraphe impérial. Le sultan ajouta foi à ces dénonciations et, dans le mois de Rebià second 679 (août 1280) 1, il envoya chercher Ahmed et le fit tuer à coups de sabre. Le cadavre fut jeté dans un souterrain. Quand l'émir Abou-Fares apprit cette nouvelle, il revêtit des habits de deuil, monta à cheval et se rendit au palais. Le sultan essaya de dissiper la douleur de son fils en lui déclarant qu'il avait découvert la perfidie d'IbnSeïd-en-Nas et ses complots contre l'Etat. En même temps il enleva de ses propres mains l'habillement noir dont le prince s'était couvert.

Abou-'l-Hocein fut assez heureux pour échapper à la mort : après s'être caché pendant quelques jours, il avait été arrêté ainsi que plusieurs autres serviteurs et intimes d'Abou-Fares; mais, au bout d'un certain temps, il fut remis en liberté. Dans la suite de cette histoire nous aurons encore à parler de lui.

Le sultan fit tout ce qui lui était possible pour rassurer l'esprit de son fils et, voulant effacer jusqu'aux dernières traces du mécontentement qui pouvaient rester dans le cœur du jeune prince,

1. Ici et plus loin, notre auteur a mis, par mégarde, la date de 669.

il le nomma souverain absolu de la ville et province de Bougie. Abou-Fares partit pour sa destination, emmenant avec lui, en qualité de chambellan, mon aïeul Mohammed, fils du ministre des finances, Abou-Bekr-Ibn-Hacen-Ibn-Khaldoun. Ce fut au sultan que mon parent dut sa nomination. Abou-Fares quitta Tunis, l'an 679, et alla prendre possession de son gouvernement.

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SA MORT.

RÉVOLTE D'IBN-OUEZÎR A CONSTANTINE.
[DESCENTE DES CHRÉTIENS A COLLO.]

Abou-Bekr-Ibn-Mouça-Ibn-Eïça, surnommé Ibn-Quezir, appartenait à une bonne famille almohade de la tribu de Koumia. Sous le règne d'El-Mostancer, il avait été au service d'Ibn-Gueldacen, cheikh almohade et successeur d'Ibn-en-Noman dans le gouvernement de Constantine. Demeuré à Constantine comme lieutenant de son patron qui s'était rendu à Tunis, il remplit les devoirs de cette place avec autant d'habileté que de fermeté. Désigné ensuite par le sultan au gouvernement de cette ville, il occupa ce poste assez longtemps. Quand l'agitation produite par la mort d'El-Mostancer se fut calmée, le sultan El-Ouathec confirma cette nomination, et son successeur, Abou-Ishac, en fit autant. Avide de grandeurs, ce fonctionnaire se laissa emporter par l'ambition, et, sachant que Constantine était la place la plus forte de la province, il conçut la pensée de s'y maintenir comme chef indépendant. Les habitants de la ville furent bientôt accablés par ses exactions, et ils exposèrent leur situation au sultan Abou-Ishac en le priant de leur porter secours; mais ce prince, ayant remarqué dans la conduite du gouverneur, Ibn-Ouezîr, certains traits qui annonçaient un esprit peu dispos à l'obéissance, se garda bien de répondre à leurs sollicitations. Comme IbnOuezîr écrivit aussi pour se disculper des actes dont on l'accusait, le sultan jugea convenable de cacher son mécontentement et de fermer les yeux sur ce qui se passait.

En l'an 679 (1280-1), l'émir Abou-Fares passa auprès de

Constantine pour se rendre à Bougie, siège de son gouvernement. Ibn-Ouezîr évita d'aller à sa rencontre et lui fit porter ses excuses les plus humbles par une députation composée des dévots de la ville. Cette démarche eut le succès qu'il désirait ; le prince s'en montra satisfait et continua sa route.

Quand Abou-Fares fut arrivé à Bougie, Ibn-Ouezîr crut avoir trouvé le moment opportun pour usurper le pouvoir, et il demanda par écrit au roi d'Aragon l'envoi d'un corps de troupes chrétiennes qui s'établirait à Constantine et ferait des incursions sur le territoire du sultan. On dit même que, moyennant ce secours, il s'engagea à servir les intérêts du roi en agent dévoué. Le monarque chrétien accueillit cette proposition et annonça l'envoi d'une flotte.

Vers la fin de l'an 680 (mars-avril 1282), Ibn-Ouezîr leva le masque et se fit proclamer souverain à Constantine. L'émir AbouFares partit aussitôt de Bougie à la tête de son armée, et, ayant rallié autour de lui une foule de guerriers arabes et de cavaliers fournis par les tribus, il alla camper à Mîla. Là il reçut une députation de cheikhs de Constantine chargés, par l'usurpateur, de lui présenter des souhaits, bien peu sincères, d'amitié et de réconciliation. Le prince refusa de les écouter et marcha sur Constantine où il arriva dans la matinée du premier jour du mois. de Rebià 681 (9 juin 1282). Ayant alors rassemblé des ouvriers, il commença le siège et dressa ses catapultes, pendant que ses archers occupaient des positions plus rapprochées de la ville. L'attaque avait duré à peu près un jour, quand un détachement sous les ordres de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, escalada les murs et pénétra dans la place. Ibn-Quezìr soutint l'assaut avec une bravoure extrême, mais, ayant eu la retraite coupée, il mourut ainsi que son frère et tous ses partisans. Leurs têtes furent plantées sur les murailles de la ville. Abou-Fares y fit alors son entrée et parcourut les rues afin de rétablir l'ordre et rassurer les esprits. Il fit ensuite réparer les murailles et les ponts. S'étant installé dans le palais, il expédia un courrier à la capitale pour annoncer cette victoire à son père. La flotte chrétienne arriva au port de Collo, lieu de rendez

T. II.

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vous qu'Ibn-Ouezîr lui avait assigné, mais cette entreprise n'eut aucun résultat 1.

Trois jours après la réduction de Constantine, Abou-Fares repartit pour Bougie où il arriva vers la fin du mois de Rebià.

LES FILS DU SULTAN MÈNENT DES EXPÉDITIONS DANS

LES PROVINCES.

L'affection que le sultan portait à ses fils, jointe à son désir de les habituer à l'exercice de pouvoir, le décida à leur donner une haute position dans l'état. Au mois de Redjeb 681 (octobre-novembre 1282), il confia à son fils Abou-Zékérïa le commandement d'un corps d'armée, composé de troupes almohades et de milices. Le jeune prince partit alors pour Cafsa, afin d'examiner l'état des provinces méridionales de l'empire et d'en faire rentrer les impôts. Cette tâche accomplie, il revint à Tunis dans le mois de Ramadan (décembre) de la même année. Son frère, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, reçut ensuite le commandement d'une colonne et passa dans le pays des Hoouara, afin d'y prélever les impôts, contributions, droits et amendes. Abd-elOuehhab-Ibn-Caïd-el-Kelaï accompagna cette expédition, afin d'en diriger les opérations et de servir d'intermédiaire entre le

1. En l'an 1282, le roi Pierre d'Aragon se trouvait, avec sa flotte, à Collo où il s'était rendu sur l'invitation de Bolboquer (Abou-Bekr-IbnQuezîr), afin de faire la guerre à Mirabusac (l'émir Abou-Ishac), quand il apprit la nouvelle des Vêpres siciliennes. Il partit aussitôt pour Palerme où il se fit couronner roi de Sicile. Pour l'histoire de cette expédition africaine, on peut consulter: 1° l'Histoire de Catalogne, par Bernard d'Esclot, texte catalan, publié par M. Buchon, Chroniques étrangères, Paris, 1840, chap. 77 à 89. 2o Chroniques de Ramon Muntaner, version française, par M. Buchon, chap. 44 à 85. 3° Sabæ Malaspina Hist. Siciliæ, apud Gregorio, Biblioth. Script. qui res in Sicilia gestas sub Aragon. imperio retulere, Panormi, 1791, in-fol., t. II, p. 361 à 1099. Je dois ces indications à l'obligeance de M. Amari, le savant historien des Vêpres siciliennes, ouvrage dont on peut aussi consulter l'édition de Florence, 1851. Parmi les appendices de ce volume, nous espérons pouvoir donner quelques extraits de Malaspina.

prince et les gens du pays. Arrivés à Cairouan, ils apprirent qu'un prétendant au trône avait paru chez les Debbab de la province de Tripoli. Le prince expédia un courrier à son père pour lui annoncer cette nouvelle et continua sa marche; mais, voyant le progrès rapide que faisait la cause du prétendant, il reprit le chemin de Tunis.

LE SULTAN ALLIE SA FAMILLE A CELLE D'OTHMAN

IBN-YAGHMORACEN.

Quand Abou-Ishac quitta l'Espagne pour chercher un trône, il alla descendre chez Yaghmoracen-Ibn-Zîan, à Tlemcen. Cet émir avait fait de grands préparatifs pour le recevoir, et quand il le vit arriver, entouré des cavaliers abd-el-ouadites qu'il avait envoyés à sa rencontre, il le reconnut pour souverain légitime de l'empire hafside. Se conformant alors à son usage invariable envers le chef de cette dynastie, il lui prêta le serment de fidélité et prit l'engagement de lui servir de lieutenant et de le soutenir contre tous ses ennemis. Il demanda ensuite pour son fils Othman l'insigne honneur d'obtenir la main d'une des filles de son hôte, princesses élevées à l'ombre de la tente impériale. Le sultan accueillit cette demande avec faveur et partit pour conquérir sa capitale.

Il venait d'établir son autorité dans tout le royaume des Hafsides quand Abou-Amer-Ibrahîm, fils de Yaghmoracen, arriva avec plusieurs autres chefs abd-el-ouadites, et lui représenta qu'il venait de la part de son père pour faire dresser l'acte de mariage. Le sultan les reçut avec une bonté extrême et agréa leur demande. Ils passèrent quelques jours à Tunis et se distinguèrent ensuite par leur bravoure dans plusieurs rencontres avec les troupes du prétendant; puis, en l'an 681, ils repartirent tous, comblés de faveurs et charmés de pouvoir emmener la princesse dans leur caravane 1. Arrivée à Tlemcen, cette jeune per

1. Dans le texte arabe, lisez bi-dhaïnetihim.

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