Images de page
PDF
ePub

entrée à Bougie vers la fin de Dou-'l-Câda de la même année. Les Almohades et les notables de Bougie lui prêtèrent aussitôt le serment de fidélité. Le nouveau sultan choisit pour ministre Mohammed-Ibn-Abi-Hilal et marcha sur Constantine, ville où se trouvait Abd-el-Azîz, fils d'Eïça-Ibn-Dawoud; mais la résistance qu'il y rencontra fut si vigoureuse qu'il prit le parti de s'en éloigner.

L'ÉMIR ABOU-HAFS EMBRASSE LE PARTI DU SULTAN ABOU-ISHAC. ABDICATION D'EL-OUATHEC.

Quand El-Ouathec et son vizir Ibn-el-Habbeber apprirent l'entrée du sultan Abou-Ishac à Bougie, ils envoyèrent contre lui un corps de troupes commandé par Abou-Hafs, oncle d'ElOuathec, auquel on avait adjoint Abou-Zeid-Ibn-Djamê en qualité de lieutenant. Pendant que cette armée se rendait de Tunis à Bédja 1, où elle dressa son camp, El-Ouathec donna le gouvernement de Constantine à Abd-el-Azîz-Ibn-Eïça-IbnDawoud, parce qu'il était gendre d'Ibn-el-Habbeber.Cet officier, étant parvenu à sa destination, défendit la ville contre AbouIshac, ainsi que nous venons de le dire. Ibn-el-Habbeber, s'étant alors imaginé qu'Abou-Hafs avait l'intention de se révolter, chercha à semer la division dans l'armée aux ordres de cet émir, et, d'après ses conseils, El-Ouathec écrivit à Abou-Hafs et à Ibn-Djamê, recommandant à chacun d'eux de se défaire de l'autre. Les deux officiers se firent mutuellement part de l'ordre qu'ils venaient de recevoir, et, s'étant aussitôt accordés sur la nécessité de reconnaître la souveraineté de l'émir Abou-Yahya, ils envoyèrent leur adhésion à ce prince. El-Ouathec apprit cette nouvelle à Tunis et, voyant que la ville était restée sans garnison et lui-même sans amis, il sentit l'impossibilité de garder le

1. Dans le texte arabe, on a imprimé, par mégarde, Bedjaïa, au lieu de Badja.

2. Ou beau-père; le mot arabe porte les deux significations.

pouvoir et convoqua les grands dignitaires de l'empire, afin d'abdiquer en faveur de son cousin, le sultan Abou-Ishac. Ceci se passa le 1er du mois de Rebiâ premier de l'an 678 (13 juillet 1279). Quittant alors le palais impérial, qui était situé dans la citadelle, il alla se loger dans la maison nommée Dar-el-Acouri. En perdant ainsi le trône, il perdit toute sa considération.

LE SULTAN ABOU-ISHAC OCCUPE LA CAPITALE.

Quand le sultan Abou-Ishac reçut la dépêche que son frère l'émir Abou-Hafs et Ibn-Djamê luiavaient expédiée de Bédja, il se hâta d'aller les joindre, et, ayant ensuite appris l'abdication de son neveu El-Ouathec, il se porta en avant, accompagné de tout son monde. Les habitants de Tunis, classés par corps et métiers, s'empressèrent d'aller au-devant de lui pour témoigner leur obéissance, et, vers le milieu du mois de Rebiâ second, il fit son entrée dans la capitale de l'empire. Mohammed-Ibn-AbiHilal remplit auprès de lui les fonctions de premier ministre ; celles de grand chambellan furent confiées à Abou-'l-CacemIbn-es-Cheikh, ancien secrétaire d'Ibn-Abi-'l-Hocein, et celles de ministre des finances à Abou-Bekr[-Mohammed], fils d'ElHacen-Ibn-Khaldoun. Ce personnage était venu de Séville avec son père, El-Hacen, pour faire valoir leurs droits à la bienveillance de l'émir Abou-Zékérïa. En effet, ce fut de [leur proche parent] Ibn-el-Mohteceb que ce prince reçut en cadeau la belle esclave qui donna le jour à ses fils et que l'on nommait [pour cette raison] Omm-el-Khalaïf (la mère des khalifes). AbouZékérïa leur fit une très honorable position 1. Plus tard, El

1. Dans l'errata de l'édition arabe, nous avons proposé une correction et nous l'avons adoptée dans la traduction. Même avec ce changement, le passage ne serait guère intelligible sans le secours de deux citations de l'Autobiographie que nous reproduisons ici: «< Nos ancêtres de » Séville s'étaient attachés à la cause des Almohades, et, quand l'émir » Abou-Zékérïa, fils d'Abd-el-Ouahed le hafside, gouverna l'Ifrîkia, » un de nos aïeux maternels, nommé Ibn-el-Mohteceb, lui fit cadeau

Hacen partit pour l'Orient où il mourut; mais son fils resta à Tunis. A peine l'émir Abou-Ishac eut-il fait son entrée dans la capitale, qu'il nomma Abou-Bekr au ministère des finances, charge qui jusqu'alors avait été remplie par des Almohades, Fadl-Ibn-Ali-Ibn-Mozni obtint le gouvernement du Zab, autre poste où l'on avait toujours auparavant installé un chef almohade, et il dut cette faveur à la reconnaissance du sultan dont il avait été le compagnon d'exil en Espagne. Son frère Abdel-Ouahed-Ibn-Mozni fut nommé gouverneur de Castîlïa.

Après ces nominations, le sultan fit arrêter Ibn-el-Habbeber et le livra à Mouça-Ibn-Mohammed-Ibn-Yacîn, pour être mis à la question jusqu'à ce qu'il eut dégorgé toutes ses richesses. On trouva [au cou du prisonnier], où l'on porte ordinairement des amulettes, plusieurs sceaux et talismans de diverses formes au moyen desquels, dit-on, il avait fasciné l'esprit de son souverain. Ces objets lui portèrent malheur : il fut soumis aux mêmes genres de torture que sa victime, Saîd-Ibn-Abi-Hocein, avait subis; comme lui, il fit serment d'avoir déclaré toutes ses richesses, et, comme lui, il mourut dans les tourments. Cette exécution eut lieu dans le mois de Djomada premier de cette année (sept.-oct. 1279). Dieu ne lésera [qui que ce soit], pas [même] pour le poids d'un atome 1.

En l'an 6782, quand le sultan se fut bien raffermi sur le trône, il fit arrêter et mourir Mohammed-Ibn-Abi-Hilal, qu'il regardait comme un homme dangereux, toujours porté vers l'intrigue et la trahison.

[ocr errors]

>> d'une jeune esclave galicienne dont il fit sa concubine. Il eut d'elle >> plusieurs enfants et elle reçut, pour cette raison, le titre d'Omm-el» Khalaïf. «Notre aïeul, Ibn-el-Mohteceb, émigra en Afrique et >> fut traité avec une haute distinction par Abou-Zékérïa. Il vécut dé>>sormais à l'ombre tutélaire de l'empire hafside, jouissant des faveurs >> du prince, qui lui avait assigné un traitement et accordé plusieurs » fiefs. »

1. Coran, sourate IV, verset 44.

2. Le texte de l'auteur porte 676.

EL-OUATHEC ET SES ENFANTS SONT MIS A MORT.

El-Ouathec resta quelques jours seulement dans la maison où il s'était retiré après avoir abdiqué le pouvoir et où il avait emmené ses jeunes enfants El-Fadl 1, Et-Taher et Et-Taîïb. Le sultan Abou-lshac, ayant entendu dire qu'il espérait soulever le peuple et qu'il avait pratiqué des intelligences avec quelques officiers de la milice chrétienne, fut très inquiet de l'influence qu'on lui attribuait encore et donna l'ordre de le mettre en prison ainsi que ses enfants. On les enferma dans la même chambre de la citadelle où, sous le règne d'El-Mostancer, on avait détenu les enfants d'Abou-Ishac. Dans la nuit qui suivit cette arrestation, ils furent tous égorgés par des émissaires du nouveau souverain. Ceci se passa dans le mois de Safer 679 (juin 1280). S'étant assuré le pouvoir de cette manière, AbouIshac confia un commandement à son fils.

L'ÉMIR ABOU-FARES, FILS DU SULTAN ABOU-ISHAC, EST NOMMÉ

GOUVERNEUR DE BOUGIE.

Abou-Ishac avait cinq fils : Abou-Fares-Abd-el-Azîz, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, Abou-Zékérïa-Yahya, Khaled et Omar. Quand leur père s'enfuit chez les Riah, El-Mostancer les fit enfermer dans un appartement du palais, pour y être élevés sous ses yeux, et il pourvut abondamment à tous leurs besoins. Rendus à la liberté, lors de l'avènement de leur père, ils virent leur fortune grandir avec la sienne et leur bonheur s'épanouir à l'ombre de sa puissance. Entourés de grandeurs, ils ne pensèrent qu'à récompenser tous ceux qui leur avaient rendu des services, et ils obtinrent de l'indulgence du sultan les moyens de satisfaire leurs sentiments généreux.

1. El-Fadl, l'aîné de ces frères, n'était pas un jeune enfant; deux années plus tard, il souleva les tribus, lui ou le prétendant qui le représentait, et s'empara du trône.

2, Il faut corriger le texte arabe et lire thielhom à la place de dhillhom.

Abou-Fares, l'aîné de tous, se fit d'autant plus remarquer que son père l'avait formellement désigné comme héritier du trône. Au nombre de ceux qui avaient mérité sa reconnaissance et son amitié se trouvèrent deux frères, Ahmed et Abou-l-Hocein, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas-el-Yameri et membres d'une des premières familles de Séville. Leur père savait par cœur et enseignait les traditions relatives au Prophète; comme légiste il suivait les opinions de Dawoud 'et, à l'exemple des docteurs de cette école, il se tenait strictement à la lettre de la loi.

De toutes les villes de l'Espagne, Séville fut celle qui entretenait les rapports les plus suivis avec l'émir hafside AbouZékérïa et avec ses descendants; conséquence naturelle de la souveraineté que ce prince avait exercée dans l'Andalousie occidentale. Aussi, quand le roi chrétien s'acharna sur ce pays dont il enlevait les forteresses, dévastait les campagnes et menaçait les grandes villes, les chefs des principales familles musulmanes et les savants les plus illustres de l'Espagne passèrent dans les deux Maghrebs, et surtout en Ifrîkïa, afin de se rendre à Tunis, siège du puissant empire des Hafsides. Le traditionniste Abou-Bekr-Ibn-Seïd-en-Nas, prévoyant que la désorganisation des états musulmans d'Espagne et l'imprévoyance des habitants devaient amener une grande catastrophe, prit la résolution d'émigrer à Tunis, où il avait eu autrefois des relations avec les khalifes hafsides. Accueilli honorablement par le sultan [El-Mostancer], il devint professeur de jurisprudence dans le collège situé auprès des Bains du Bel-Air (Hammam-el-Houa) et fondé par Omm-el-Khalaïf, mère du sultan.

Ahmed et Abou-'l-Hocein furent élevés dans le palais, aux frais du gouvernement, en considération des services que leur

1. Abou-Soleiman-Dawoud, fondateur de l'école des Daherites, c'està-dire extérieuristes, qui négligeaient l'esprit de la loi pour s'en tenir à la lettre, naquit à Koufa en l'an 202 (817-8). Il fit ses études à Baghdad; il y enseigna ses doctrines et il y mourut en 270 (884). On trouvera une notice de ce docteur dans ma traduction anglaise du Dictionnaire biographique d'Ibn-Khallikan, vol. I, p. 501.

« PrécédentContinuer »