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peu probable attribue sa mort à une épée dont la poignée était empoisonnée, et que le sultan lui aurait fait porter par Soleiman-Ibn-Djeram-ed-Delladji.

Les chrétiens se réunirent alors autour du fils de leur roi. Ce prince était surnommé Damiette, d'après le lieu de sa naissance 1. Ils lui prêtèrent le serment de fidélité et se disposèrent à reprendre la mer. Comme le commandement était dévolu à la reine 2, cette princesse fit déclarer au sultan El-Mostancer qu'elle consentirait à s'éloigner avec ses troupes, pourvu qu'il lui remboursât les frais de l'expédition. Le sultan, sachant que les Arabes allaient le quitter pour se rendre dans leurs quartiers d'hiver, accepta la proposition; et, dans le mois de Rebiâ premier 669 (oct.-nov. 1270), il envoya les chefs du corps des légistes auprès de la reine, afin de dresser le traité de paix 3. Ce fut le cadi Ibn-Zeitoun qui rédigea cet acte et fixa la durée de la trève à quinze ans. Avec lui, se trouvèrent Abou-'l-Hacen-AliIbn-Abi-Amer, Ahmed-Ibn-el-Ghammaz et Zian-Ibn-Mohammed-Ibn-Abd-el-Caouï, émir des Beni-Toudjîn. Carl, seigneur de la Sicile, fit aussi un traité spécial par lequel il s'engagea, comme roi de cette île, à demeurer en paix avec Tunis.

Les chrétiens mirent alors à la voile et furent assaillis par une tempête qui fit sombrer une partie de leur flotte et faillit en détruire le reste 4.

Le sultan exigea de ses sujets le remboursement des sommes

1. Ceci est une erreur : Jean Tristan, duc de Nevers, le prince qui naquit à Damiette pendant la captivité du roi, mourut en Afrique, peu de temps avant son père. Ce fut Philippe le Hardi, fils aîné de SaintLouis, qui prit le commandement de l'armée.

2. Encore une erreur nous avons déjà dit que la reine était restée en France.

3. Un double de ce traité de paix, en date du 5 Rebià second 669 (22 novembre 1270), se trouve aux Archives nationales. M. de Sacy en a publié le texte avec une traduction dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. IX.

4. Ceci est confirmé par le récit des anciens historiens français.

qu'il venait de payer à l'ennemi. Il avait donné, dit-on, dix charges (de mulet) d'argent 1. Le peuple lui remboursa cette somme avec empressement.

Les chrétiens laissèrent après eux, à Carthage, quatre-vingtdix catapultes (mendjenîc).

Le sultan fit annoncer au souverain du Maghreb et aux autres princes du pays comment il avait sauvé les musulmans et conclu un traité de paix. Ensuite, il donna l'ordre de ruiner Carthage et d'en renverser les édifices jusqu'aux fondations, de sorte que l'emplacement de cette ville fut changé en désert et n'offrit pas même les traces d'une ruine.

Les Français repassèrent dans leur pays, et ce fut ainsi qu'ils laissèrent tomber leur puissance et leur domination. Depuis lors, leur décadence ne s'arrêta plus; leurs princes se partagèrent les provinces de l'empire; le seigneur de la Sicile se déclara indépendant, et son exemple fut suivi par le seigneur de Naples, de Gênes et de Sardaigne. L'ancienne famille de leurs rois existe encore, mais elle est sans puissance et dans le dernier degré de la faiblesse.

MORT DU PREMIER MINISTRE HBN-ABI-'L-HOCEIN ET D'ABOU-SAÎD

EL-AOUD-ER-RETEB.

Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-Abi-'l-Hocein appartenait à la famille des Beni-Saîd, seigneurs d'un château fort situé aux environs de Grenade et appelé El-Calâ (Alcala la Real). Sous la domination des Almohades, les Beni-Saîd remplirent de hauts commandements tant en Afrique qu'en Espagne. Abou-'l-HacenSaid, grand-père du ministre, avait été directeur des contributions à Cairouan, mais il fut destitué et mourut à Bône, l'an 604 (1207-8), pendant qu'il se rendait en Maghreb. Mohammed, qui avait été élevé sous les yeux de son aïeul, revint alors à Tunis et entra au service d'Abou-Zeid, fils du cheikh Abou

1. D'après le texte du traité, le sultan s'engagea à payer 210.000 onces d'or, dont la moitié comptant.

T. II.

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Mohammed-Ibn-Abi-Hafs, gouverneur de l'Ifrikia. Quand AbouZeid prit le commandement de l'état, après la mort de son père, il se laissa diriger et gouverner par Mohammed-Ibn-Abi'l-Hocein. Lecid Abou-'l-Ola' étant ensuite venu de Maroc pour régir la province d'Ifrîkïa, Abou-Zeid partit pour cette capitale et Ibn-Abi-'l-Hocein rentra à Tunis. Lors de l'avènement d'Abou-Zékérïa, Ibn-Abi-'l-Hocein, toujours heureux auprès des princes, parvint à exercer une grande influence sur l'esprit de cet émir et, quand l'autorité passa entre les mains d'El-Mostancer, il continua encore quelque temps à jouir de sa haute fortune. Lors de l'affaire d'[Ibn-]El-Lihyani, les courtisans et les intimes du palais, tous ennemis d'Ibn-Abi-'l-Hocein, se déchainèrent contre lui et répandirent le bruit qu'il était en correspondance avec Abou-'l-Cacem 2, fils de son ancien maître, AbouZeid. Le sultan ajouta foi à ces accusations et disgrâcia le favori trop puissant. Par son ordre, Ibn-Abi-'l-Hocein dut rester chez lui aux arrêts; mais, au bout de neuf mois de détention, il recouvra la liberté, rentra dans les bonnes grâces du sultan, et reprit la haute direction des affaires, après avoir tiré vengeance de ses ennemis. Il garda le pouvoir jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 671 (1272-3).

Said-Ibn-Youçof-Ibn-Abi-'l-Hocein 3, cousin du précédent, avait acquis une grande influence à la cour et gagné 4 beaucoup d'argent en remplissant les fonctions d'administrateur général des impôts de la capitale.

Le ministre Abou-Abd-Allah-Ibn-Abi-'l-Hocein se distingua par la variété de ses talents: savant philologue, bon poète et habile écrivain dans le haut style épistolaire, il composa plu

1. On lit Abou-Ali dans le texte imprimé et les manuscrits; erreur que nous avons corrigée dans la traduction.

2. Voir ci-devant, p. 354.

3. Les manuscrits et le texte imprimé portent, à tort, El-Hacen, 4. A la place d'afna (dépenser), il faut, sans doute, lire ictina (gagnerį. Ces deux mots, écrits en caractères arabes, ne diffèrent que par un trait et le déplacement d'un point.

sieurs ouvrages dont l'un, intitulé El-Kholasa (la quintessence), offre une rédaction du Mohkam d'Ibn-Cîda 1; les articles s'y trouvent disposés par ordre [alphabétique], à l'instar du Sahah, dictionnaire célèbre composé par El-Djouheri. Comme administrateur, il montra un esprit vif, un caractère ferme, beaucoup de dignité et un zèle extraordinaire pour les intérêts de son maître. Et-Tidjani et d'autres écrivains nous ont transmis quelques-uns de ses poèmes, dont un des mieux connus est celui dans lequel l'émir Abou-Zékérïa est censé adresser la parole à Einan-Ibn-Djaber, en lui reprochant sa rebellion 3 et son alliance avec Ibn-Ghania. Les vers de cette pièce se terminent par la lettre r; et dans un autre poème, qu'il composa auparavant, la rime se forme par la lettre d. Il vivait encore quand son fils Said, qui était parvenu à une haute position dans l'état, mourut prématurément.

Trois années après la mort d'Ibn-Abi-Hocein eut lieu celle du cheikh Abou-Said-Othman-Ibn-Mohammed-el-Hintati, surnommé El-Aoud-er-Reteb (bois vert), et dont la famille était connue en Maghreb sous le nom des Beni-Abi-Zeid. A cette maison appartenait aussi Abd-el-Azîz, surnommé Saheb-el-Achghal. AbouSaîd s'enfuit du Maghreb sous le règne d'Es-Saîd, à cause des désagréments qu'il y avait éprouvés, et arriva dans Sidjilmessa en l'an 641 (1243-4) 3. Abd-Allah-el-Hezerdji, qui venait d'y usurper le commandement en proclamant la souveraineté d'Abou-Zékérïa, l'envoya à Tunis. Abou-Zékéria accueillit le ré

1. Abou-l-Hacen-Ali-Ibn-Cida, natif de Murcie, en Espagne, et auteur d'un ouvrage philologique très volumineux, intitulé El-Mohkam (le bien établi), et de plusieurs autres écrits, mourut à Denia, en l'an 458 (1066). · (Ibn-Khallikan, vol. II, p. 272.)

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2. Voir t. I, p. 136, note 1.

3. Voir t. I, p. 140.

4. Ces mots signifient maître des affaires; ils formaient le titre par lequel on désignait, en Afrique, le ministre des finances.

5. Ci-devant, p. 244, notre auteur recule ce fait d'une année.

fugié avec bonté, l'inscrivit sur la liste des cheikhs almohades et l'admit dans sa société intime. Après la chute de la famille Nòman1, Abou-Saîd gagna l'esprit d'El-Mostancer au point de le diriger à son gré et de gouverner l'empire. Son influence se maintint jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu en 673 (1274-5). Il laissa une excellente réputation et fut vivement regretté de tout le monde.

RÉVOLTE ET PRISE D'ALGER.

Les habitants d'Alger, s'étant aperçus que l'autorité du sultan hafside avait cessé de se faire sentir chez les Zénata et les autres peuples du Maghreb central, secouèrent le joug de l'empire afin d'établir leur indépendance. En l'an 669 (1270-1), le sultan envoya une armée contre Alger, et, deux années plus tard, il donna l'ordre à Abou-Hilal-Eïad, gouverneur de Bougie, de s'y rendre à la tête des troupes almohades. Pendant l'espace d'un an, ce général assiégea la ville sans aucun succès, et, ayant alors repris la route de Bougie, il mourut au camp, à BeniOura 2, en l'an 673 (1274-5). Le sultan, s'étant décidé à renouveler ses tentatives, y envoya une autre armée, l'année suivante, et y expédia sa flotte en même temps. Les troupes tunisiennes avaient pour chef El-Hacen-Ibn-Yacîn. D'après les ordres du sultan, le gouverneur de Bougie y fit marcher un corps de troupes sous les ordres d'Abou-'l-Abbas-Ibn-Abi-'l-Alam. La ville se trouva bientôt étroitement bloquée par terre et par mer; puis, ayant été emportée d'assaut, elle vit massacrer ses habitants, piller ses maisons, déshonorer ses mères de famille et violer ses vierges. Les cheikhs [qui formaient le gouvernement] d'Alger furent chargés de chaînes et conduits à la citadelle de Tunis, où ils restèrent prisonniers jusqu'à la mort du sultan. El-Ouathec monta alors sur le trône et ordonna leur mise en liberté.

1. Voir ci-devant, p. 343.

2. L'exacte position de cette localité nous est inconnue.

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