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moun - Ibn-Doreid, Haddad - Ibn - Moulahem-Ibn- KhanferIbn-Masoud et un frère de Haddad. Aussitôt que le sultan vit ces chefs paraître devant lui, il les fit arrêter ainsi qu'un cheikh des Kerfa nommé Doreid-Ibn-Tazîr. A l'instant même, leurs bagages furent livrés au pillage, leurs têtes tranchées et leurs cadavres dressés sur des pieux. Cette exécution eut lieu à Zeraïa, à l'endroit même où ils avaient proclamé la souveraineté d'Abou'l-Cacem [et d'Abou-Ishac]. Par l'ordre du sultan, on porta les têtes de ces chefs à Biskera pour y être exposées.

Après ce coup de vigueur, le sultan se porta rapidement vers les défilés du Zab où les tribus réfractaires avaient fait halte et, au point du jour, il tomba sur leur camp. Elles prirent aussitôt la fuite, laissant leurs bagages, leurs bêtes de somme et leurs tentes comme une proie à l'armée et à la tribu de Sedouikich qui était venue prendre part à cette expédition. Les fuyards furent vivement poursuivis ; mais ils réussirent à emmener leurs femmes et leurs enfants à dos de chameaux et à traverser le Cheddi, fleuve qui passe au midi du Zab.

Le Cheddi prend sa source dans le Mont-Rached, au midi du Maghreb central, et se dirige vers l'Orient, en longeant le Zab, jusqu'à ce qu'il se jette dans la sibkha de Nefzaoua, pays qui fait partie du Belad-el-Djerîd.

Quand ils eurent passé la rivière, ils entrèrent dans un désert où l'on meurt de soif et dans une région appelée El-Hammada (l'échauffée), dont le sol brûlant est couvert de pierres noires. Alors les troupes cessèrent la poursuite et le sultan rentra chez lui, vainqueur et triomphant. Un succès aussi éclatant lui attira les louanges et les félicitations des poètes.

Les débris des Douaouida se réfugièrent auprès des princes zenatiens les fils de Yahya-Ibn-Doreid furent accueillis par Yaghmoracen-Ibn-Zian, et les Beni-Mohammed-Ibn-Masoud, par Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack. Ces chefs leur remplirent les mains d'argent, les piquets de chevaux et les campements de chameaux; de sorte que les émigrés purent rentrer, plus tard, dans leur pays et enlever au sultan la ville de Ouargla et les bourgades du Righ. De là, ils marchèrent sur le Zab et, parvenus à

la frontière de cette province, ils mirent en déroute les troupes qu'Ibn-Attou, le gouverneur installé à Maggara, avait conduites au-devant d'eux pour arrêter leurs progrès. Ils poursuivirent cet officier jusqu'à Cataoua où ils le tuèrent, et, à la suite de cette victoire, ils soumirent le Zab, l'Auras et le Hodna. Ils obligèrent même le gouvernement hafside à leur concéder ces régions à titre de fiefs et ils finirent par les posséder en toute propriété.

LE ROI DE FRANCE SAINT-LOUIS] ARRIVE A LA TÊTE DES PEUPLES CHRÉTIENS ET MET LE SIÈGE DEVANT TUNIS.

Le peuple appelé Franc, et nommé Français par le vulgaire, tire son nom de France, un de leurs empires. Leur origine remonte à Yafeth, fils de Noé. Ils habitent le bord septentrional de la mer romaine occidentale, depuis la Péninsule espagnole jusqu'au canal de Constantinople. A l'est, ils ont pour voisins les Grecs, et, à l'ouest, les Galiciens 1. Ils embrassèrent le christianisme, ainsi que les Roum (Romains), et ce fut de ceux-ci qu'ils apprirent les principes de leur religion. Pendant que la puissance des Romains déclinait, celle des Francs ne cessait de s'accroître. Réunis aux Romains, ils traversèrent la mer et s'établirent dans toutes les grandes villes de l'Afrique, telles que Sbaitla, Djeloula, Carthage, Mernac, Baghaïa et Lambèse. Ayant subjugué les Berbères qui s'y trouvaient, ils obligèrent ce peuple à suivre leur religion et le tinrent dans une sujétion complète. L'islamisme vint alors se manifester par des victoires, et les Arabes enlevèrent aux chrétiens toutes les villes de l'Afrique et de la côte orientale de la Méditerranée, ainsi que les îles de Crète, Malte, Sicile et Maïorque. Les ayant contraints à rentrer dans leur pays, les Arabes traversèrent le détroit de Tanger et vainquirent les Goths, les Galiciens et les Biscayens. Devenus maîtres de la Péninsule espagnole, ils passèrent la frontière,

1. Les anciens géographes arabes font étendre la Galice à travers le nord de l'Espagne, depuis le cap Finistère jusqu'à la Méditerranée.

franchirent les défilés et les cols, et ayant débouché dans les plaines de la France, ils soumirent ces régions et y répandirent la dévastation. Ensuite, d'autres bandes continuèrent à y pénétrer, se conformant ainsi aux ordres des Oméïades d'Espagne. Les Aghlébites, à l'instar de leurs prédécesseurs dans le gouvernement de l'Afrique, avaient l'habitude d'envoyer des armées et des flottes musulmanes contre les Francs. Ils leur enlevèrent ainsi la possession des îles de la Méditerranée, et ils allèrent les attaquer même dans le sein de leur pays. Dès lors, le désir de la vengeance et l'espoir de recouvrer ce qu'ils avaient perdu ne cessèrent d'animer les Francs. De tous ces peuples, les Grecs étaient les plus voisins des côtes de la Syrie et les plus ardents à reprendre ces contrées. La puissance des Grecs s'étant ensuite affaiblie, tant à Constantinople qu'à Rome, celle du royaume des Francs devint formidable. Ceci eut lieu bientôt après la chute du khalifat de l'Orient1. Alors, les Francs aspirèrent à conquérir les citadelles et les forteresses de la Syrie.

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Dans une expédition qu'ils dirigèrent contre ce pays, ils en occupèrent la plus grande partie; et, s'étant emparés de Jérusalem, ils y bâtirent la grande église qui remplaça la mosquée d'El-Acsa. A plusieurs reprises, ils attaquèrent l'Égypte et le Caire; mais, enfin, vers le milieu du vio siècle de l'hégire, Dieu donna à l'Islamisme un bouclier puissant dans la personne de Salah-el-Din (Saladin)-Ibn-Aïoub-el-Kordi, et permit aux torrents du châtiment céleste de déborder sur les infidèles. Salahel-Dîn déploya une grande vigueur dans cette guerre : il enleva aux Francs les places qu'ils avaient conquises, purifia la mosquée El-Acsa des souillures laissées par les fausses doctrines de l'infidélité, et ayant soutenu la guerre sainte jusqu'à l'heure de sa mort, il remplit ainsi le meilleur des devoirs.

Dans le vie siècle, pendant le règne d'El-Mélek-es-Saleh, souverain de l'Egypte et de la Syrie, les Francs arrivèrent de

1. Le khalifat de Baghdad fut renversé par les Tartars, en 1258 de J.-C.

2. Il faut lire nazelou, à la troisième forme.

nouveau dans le premier de ces pays. L'émir Abou-Zékérïa régnait alors à Tunis. Ils campèrent auprès de Damiette, et s'en étant rendus maîtres, ils envahirent successivement les villages de l'Égypte. Sur ces entrefaites, El-Mélek-es-Saleh mourut, et son fils El-Moaddem lui succéda. Les musulmans profitèrent alors de la crue du Nil pour ouvrir les écluses, rompre les digues et enfermer l'armée ennemie. Une foule d'infidèles y perdit la vie, et leur sultan [Saint-Louis] fut pris sur le champ de bataille et amené devant le sultan d'Égypte. On l'emprisonna à Alexandrie; mais, plus tard, le sultan lui accorda la liberté, moyennant la reddition de Damiette et l'engagement de ne plus faire la guerre aux musulmans.

Peu de temps après, le chef des Francs rompit le traité et se décida à mener une expédition contre Tunis. L'on dit qu'il motiva sa conduite sur le fait suivant : des marchands de son pays avaient prêté de l'argent à Lulîani 1. Après la catastrophe qui ferma la carrière de ce fonctionnaire, les marchands réclamèrent du sultan le remboursement de la somme prêtée, et qui se montait à trois cent mille dinars 2. Comme ils ne produisirent aucune pièce à l'appui de leur demande, le sultan repoussa leurs prétentions. Alors, ils allèrent s'en plaindre à leur roi. Ce prince prit parti pour eux et se laissa pousser à entreprendre une expédition contre Tunis, « ville, disaient-ils, très facile à prendre, vu la famine et la grande mortalité qui la désolent ».

Alors le Français, roi des Francs, Louis, fils de Louis, et surnommé dans leur langage Réda-Frans, c'est-à-dire Roi de France, envoya chez tous les rois chrétiens, pour les inviter à faire partie de cette expédition. Il transmit aussi un message au pape, personnage que les chrétiens regardent comme le vicaire du Messie, et ce dignitaire encouragea tous les autres rois à seconder les efforts du roi de France. Il lui permit même d'enlever aux églises l'argent dont il pourrait avoir besoin 3. Ces nouvelles

1. Voir ci-devant, p. 350.

2. Près de trois millions de francs.

3. Ce fait est confirmé par les historiens de Saint-Louis.

s'étant répandues dans toute la Chrétienté, plusieurs de leurs princes répondirent à l'appel. Dans le nombre se trouvèrent le prince d'Angleterre (Édouard, fils de Henri III) 1, le prince d'Écosse (Jean de Bailleul), le prince (duc) de Luxembourg ? et le roi de Barcelone, Réd Ragon (roi d'Aragon) 3. C'est Ibnel-Athir qui nous fournit ces détails.

Ces préparatifs répandirent l'inquiétude par toutes les frontières de l'Islamisme, et (El-Mostancer) le sultan de Tunis fit amasser des vivres dans les provinces de son empire, afin d'approvisionner les ports de mer. D'après ses ordres, on répara les murailles des villes, on forma des dépôts de grains et on empècha les marchands chrétiens de pénétrer dans le territoire musulman. Il envoya aussi des ambassadeurs auprès du roi des Français, afin de connaître ses intentions et de lui proposer des conditions de paix assez avantageuses pour arrêter son ardeur guerrière. Pour appuyer leurs négociations, ces envoyés, dit-on, emportérent avec eux une somme de quatre-vingt mille pièces d'or. Le roi accepta l'argent et leur déclara ensuite que l'expédition serait dirigée contre leur pays. Quand ils redemandèrent l'argent, le roi répondit qu'il ne l'avait pas reçu3. Pendant qu'ils

1. Édouard arriva avec les croisés d'Écosse et d'Angleterre, peu de jours après la signature de la paix.

2. Les manuscrits portent Lourek ou Tourk, altération du mot Lousembourk que les copistes ont mal lu.

3. Jacques, roi d'Aragon, prit la croix; mais le mauvais temps empêcha sa flotte de se rendre à Tunis.

4. Ibn-el-Athir est l'auteur des Annales de l'Islamisme, grand ouvrage en plusieurs volumes, renfermant les détails les plus précieux sur tout ce qui se rapporte aux dynasties musulmanes. Les chapitres qui traitent des croisades sont de la plus haute importance. A la suite de ma mission littéraire à Constantinople, en 1846, je fus assez heureux de pouvoir rapporter au ministère de l'instruction publique la liste des manuscrits orientaux qui se trouvent dans les grandes bibliothèques de cette ville, et un exemplaire très ancien de l'ouvrage d'Ibn-el-Athîr. C'en est peut-être le seul complet qui existe. Il est maintenant déposé à la Bibliothèque nationale de Paris.

5. Ibn-Khaldoun rapporte cette anecdote comme un on-dit, preuve, de sa part, qu'il avait de la peine à y croire.

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