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rité du monarque et renvoya l'assemblée. Ce fut là un des plus beaux jours de l'empire.

LES BENI-MERÎN ET LE ROI DES NOIRS ENVOIENT DES AMBASSADES AU SULTAN HAFSIDE.

Quand les Beni-Merîn eurent fait leur soumission à l'émir Abou-Zékérïa et reconnu la souveraineté des Hafsides, ils décidèrent les habitants de Miknaca (Mequinez), de Tèza, d'El-Casr et des autres localités qui leur étaient tributaires à expédier au sultan des adresses de félicitation et de dévouement. Après l'avènement d'El-Mostancer au trône de Tunis et la proclamation d'El-Morteda comme souverain de Maroc, une guerre prolongée, dont nous avons déjà parlé1 et dont nous rapporterons ailleurs les détails, eut lieu entre les Mérinides et les Almohades marocains.

En l'an 652 (1254), l'émir Abou-Yahya, fils d'Abd-el-Hack, envoya au sultan hafside une députation de cheikhs mérinides chargée de lui présenter les hommages et la soumission des habitants de Fez. L'arrivée de cette ambassade produisit une sensation profonde dans tout l'empire, et le sultan lui-même en témoigna sa haute satisfaction par l'accueil bienveillant qu'il fit aux envoyés et par les présents dont il les combla au moment de leur départ.

Après la mort d'Abou-Yahya, son frère et successeur, Yacoub, expédia au sultan une nouvelle députation avec de riches cadeaux. Cette mission eut pour but d'obtenir l'appui d'El-Mostancer contre le sultan almohade, El-Morteda, et de lui donner l'assurance que son autorité serait établie dans Maroc aussitôt que les Mérinides deviendraient maîtres de cette ville. Plusieurs autres députations mérinides parurent successivement à la cour du sultan jusqu'à l'époque où Maroc succomba.

En l'an 655, le sultan El-Mostancer reçut un riche cadeau de

1. Voir ci-devant, p. 250 et suivantes.

la part d'un roi des Noirs, souverain de Kanem et seigneur de Bornou, ville située sur le méridien de Tripoli. Parmi les offrandes que cette députation nègre lui remit, se trouva une girafe, animal dont les caractères extérieurs sont des plus disparates. Les habitants de Tunis coururent en foule pour la voir, de sorte que la plaine regorgeait de monde, et ils ressentirent un étonnement profond à l'aspect d'un quadrupède dont la forme si étrange rappelait, à la fois, les marques distinctives de plusieurs animaux de diverses espèces.

En l'an 658 (1260), le prince Don Henri, qui s'était brouillé avec son frère, le roi de Castille, vint à Tunis. Le sultan le combla d'égards et de dons; il l'établit à sa cour de la manière la plus magnifique et lui prodigua ces marques de considération que l'on réserve pour les souverains et les personnages du plus haut rang 1.

Cette suite d'ambassades contribua beaucoup à étendre la renommée et l'influence de l'empire.

MORT D'IBN-EL-ABBAR.

Abou-Abd-Allah-Ibn-Abbar, homme d'un vaste savoir et membre du corps des cheikhs de Valence, était profondément versé dans la connaissance de la sonna? et de la langue arabe; il avait, de plus, obtenu une grande réputation comme rédacteur de lettres (officielles et comme poète. A Valence, il avait servi, en qualité de secrétaire, le cîd Abou-Abd-Allah, fils d'Abou-Hafs, fils d'Abd-el-Moumen; et, plus tard, il remplit les mêmes fonctions auprès du cîd Abou-Zeid, fils du précédent. Il l'accompagna même chez les chrétiens; mais, quand il le vit

1. En l'an 1259, l'infant Don Henri prit les armes contre son frère Alphonse X, roi de Castille. Il essuya une défaite et, ne pouvant trouver un asile en Espagne, il se retira auprès du roi de Tunis qu'il servit pendant sept ans. (Ferreras, t. IV, pp. 235, 236.)

2. Voir t. I, p. 82, note.

embrasser la religion de ce peuple, il aima mieux le quitter que suivre un tel exemple. Ensuite, il devint secrétaire de Zîan-IbnMerdenîch, et, à l'époque où le roi [d'Aragon, Don Jayme vint assiéger Valence, il partit avec la députation qui devait présenter à l'émir Abou-Zékérïa le document par lequel Zian et les habitants de cette ville reconnaissaient la souveraineté de l'empire hafside. Ayant été alors présenté au sultan, il lui récita le poème si bien connu dans lequel il implore l'appui de ce monarque contre l'ennemi. Abou-Zékérïa y répondit par l'envoi de plusieurs navires chargés de vivres, d'argent et d'objets d'habillement.

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Voyant que la ville de Valence allait succomber, Ibn-elAbbar repartit avec sa famille pour Tunis où il comptait être bien reçu. Accueilli avec faveur par le sultan et nommé écrivain de l'alama, il fut chargé de tracer le paraphe impérial en tête de toutes les lettres et écrits émanant du souverain.

Quelque temps après, le même prince, qui préférait l'écriture de l'Orient à celle de l'Occident, résolut de confier cet emploi à Abou-l-Abbas-el-Ghassani, qui écrivait parfaitement bien le paraphe en caractères orientaux. Ibn-el-Abbar ressentit une vive indignation, quand on vint lui annoncer que le sultan, tout en lui laissant la rédaction des pièces officielles, exigeait que la place du paraphe y fût laissée en blanc, afin d'être remplie par une autre main; et, sans avoir égard à cet ordre, il profita de sa position comme seul rédacteur autorisé, pour tracer cette marque comme auparavant. Aux remontrances qu'on lui adressa à ce sujet, il répondit par des paroles de colère et, perdant toute retenue, il jeta sa plume et prononça le vers suivant, dont il faisait l'application à lui-même.

Recherche l'honneur, fût-il dans l'enfer;

Fuis le déshonneur, fût-il dans le ciel.

Le sultan, auquel on eut soin de raconter cette scène, fit donner

1. Herreras place la conversion de ce prince en l'an 1230.

2. Voir ci-devant, p. 307.

'ordre à Ibn-el-Abbar de rester chez lui aux arrêts; mais, plus tard, ayant reçu une pièce de vers intitulée les secrétaires pardonnés (Eïtab-el-Kottab), dans laquelle cet écrivain cita les noms de tous les secrétaires des temps anciens qui avaient été réprimandés et pardonnés, il voulut bien oublier le passé et réintégrer l'auteur dans la place qu'il avait perdue. L'intercession d'El-Mostancer auprès de son père contribua beaucoup au rappel du poète.

Après la mort d'Abou-Zékérïa, son successeur El-Mostancer fit à Ibn-el-Abbar l'honneur de l'inscrire sur la liste des Andalousiens et Tunisiens qui formaient sa société intime. Dans ces réunions, le littérateur espagnol montra un caractère peu facile et un amour-propre qui passait toutes les bornes : quand on discutait une question de littérature, il oubliait les égards dus au sultan pour le plaisir de le reprendre à chaque instant et de traiter ses opinions avec mépris. Cette conduite imprudente et les éloges outrés qu'il donnait, à tout propos, au pays et au gouvernement de l'Espagne finirent par indisposer El-Mostancer et faire réussir les intrigues d'Ibn-Abi-'l-Hocein, qui cherchait à le perdre.

Depuis longtemps ce vizir nourrissait une haine profonde contre lui à cause d'une circonstance que nous devons raconterici. Quand Ibn-el-Abbar débarqua à Benzert, en venant de Valence, il écrivit à ce ministre afin de lui donner connaissance du but de sa mission, et sur le dos de la lettre, il mit ces mots en forme d'adresse: Au fils de feu Abou-'l-Hocein. On lui fit aussitôt observer qu'il venait de se tromper, puisque Abou-Hocein vivait encore; mais il y répondit en ricanant : « C'est un personnage » bien obscur que son père, vu que le public ignore s'il est >> vivant ou mort! » Cette parole fut rapportée à Ibn-Abi-'lHocein qui en fut vivement blessé et qui, dès lors, ne cessa de travailler contre l'auteur jusqu'à ce qu'il décida le sultan à le reléguer dans 1 Bougie.

Quelque temps après, Ibn-el-Abbar rentra en grâce, et ayant

1. Dans le texte arabe, il faut lire ila à la place de min.

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Tant que cette enquête dura, El-Lulîani continua à se rendre régulièrement à son bureau. Alors on fit répandre le bruit qu'il allait s'enfuir en Sicile, et sur l'aveu d'un de ses affidés, on décida sa mort. Livré à Hilal, chef du corps des affranchis européens, il mourut sous la bastonnade. Son cadavre fut exposé aux insultes de la populace qui finit par en détacher la tête. Les parents et amis de ce malheureux furent enveloppés dans la proscription et périrent tous par l'ordre du sultan.

ABOU-ALI-EL-MILIANI EST CHASSÉ DE MILIANA PAR L'ÉMIR
ABOU-HAFS.

Après la prise de Tlemcen par Abou-Zékérïa et la soumission de Yaghmoracen, tout le Maghreb central, depuis la province de Tlemcen inclusivement jusqu'à Bougie, obéissait à la domination hafside. A peine, cependant, l'autorité du sultan eut-elle cessé de s'y faire sentir que les tribus d'origine zenatienne, populations fières et puissantes, commencèrent encore à se faire la guerre. Or, le sultan, en partageant les territoires du Maghreb entre des nomades, avait donné Miliana aux Beni-Ourcifan, peuplade maghraouienne. A cette époque le jurisconsulte et traditioniste Abou-'l-Abbas-el-Miliani, homme aussi distingué par le savoir que par ses mœurs et sa piété, se trouvait dans cette ville. Les docteurs les plus habiles venaient de tous les côtés pour entendre ses leçons, et le conseil administratif de Milîana l'avait choisi pour son président. Abou-Ali, son fils, était d'un caractère tout différent : rempli d'ambition, sans posséder une seule bonne qualité pour le lui faire pardonner, il se laissa entrainer par la fougue de la jeunesse et conçut l'espoir de se rendre indépendant. Cela lui semblait d'autant plus facile qu'il voyait l'autorité hafside en Maghreb s'affaiblir de jour en jour et la guerre se prolonger entre les Maghraoua et Yaghmoracen, leur voisin et adversaire déclaré. Cet état de choses le décida à répudier la souveraineté des Hafsides et à se faire proclamer seigneur de Miliana.

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