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coulent à l'ombre des arbres, tous les soins prodigués à ce lieu enchanteur, le rendaient si cher au sultan que, pour mieux en jouir, il abandonna pour toujours les lieux de plaisir construits par ses prédécesseurs. Rien ne fut négligé, de son côté, pour augmenter les charmes d'un endroit dont la renommée devait remplir l'univers.

ABOU-ISHAC, FRÈRE DU SULTAN, S'ENFUIT CHEZ LES RIAH.

Le sultan El-Mostancer craignait beaucoup l'ambition de son frère Abou-Ishac, et, pour se garantir contre lui, il le tenait en surveillance et le traitait avec une rigueur et une sévérité extrêmes. En l'an 651 (1253-4), il sortit avec ses troupes pour arranger quelque affaire qui intéressait l'état, et, pendant sa marche, Abou-Ishac réussit à s'enfuir du campet à passer chez les Douaouida, branche de la tribu de Rîah. Les membres de cette puissante famille lui prêtèrent le serment de fidélité à Zeraïa 1, endroit situé dans les dépendances de Nigaous. Parmi les personnes qui se rallièrent ensuite à sa cause, Abou-Ishac reconnut avec plaisir un ancien serviteur de son père, l'affranchi Dafer, dont le dévouement et le rang élevé lui semblaient dignes des plus hauts égards. Les insurgés allèrent alors mettre le siège devant Biskera et reçurent dans leurs rangs Fadl-Ibn-Ali-Ibnel-Hacen-Ibn-Mozni, l'un des cheikhs de la ville. Cet homme s'était tout d'abord prononcé en faveur d'Abou-Ishac etdutpasser du côté des assiégeants, parce que les autres notables de la place avaient tenu conseil pour le faire mourir. Sa défection entraîna la soumission de Biskera. Cette conquête achevée, les alliés d'Abou-Ishac partirent pour Cabes, et, pendant qu'ils tâchaient de réduire cette forteresse, ils reçurent l'appui d'une foule d'Arabes nomades qui leur arrivèrent de tous les côtés.

1. Les manuscrits et le texte imprimé portent, à tort, Rouaïa.

Le sultan fut tellement inquiet des suites que pourrait avoir cette révolte qu'il enferma dans la citadelle tous les enfants du prince fugitifet les y retint sous bonne garde. Son vizir, Ibn-Abi1-Hocein, travailla de son côté à semer la division entre AbouIshac et Dafer. Pour y parvenir, il fit entendre officieusement à la sœur de ce prince, laquelle se trouvait alors dans la capitale, que son frère ferait bien de se méfier de l'affranchi. Elle ne manqua pas d'en faire avertir Abou-Ishac, et cette communication eut le résultat auquel le vizir s'attendait. Dafer, ayant remarqué que le prince lui témoignait une extrême froideur, le quitta et s'en alla dans le Maghreb d'où il passa en Espagne. Les bandes qui entouraient les drapeaux d'Abou-Ishac se dispersèrent aussitôt, et ce prince fut obligé de s'enfuir à Tlemcen. De là, il se rendit en Espagne et se présenta à la cour de Mohammed-Ibn-el-Ahmer. Accueilli avec de grands honneurs par ce monarque, ancien ami de son père, il obtint de lui une pension considérable et eut ensuite l'occasion de prendre part à la guerre sainte et de se distinguer dans plusieurs rencontres avec les infidèles. Le sultan El-Mostancer ne cessa, jusqu'à sa mort, d'envoyer à Ibn-el-Ahmer des cadeaux et des députations almohades, afin de conserver sa bienveillance et l'empêcher de seconder les projets du fugitif, sur lequel, du reste, il obtenait des renseignements par la même occasion. Plus loin nous raconterons comment Abou-Ishac parvint au trône de l'Ifrîkïa.

Après la mort d'El-Mostancer, Dafer quitta l'Espagne et alla débarquer à Bougie, d'où il envoya ses fils auprès d'El-Quathec [le nouveau khalife], afin d'obtenir sa grâce et l'autorisation de partir pour la Mecque. Le vizir [Ibn-el-Habbeber] qui, à cette époque, gouvernait en maître l'empire hafside, craignait tant l'influence de cet affranchi qu'il écrivit au gouverneur de Bougie, le cheikh almohade Abou-Hilal-Aïad-el-Hintati, lui ordonnant de le faire assassiner, plutôt que de le laisser partir pour l'Orient. Dafer fut tué et ce crime demeura impuni. Ses fils trouvèrent un refuge chez les Beni-Toudjîn et reparurent plus tard dans le cortège d'Abou-Ishac, quand ce prince revint en Afrique pour monter sur le trône.

HISTOIRE ET CHUTE DES BENI-'N-NOMAN.

DANS LE ZAB.

EXPÉDITION DU SULTAN

Les fils de Noman appartenaient à la tribu des Hintata où ils tenaient le rang de cheikhs et de chefs de peuplade. Sous le règne de l'émir Abou-Zékérïa, ils figuraient au premier rang parmi les fonctionnaires de l'empire, et, lors de l'avènement d'El-Mostancer, ils avaient obtenu en don le gouvernement de Constantine, ville qu'ils firent administrer par un de leurs parents. L'aîné de ces chefs se nommait Abou-Ali; les deux autres s'appelaient Meimoun et Abd-el-Ouahed. Comme ils avaient trempé dans la conspiration [du fils] d'El-Lihyani, le sultan les fit tous arrêter en l'an 651 (1253-4), aussitôt qu'il eut raffermi son autorité et rétabli l'ordre dans ses états. Abou-Ali fut déporté à Alexandrie, Meimoun fut mis à mort, et, avec eux, disparut toute l'influence de leur famille.

Quelque temps après, un nommé Abou-Himara suscita une révolte dans le Zab. Le sultan partit aussitôt de Tunis pour châtier les rebelles, et ayant fait essuyer à leurs bandes une défaite sanglante, il ôta la vie à leur chef, que l'on était parvenu à faire prisonnier. La tête de cet aventurier fut portée à Tunis et exposée aux regards du peuple. El-Mostancer se rendit ensuite à Maggara et en arrêta les notables, qui appartenaient tous aux tribus de Mirdas et de Debbab, branches de la grande tribu de Soleim. Parmi eux se trouvèrent Rehab-Ibn-Mahmoud et son fils. Il les envoya à El-Mehdïa pour y être mis au cachot, et, après ce coup de main, il rentra à Tunis chargé de butin.

LA MECQUE RECONNAÎT LA SOUVERAINETÉ DES HAFSIDES.

Le seigneur et gouverneur de la Mecque appartenait à la plus noble famille du monde, à celle des chérifs descendants d'ElHacen, fils de Fatema [fille de Mahomet]. Il se nommait AbouNemi; son frère s'appelait Idris. Depuis l'époque où Salah-ed

Din (Saladin)-Youçof, fils d'Aïoub le kourd, eut rétabli l'autorité spirituelle des khalifes abbacides en Égypte, en Syrie et en Hidjaz1, les chérifs de la Mecque avaient continué à reconnaître la souveraineté de cette famille. Le droit de commander les pèlerins et d'administrer la ville demeura, toutefois, entre les mains de [Salah-ed-Dîn] qui le transmit à ses descendants, desquels il passa à leurs affranchis, ainsi que cela se voit encore de nos jours. Il s'éleva bientôt de vives contestations entre ces affranchis et les chérifs, et la lutte durait encore quand les Tartars vinrent renverser le khalifat de Baghdad et que la dynastie hafside s'éleva en Afrique, forte des vœux et de l'appui des peuples.

Il se trouvait alors domicilié à la Mecque un soufi sou docteur ascétique] qui s'appelait Abou-Mohammed [-Abd-el-Hack]-IbnSebâïn. Cet individu, ayant quitté Murcie, sa ville natale, s'était d'abord rendu à Tunis, et, comme il était profondément versé dans la connaissance de la loi et des sciences intellectuelles, il avait affiché la prétention de s'être dompté au point de pouvoir marcher droit dans la voie du soufisme. Il professait même une partie des doctrines extravagantes que l'on apprend dans cette école, et il enseignait ouvertement que rien n'existe excepté Dieu, principe dont nous avons parlé dans notre chapitre sur les soufis exagérés. Il prétendait même s'être acquis la faculté de régir selon sa volonté 3 toutes les diverses espèces d'êtres et

1. Avant la conquête de l'Égypte par Saladin et la chute des Fatemides, laquelle en fut la conséquence, ce pays, ainsi que la Syrie et la partie de l'Arabie qui s'appelle le Hidjaz et qui renferme la ville de la Mecque, reconnaissaient l'autorité spirituelle et temporelle des khalifes fatemides.

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3. Ce chapitre se trouve dans les Prolégomènes. Le tome XII du recueil des Notices et Extraits, etc., renferme une notice des Vies des Soufis de Djamê, dans laquelle M. de Sacy donne une savante exposition des doctrines du soufisme. Il y a inséré le texte et la traduction du chapitre auquel Ibn-Khaldoun renvoie le lecteur.

3. Il faut corriger le texte arabe et lire tesarrof à la place de tesauwof. Voir Notices et Extraits, t. XII, pp. 303, 304, ainsi que le texte arabe, p. 297, lignes 6 et 8.

opérer des miracles]. Par suite de ces opinions, il se vit attaqué dans ses croyances religieuses et accusé de professer une doctrine impie et contraire aux bonnes mœurs ; il finit même par encourir la réprobation d'Abou-Bekr-Ibn-Khalil-es-Sekouni, ancien chef des théologiens de Séville et alors chef de ceux de Tunis. Comme celui-ci avait déclaré qu'on devait poursuivre IbnSebâïn comme criminel, les muftis et les traditionnistes s'acharnèrent contre le novateur dont ils repoussèrent les prétentions extravagantes. Craignant que ses adversaires trouvassent assez de preuves pour le faire condamner, cet homme passa en Orient et se fixa à la Mecque. Réfugié là, dans l'asile inviolable du temple, il se lia d'amitié avec le chérif, seigneur de la ville, et l'encouragea dans la résolution qu'il avait formée de reconnaître la souveraineté d'El-Mostancer, sultan de l'Ifrîkïa. Voulant capter la bienveillance de ce monarque et trouver le moyen de se venger à son tour, il composa et traça de sa propre main la lettre par laquelle les chérifs de la Mecque acceptaient ce prince pour souverain 1.

Quand le sultan reçut cet écrit, il convoqua tous les dignitaires de l'empire ainsi que le peuple, afin de leur en donner lecture. Le cadi Abou'-l-Berra, prédicateur de la cour, prit ensuite la parole et, à la suite d'un long discours sur l'admirable style de la lettre, il signala l'excellent effet qu'elle devait produire dans le monde en faisant connaître le nouvel éclat que la gloire du sultan et de son royaume venait de recevoir par l'empressement des habitants de la Ville Sainte à reconnaître son. autorité. Il termina son discours par une prière pour la prospé

1. Dans le texte arabe, cette lettre remplit onze pages. Elle se compose d'allusions coraniques, scolastiques, métaphysiques, cabalistiques, mystiques, historiques et grammaticales, entremêlées de jeux de mots intraduisibles et de jeux d'esprit presque insaisissables. Bien que nous ayons compris la plus grande partie de ces graves futilités, nous n'avons pas essayé de les traduire, puisqu'il faudrait, en outre, un long commentaire pour les rendre intelligibles. La reconnaissance d'ElMostancer par les habitants de la Mecque est le seul fait qui y est énoncé. L'auteur, Ibn-Sebâïn, mourut en 669 (1270).

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