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On regarde comme une nouvelle certaine que tu dois rendre la vie à ce pays en donnant la mort au roi des Francs 1.

Purifie [par le sang] ton pays [l'Espagne] de la souillure que lui imprime la présence de l'ennemi; la pureté ne s'obtient qu'en lavant les souillures.

Qu'une armée invincible foule le sol espagnol, jusqu'à ce que la tête de chaque chef s'abaisse [devant toi].

Porte secours à tes serviteurs qui, au fond de l'Espagne orientale, ont les yeux remplis de larmes 2.

Ils se sont dévoués à ton service; mais leur séjour, miné par une maladie, va s'écrouler, à moins que tu n'y portes remède. Jouis d'avance du bonheur que tu goûteras en dotant l'Andalousie de chevaux sveltes et de lances effilées.

Indique-lui l'époque de la victoire qu'elle s'attend à remporter; espérons que le [dernier] jour de l'ennemi va bientôt arriver !

L'émir Abou-Zékérïa exauça cette prière et fit partir pour l'Espagne une flotte chargée de vivres, d'armes et d'argent, le tout évalué à cent mille pièces d'or. Abou-Yahya, fils de YahyaIbn-es-Chehîd le hafside, qui commandait cette expédition, parut devant Valence et, trouvant la ville étroitement bloquée ainsi que nous l'avons dit], il alla débarquer ces munitions à Dénia. Comme personne ne s'y présenta au nom d'Ibn-Merdenîch pour les recevoir, il prit le parti de tout vendre et d'en rapporter le prix. Valence souffrait alors à un tel degré par suite du blocus qu'un grand nombre des habitants mourut de faim; aussi, dans le mois de Safer 636 (sept.-oct. 1238), la gar

1. Littéralement au roi des jaunes. Les empereurs romains, après Vespasien, adoptèrent le surnom de Flavius, et les rois Goths d'Espagne en firent de même. C'est probablement pour cette raison que les musulmans donnent aux peuples chrétiens les noms de Beni-'l-Asfer (enfants du jaune) et Beni-'s-Sofr enfants des jaunes). Ils auront pris Flavius pour flavus.

2. Le poète ajoute ici: qui coulent par pair et impair, c'est-à-dire avec abondance.

nison entra en pourparlers et livra la place à Djacma (Jayme), roi d'Aragon. Ibn-Merdenîch quitta la ville lors de cette capitulation et passa dans l'île de Xucar où il fit proclamer la souveraineté d'Abou-Zékérïa. Quant à Ibn-el-Abbar, il repartit pour Tunis et entra au service du sultan.

Ibn-Merdenîch, ayant été expulsé de Xucar par l'ennemi qui était venu l'y assiéger, se rendit à Denïa, dans le mois de Redjeb (février-mars 1239) de la même année, et fit prêter aux habitants le serment de fidélité envers Abou-Zékérïa. Ensuite, il pratiqua des intelligences avec les habitants de Murcie qui, vers le commencement de l'année, avaient reconnu pour souverain Abou-Bekr-Azîz-Ibn-Abd-el-Mélek-Ibn-Khattab. Secon dé par eux, il força les portes de la ville, dans le mois de Ramadan (avril-mai 1239), ôta la vie à ce chef, envoya à l'émir AbouZékérïa l'adhésion des habitants et rangea sous son obéissance l'Andalousie orientale. En 637 (1239-40), ses ambassadeurs lui rapportèrent de Tunis un acte qui le confirmait dans le gouvernement de ce pays. Il s'y maintint encore un an; mais, s'étant laissé enlever la ville de Murcie par Ibn-Houd, il dut se retirer dans la forteresse de Lecant-el-Hosoun (Luchente). En l'an 644 (1246), quand le roi de Barcelone lui enleva cette place, il se rendit à Tunis.

ÉLÉVATION ET CHUTE D'EL-DJOUHERI.

Mohammed, fils de Mohammed-el-Djouheri (le joaillier), s'était acquis une haute réputation par les talents qu'il déploya au service d'Ibn-Agmazîr-el-Hintati, gouverneur de Ceuta et du pays des Ghomara, mais son habileté dans les affaires était encore moins grande que son ambition. Ayant obtenu une place, à Tunis, dans les bureaux du gouvernement, il rechercha toutes les occasions qui pourraient contribuer à lui gagner la faveur du souverain et à se faire donner de l'avancement. Les impôts

1. Le château de Luchente fut pris en 1248, selon Ferreras.

fournis par les peuplades berbères qui campaient au milieu des Arabes nomades, n'étaient pas encore fixés d'une manière précise, on ne les enregistrait même pas dans les bureaux. Cette circonstance ayant amené El-Djouheri à conclure que les percepteurs et les gouverneurs des provinces en détournaient une bonne partie à leur profit, il obtint la direction de cette branche des contributions et en fit rentrer et enregistrer pour une valeur considérable. L'emploi qu'on venait de lui accorder forma une administration à part sous le nom de bureau des nomades 1. La réputation qu'il sut acquérir dans l'exercice de ses nouvelles fonctions le fit remarquer par tous les fonctionnaires publics et lui attira la faveur et la confiance du souverain. La mort d'Abou'r-Rebiâ-Ibn-el-Ghoreigher-el-Guenficeni 2, directeur général des contributions à Tunis, eut lieu vers cette époque, et El-Djouheri réussit à obtenir sa nomination à la place vacante, bien que, jusqu'alors, elle n'avait jamais été confiée qu'à l'un ou à l'autre des grands cheikhs almohades; mais il avait tellement plu au sultan par son zèle et son habileté, que cette nomination n'éprouva aucune difficulté. Parvenu enfin à la position qu'il avait si ardemment recherchée, El-Djouheri crut faire servir son élévation au profit de son ambition: il adopta l'habillement militaire, équipa à ses frais un corps de cavalerie et, toutes les fois qu'il allait guerroyer contre les bédouins, il s'entourait des emblèmes de la royauté.

Pendant qu'il poursuivait ainsi sa carrière, Abou-Ali-Ibn-enNomanet Abou-Obeid-Allah-Ibn-Abi-'l-Hacen travaillaient à le perdre. Mécontents du peu d'égards qu'il leur avait témoigné, ils cherchaient à le desservir auprès du sultan, auquel ils représentèrent qu'un tel homme était fort à craindre et qu'il pourrait se mettre en révolte au moment où l'on s'y attendait le moins. Il est vrai qu'El-Djouheri donnait beau jeu à ses ennemis par sa

1. En arabe: aml el-Omoud (administration de l'omoud). L'omoud est le bâton ou mât qui soutient la tente des nomades.

2. Variante el-Guenfîti.

forfanterie l'on rapporte qu'un jour il dit au sultan, qui le consultait sur la manière de mettre à la raison quelques révoltés: « J'ai ici, à votre porte, mille cavaliers avec lesquels je me fais » fort d'écraser autant que vous voudriez de gens de cette es» pèce. » Ces paroles firent une très mauvaise impression sur l'esprit du prince; il tourna le dos au fonctionnaire trop présomptueux et demeura parfaitement convaincu de la vérité des accusations que l'on avait dirigées contre lui.

Quand Abd-el-Hack-Ibn-Youçof-Ibn-Yacîn fut envoyé à Bougie avec Abou-Yahya-Zékérïa, fils du sultan, pour y remplir, auprès de cet émir, les fonctions de ministre des finances, ElDjouheri lui adressa ces paroles : « Vous devez cette nouvelle position aux démarches que j'ai faites en votre faveur; aussi, >> vous aurez, dorénavant, à me montrer un dévouement à toute. >> épreuve et à vous conduire uniquement d'après les ordres que

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je vous adresserai par écrit. » L'émir Zékérïa, à qui Abd-elHack rapporta ce discours, en fut extrêmement irrité, et il s'indigna surtout de ce qu'un homme tel qu'El-Djouheri prétendit lui enlever le droit de commandement.

Le sultan continua à recevoir d'autres dénonciations de la même nature que les précédentes et il en garda le souvenir en attendant le moment d'agir. Un délit, légalement constaté, lui procura enfin l'occasion de punir El-Djouheri et, en l'an 639 (1241-2) 1, ce ministre fut arrêté et livré à la vengeance de ses ennemis Ibn-Berân et En-Nedromi 2. Pendant plusieurs jours, il supporta avec une fermeté extraordinaire les tortures auxquelles on le soumit; mais, un matin, il fut trouvé mort dans sa prison. L'on rapporte qu'il s'était étranglé de sa propre main. Son cadavre, jeté dans la rue, resta exposé à toutes les insultes que ses ennemis purent imaginer.

1. Le texte et les manuscrits portent 689. Cette date est fausse.

2. Ces deux individus sont probablement les mêmes que notre auteur a désignés plus haut par les noms d'Ibn-en-Noman et d'Abou-ObeidAllah.

PRISE DE TLEMCEN

ET

SOUMISSION DES

BENI-ABD-EL-OUAD

A LA DOMINATION HAFSIDE.

L'émir Abou-Zékérïa, après avoir soustrait l'Ifrikïa à la domination de la famille d'Abd-el-Moumen, aspira au trône de l'empire almohade et à la possession de Maroc. Pour y parvenir, il chercha d'abord à se ménager des intelligences avec les Zenata dont l'appui lui parut indispensable. A plusieurs reprises, il mit en œuvre messages et sollicitations, dans l'espoir de gagner les chefs de ce peuple et, surtout, les émirs des Beni-Merîn, des Beni-Abd-el-Ouad, des Toudjîn et des Maghraoua.

A l'égard de Yaghmoracen l'abd-el-ouadite, une pareille tâche était très difficile : ce prince, depuis sa soumission à la dynastie d'Abd-el-Moumen, n'avait jamais cessé de maintenir dans ses états l'autorité de l'empire almohade, et, animé d'un beau dévouement envers ses maîtres, il vivait en paix avec leurs amis et en guerre avec leurs ennemis. Au khalife [almohade] ErRechid, il avait donné de nombreux témoignages de fidélité, et, jaloux de mériter la bonne opinion de ce monarque, il lui avait envoyé, à plusieurs reprises, de riches présents et des objets. rares et curieux de toute espèce. Par ces démonstrations, il voulait témoigner combien l'amitié des Almohades lui était précieuse 1 et combien il la préférait à celle des Mérinides, famille qui commençait à diriger ses tentatives contre le Maghreb et l'empire fondé par Abd-el-Moumen.

Pendant que le sultan Abou-Zékérïa considérait, avec une sérieuse inquiétude, les liaisons qui attachaient ses voisins, les Abd-el-Quadites et Yaghmoracen, au parti d'Er-Rechîd, il reçut la visite d'Abd-el-Caouï, émir des Beni-Toudjîn, qui vint, accompagné de quelques chefs maghraouiens, membres de la famille Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman [-Ibn-Mohammed], dans l'espoir d'obtenir des secours contre Yaghmoracen. Cette députation lui représenta qu'il pourrait facilement s'emparer de

1. Je lis teghannoman.

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