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Lihyani, qui avait embrassé le parti de son frère, Abou-Zékérïa, reçut de lui, plus tard, des charges d'une grande importance, et toutes les fois que cet émir s'éloignait de Tunis, il y remplit les fonctions de lieutenant.

En cette même année, Abou-Zékérïa confisqua les biens de son vizir Meimoun-Ibn-Mouça et l'envoya prisonnier à Cabes; mais plus tard il lui permit de se retirer à Alexandrie. Abou-YahyaIbn-Abi-'l-Alâ-Ibn-Djamê, successeur de Meimoun dans le vizirat, conserva cette place toute sa vie. Abou-Zeid, fils de Mohammed, frère cadet d'Abou-Yahya-Ibn-Djamê, fut choisi pour le remplacer et, jusqu'à sa mort, il conserva cette haute position.

MORT D'IBN-GHANÎA.

LE SULTAN ABOU-ZÉKÉRÏA INSTALLE A BOUGIE, EN QUALITÉ DE GOUVERNEUR, SON FILS, L'ÉMIR ABOU-YAHYAZÉKÉRÏA.

Quand l'émir Abou-Zékérïa se fut rendu maître de l'Ifrîkïa, il prit aussitôt la résolution d'en expulser Ibn-Ghanîa. Dans l'exécution de cette tâche, il remporta plusieurs victoires mémorables et parvint à chasser le chef almoravide de la province de Tripoli et du Zab. Toujours acharné à la poursuite de son adversaire, il s'avança jusqu'à Ouergla, et ce fut alors qu'il bâtit la grande mosquée de cette ville. Voulant ensuite mettre ses états à l'abri de toute attaque, il cantonna des corps d'armée sur les frontières et y établit des gouverneurs. Pendant quelque temps, Ibn-Ghanîa, accompagné d'une petite troupe de Soleimides, d'Hilaliens et d'autres Arabes, mena une vie errante dans les lieux où on l'avait repoussé, et il y mourut l'an 631 (1233–4). Comme il ne laissa pas de fils, on cessa de penser à lui, et Dieu effaça de la terre les traces de sa révolte. Dès ce moment commença la prospérité de l'empire hafside; l'esprit de la domination palpita dans le sein de cette dynastie, et le territoire dont elle était maîtresse prit une grande extension.

Abou-Zékérïa forma alors le projet de soumettre le Maghreb central et, en l'an 634, il quitta Tunis afin d'envahir les terri

toires occupés par les Zenata. Arrivé à Bougie, il y séjourna quelque temps et, de là, il alla s'emparer d'Alger. Après avoir établi dans cette ville un gouverneur de son choix, il entra dans le pays des Maghraoua où il accueillit la prompte soumission de la famille Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman, et, voyant que les BeniToudjîn se disposaient à lui résister de vive force, il occupa la ville d'El-Bat'ha et les attaqua avec un succès complet. Leur chef, Abd-el-Caouï-Ibn-el-Abbas, fut fait prisonnier et envoyé à Tunis.

La conquête du Maghreb effectuée, Abou-Zékérïa reprit le chemin de sa capitale et installa dans Bougie, en qualité de gouverneur, son fils, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa. Avec ce prince, il laissa un membre de la tribu de Hintata, nommé Yahya-IbnSaleh-Ibn-Ibrahîm, pour lui servir de vizir, et il plaça auprès de lui deux autres Hintatiens, l'un nommé Abd-Allah-Ibn-ÁbiTehdi, en qualité de conseiller, et l'autre, Abd-el-Hack-IbnYacîn, comme receveur des impôts. Plus tard, il adressa à son fils une lettre de conseils dans laquelle il traita de toutes les matières qui regardent la religion, l'état et l'administration. Ce document, émané d'une source aussi respectable, brille tellement par les pensées et le style, que nous regardons comme un devoir de le reproduire '.

CHÂTIMENT DES HOOUARA PAR LE SULTAN.

Depuis la conquête de l'Ifrîkïa [par les premiers musulmans], les Hoouara s'étaient fait remarquer par leur nombre et leur puissance; mais, ayant pris part à la révolte d'Abou-Yezid, ils avaient succombé, vaincus et accablés par les forces de l'empire fatemide. Il en survécut cependant quelques débris épars qui se tinrent dans l'Auras, ainsi que dans les plaines de l'Ifrikia

1. On trouvera cette pièce plus loin, dans le chapitre qui a pour sujet la mort de l'émir Abou-Yahya-Zékérïa.

qui s'étendent derrière cette montagne et qui vont aboutir à Obba, à Mermadjenna, à Sebîba et à Toborsoc.

Quand les Almohades eurent renversé le royaume des Sanhadja et que les Arabes nomades, tant hilaliens que soleimides, eurent conquis les campagnes de l'Ifrîkïa et subjugué, par leur supériorité en nombre, les habitants de ces contrées, les peuplades hoouarides dont nous venons de parler adoptèrent les usages des vainqueurs, leur habillement, leur vie nomade et toutes leur manières; elles renoncèrent à leur dialecte barbare pour adopter l'idiome des Arabes et finirent par oublier totalement leur première langue. C'est là un des résultats que l'imitation du vainqueur amène chez le peuple vaincu.

Éblouis par les succès d'Abd-el-Moumen et des Almohades, les Hoouara se montrèrent disposés à l'obéissance envers cette dynastie naissante; mais après que l'usurpation de l'émir AbouZékérïa eut fait passer le gouvernement [de l'lfrîkïa] dans la famille d'Abou-Hafs, ils témoignèrent un esprit d'insubordination qui les conduisit au refus de l'impôt et aux actes de brigandage sur les grandes routes. Le sultan [Abou-Zékérïa] fut donc obligé de prendre des mesures sévères à leur égard : il quitta Tunis, l'an 636 (1238-9), sous le prétexte d'une expédition contre les habitants de l'Auras, et il envoya aux Hoouara l'ordre de lui fournir un contingent de troupes. Quand tous ces détachements furent arrivés au camp, il les fit tailler en pièces par ses Almohades et Arabes. Ceux qui échappèrent à la mort tombèrent presque tous dans l'esclavage; leurs richesses devinrent la proie du soldat; leur chef, Abou-'t-Taïîb-Bâra-IbnHannach, y perdit la vie, et le petit nombre qui put se soustraire au massacre par la fuite resta dans un dénuement complet. Ce châtiment abaissa l'orgueil des Hoouara, paralysa leurs forces et les obligea à rester désormais dans l'obéissance.

1. Pour se rendre raison de cette orientation, il faut se rappeler que l'auteur écrivit son histoire dans le Casr-Ibn-Selama, forteresse située à plusieurs journées ouest de l'Auras.

RÉVOLTE D'EL-HERGHI A TRIPOLI.

Le cheikh almohade Yacoub-Ibn-Youçof-Ibn-Mohammed-elHerghi, surnommé Abou-Abd-er-Rahman, avait reçu de l'émir Abou-Zékérïa le gouvernement de la ville et de la province de Tripoli. En partant pour sa destination, il emmena avec lui un corps de troupes almohades destiné à défendre ce pays contre les Debbab, tribu arabe soleimide. S'étant établi dans le commandement de la province, il en fit rentrer les impôts et prit à sa solde les Arabes et les Berbères des environs de la ville. Lié d'amitié avec El-Djouheri 1, il éprouva de vives inquiétudes en apprenant la triste fin de ce fonctionnaire, mis à mort l'an 639, ainsi que nous venons de le raconter 2. Le sultan lui envoya alors l'ordre de se rendre à la cour, et voyant qu'il cherchait des prétextes pour ne pas s'y conformer, il chargea Ibn-Abi-Yacoub, frère [d'El-Herghi], d'aller le chercher. Cette démarche ne fit qu'accroître les appréhensions du gouverneur; épouvanté par la perspective du sort qui l'attendait et comptant sur l'influence que devaient lui donner les trésors qu'il avait amassés dans l'administration des impôts, il conçut le projet de se rendre indépendant. Les habitants de la ville devinèrent ses intentions et, craignant qu'il ne s'abouchât avec les Arabes, si l'on n'agissait pas sur-le-champ, ils le mirent aux arrêts ainsi que son frère et ses partisans. Ce coup d'état fut exécuté la même nuit que l'on en avait conçu la pensée. On expédia aussitôt un courrier à la capitale pour y annoncer cette nouvelle et, bientôt après, on reçut du sultan l'ordre de faire mourir les prisonniers. Leurs têtes furent envoyées à Tunis et leurs cadavres, mis en croix, restèrent

1. Il sera question de ce fonctionnaire dans le second chapitre après celui-ci. Ici l'auteur écrit Djouaheri, mais la leçon adoptée dans la traduction est la bonne.

2. Ici l'auteur commet une inadvertance, l'histoire d'El-Djouheri se trouvant plus loin. On peut supposer que ce chapitre sur El-Herghi est un de ceux qu'Ibn-Khaldoun intercala dans son ouvrage.

exposés sur les murs de Tripoli. Cette exécution obtint l'approbation générale et donna aux poètes l'occasion d'adresser au sultan des vers de félicitation.

Au nombre de ceux qui périrent avec El-Herghi se trouva Mohammed-Ibn-Abi-Amran-Ibn-Amran, fils du grand cadi de Maroc. Arrivé de Tunis sans emploi, il était allé à Tripoli où il s'était attaché au service d'El-Herghi, et, comme le bruit s'était répandu qu'il avait composé un discours pour l'inauguration de son patron, cette circonstance lui coûta la vie.

Il y avait aussi à El-Mehdïa un agent politique du gouvernementalmohade, nommé Abou-Hamra ', qui s'était distingué par sa bravoure dans les expéditions maritimes. Il avait exercé le commandement de la flotte et, par de fréquentes courses, il était parvenu à inspirer un tel effroi aux guerriers des nations infidèles qu'il avait mis les côtes du territoire musulman à l'abri de leurs attaques. La renommée venait de répandre au loin le bruit de ses exploits, quand la rumeur publique l'accusa d'avoir eu des intelligences secrètes avec El-Djouheri et El-Herghi. L'on disait aussi que le cadi d'El-Mehdïa, Abou-Zékérïá-el-Barki (natif de Barca), avait eu connaissance de leurs machinations. Un mandat impérial fut donc expédié à Abou-Ali-Ibn-Abi-Mouça le hafside, lui ordonnant de faire mourir Ibn-Abi-'l-Ahmer et d'envoyer le cadi prisonnier à la capitale. Quand El-Barki y fut arrivé, le sultan soumit sa conduite à une enquête et, reconnaissant son innocence, il le fit mettre en liberté et le renvoya à El-Mehdia.

On fit aussi mourir à Tunis un soldat que l'on soupçonnait avoir trempé dans la conspiration d'El-Herghi et fait des démarches pour soulever les milices. Comme cet homme était l'ami intime de Rehab-Ibn-Mahmoud, émir des Debbab, le sultan [voulut éviter l'éclat d'une condamnation publique et] le fit assassiner par quelques misérables appartenant à la race des Zenata. Jamais on ne rechercha les auteurs de ce crime.

Le sultan continua à poursuivre et à faire exécuter tous les

1. Quelques lignes plus loin, ce nom est écrit Ibn-Abi-'l-Ahmer.

T. II.

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