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pavillons. Quelques fractions de la tribu d'Auf-Ibn-Soleim passèrent alors de son côté, et, par cette défection, elles jetèrent le désordre dans les rangs d'Ibn-Ghanîa. Les Almohades char gèrent alors et poursuivirent l'ennemi jusqu'à ce que les ombres de la nuit l'eurent dérobé à la mort. Un butin immense et une foule de prisonniers tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Les Arabes avaient fait prendre les devants aux chameaux qui portaient leurs femmes, afin d'en faire un centre de ralliement et d'avoir sous leurs yeux les objets les plus chers à leur honneur; mais toute cette caravane fut enlevée par les Almohades. Un nombre immense d'Almoravides, de Zenata et d'Arabes resta sur le champ de bataille, et parmi les morts on compta Abd-AllahIbn-Mohammed-Ibn-Masoud-el-Bolt, chef des Douaouida, son cousin Haracat-Ibn-Abi-'s-Cheikh-Ibn-Açaker, chef des Corra, Djerrar-Ibn-Ouighern 2, chef des Maghraoua, Mohammed, fils de Ghazi-Ibn-Ghanîa, et plusieurs autres personnages distingués. Pendant que Yahya-Ibn-Ghanîa opérait sa retraite, le désespoir dans l'âme, après avoir vu la ruine de sa puissance et la destruction de son armée, Abou-Mohammed ramena à Tunis ses Almohades victorieux et triomphants. Par ce succès, il raffermit sa puissance en Ifrîkïa et fit disparaître jusqu'aux dernières semences de rebellion qui avaient germé dans ce pays. Dès lors, l'impôt se paya régulièrement, les combats devinrent plus rares et aucun échec ne fit reculer ses drapeaux.

Youçof-el-Mostancer, fils et successeur d'En-Nacer, était encore si jeune que le grand conseil des cheikhs almohades dut se charger du gouvernement de l'empire, et l'on était alors tellement préoccupé du progrès des Mérinides en Maghreb qu'il fallut laisser aux soins d'Abou-Mohammed le commandement de l'Ifrîkia. Plein de confiance dans l'habileté de ce chef, qui s'était également distingué comme administrateur et comme général, on lui conserva sa place et on lui envoya régulièrement assez d'argent pour subvenir à toutes ses dépenses et à la solde de l'armée.

1. Il voulut montrer son intention de ne pas reculer; voir p. 295, 1. 12. 2. Le texte arabe porte Ouighzen.

Les choses continuèrent en cet état jusqu'à la mort du cheikh Abou-Mohammed.

MORT DU CHEIKH ABOU-MOHAMMED LE HAFSIDE ET NOMINATION DE SON FILS ABD-ER-RAHMAN AU GOUVERNEMENT DE L'IFRÎKÏA.

La mort du cheikh Abou-Mohammed eut lieu au commencement de l'an 618 (février-mars 1221) et remplit tous les cœurs d'une inquiétude extrême. Dans le conseil d'état [à Tunis], les avis des Almohades furent partagés à l'égard du chef qu'ils devaient choisir, les uns voulant donner le commandement à AbouZeid-Abd-er-Rahman, fils du cheikh décédé, et les autres à Ibrahim, cousin d'Abd-er-Rahman et fils d'Ismail le hafside. Après de longs débats, on finit par élire Abd-er-Rahman, il prêta serment de fidélité, et on le plaça sur le trône de son père.

Le nouveau vice-roi calma bientôt les troubles qui agitaient le royaume et fit voir qu'il était résolu à gouverner d'une main ferme. Il distribua de nombreuses gratifications, récompensa les poètes [qui avaient célébré son avènement] et choisit pour secrétaire d'état Abou-Abd-Allah, fils d'Abou-'l-Hocein. Par une dépêche adressée au souverain almohade, El-Mostancer, il rendit compte de tout ce qui s'était passé, et sortit ensuite à la tête de ses troupes afin de rétablir l'ordre dans les provinces et de mettre les frontières du royaume à l'abri de toute insulte; mais, trois mois après sa nomination, il dut abdiquer le pouvoir, en conséquence d'un ordre envoyé par El-Mostancer. S'étant mis alors en route pour le Maghreb, il alla se présenter à la cour avec ses frères et son secrétaire Ibn-Abi-'l-Hocein.

LA SUCCESSION DES HAFSIDES EST INTERROMPUE PAR LA NOMINATION
DU CÎD ABOU-'L-OLA AU GOUVERNEMENT DE L'IFRÎKÏA.
SON FILS,
ABOU-ZEID, LUI SUCCÈDE.

La nouvelle de la mort d'Abou-Mohammed le hafside était parvenue à Maroc au moment même où le cîd Abou-'l-Ola venait d'arriver dans cette capitale, après s'être vu enlever le gouver

nement de Séville. Abou-'l-Ola-Idrîs était le fils de Youçof, petitfils d'Abd-el-Moumen et frère de Yacoub-el-Mansour et d'Abdel-Ouahed-el-Makhlouê, prince qui régna plus tard. Ayant encouru la disgrâce du sultan, il n'espéra plus rentrer au pouvoir que par l'appui du vizir Ibn-Mothenna et, en effet, il obtint, par l'entremise de ce ministre, le gouvernement de l'Ifrîkïa.

Dans la dépêche envoyée à Tunis pour annoncer cette nomination, on déclara Ibrahîm, fils d'Ismaîl le hafside, gouverneur par intérim, et on rappela à la capitale les fils du cheikh AbouMohammed. Cette pièce fut rendue publique dans le mois de Rebiâ premier 618 (avril-mai 1221).

Le cheikh Ibrahîm, chargé alors du commandement, en qualité de lieutenant-gouverneur, prit pour vizir Ahmed-el-Mochetteb et, se laissant guider par les conseils de son entourage, il traita avec beaucoup de dureté les membres de sa propre famille. Croyant mériter la faveur du gouvernement marocain, il agit d'une manière indigne envers les fils d'Abou-Mohammed; mais dans le mois de Dou-'l-Câda de la même année, il vit arriver le cid Abou-'l-Ola. Ce prince s'installa aussitôt dans la citadelle et assigna pour logement à son fils Abou-Zeid le Casr-Ibn-Fakher, palais situé dans l'intérieur de la ville. Après avoir donné ses premiers soins au règlement du service public et de la marche des affaires, il fit arrêter, au bout d'un mois, Mohammed-IbnNakhil, ancien secrétaire du cheikh Abou-Mohammed. On emprisonna en même temps Abou-Bekr et Yahya, frères d'IbnNakhîl, et on confisqua aussitôt, au profit de l'état, les trésors que tous les trois avaient amassés. Leurs biens-fonds et leurs terres furent également mis sous sequestre. Certaines paroles imprudentes et certains écrits émanés d'Ibn-Nakhîl 1 pendant

1. Il est probable que l'historien Ibn-Nakhîl, dont l'autorité est citée plusieurs fois dans cet ouvrage, était la même personne que le secrétaire d'Abou-Mohammed le hafside. On peut même supposer que, dans son histoire, il avait essayé de rehausser la gloire et la noblesse de la famille des Hafsides, ce qui aurait attiré sur lui la colère du sultan almohade et amené la révocation de tous les descendants d'Abou-Hafs qui se trouvaient en Ifrîkïa.

qu'il était au service d'Abou-Mohammed, étaient venus à la connaissance d'El-Mostancer et avaient provoqué l'emploi de ces mesures rigoureuses. Abou-'l-Ola fit mourir Ibn-Nakhil et Yahya, un mois après leur arrestation, et relégua Abou-Bekr dans la prison d'état, à El-Mehdïa. Ibn-Nakhîl était parvenu à s'évader du lieu où on le retenait, quand il fut arrêté de nouveau et mis à mort.

En l'an 619 (1222), Abou-'l-Ola partit de Tunis à la tête des troupes almohades, et se rendit à Cabes afin d'enlever à IbnGhanîa tout espoir de posséder cette ville. S'étant alors installé dans le Casr-el-Arousïîn, il expédia vers le Désert un corps d'Almohades sous la conduite de son fils, le cîd Abou-Zeid, auquel il avait donné l'ordre de faire rentrer dans l'obéissance Derdj et Ghadams, villes de cette région, et d'y percevoir l'impôt. Un autre détachement, qu'il avait fait venir d'avance, devait tenir Ibn-Ghanîa bloqué dans Oueddan jusqu'à ce qu'Abou-Zeid pût s'y rendre, en revenant de Ghadams. Les Arabes, séduits par les intrigues et l'argent d'Ibn-Ghanîa, harassèrent tellement ce corps qu'ils le forcèrent à rétrogader sur Cabes. Le cid Abou-Zeid resta quelque temps à Ghadams pour en avoir des nouvelles et, quand il eut appris cette retraite malheureuse, il alla trouver son père et lui fit un exposé exact de tout ce qui venait de se passer. Abou-'l-Ola en fut courroucé au point de vouloir faire mourir le commandant du détachement; mais il se vit forcé de rentrer à Tunis par suite d'une indisposition. Ayant alors appris qu'Ibn-Ghanîa venait de quitter Oueddan pour se rendre dans le Zab et que les habitants de Biskera avaient reconnu l'autorité du chef almoravide, il envoya contre lui un corps d'Almohades sous les ordres du cîd Abou-Zeid. A l'approche de ces troupes, Ibn-Ghania rentra dans le Désert, et Abou-Zeid, ne pouvant l'atteindre, s'en retourna et marcha sur Biskera. Pour châtier cette ville, il la livra au pillage et ne repartit pour Tunis qu'après l'avoir entièrement dévastée.

1. On voit que le Oueddan, dont il est question ici, est celui qui est situé au nord de Morzouc. Voyez l'Index géographique du premier

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volume.

Abou-'l-Ola reçut ensuite la nouvelle qu'Ibn-Ghanîa avait reparu sur la frontière de l'Ifrîkïa, suivi d'un ramassis d'Arabes et de Berbères, et fit marcher contre lui le cîd Abou-Zeid. A peine c prince fut-il arrivé à Cairouan, qu'Ibn-Ghania profita de son éloignement pour se diriger contre Tunis. Abou-Zeid, soutenu par ses alliés arabes et berbères hoouarites, qui emmenaient avec eux leurs familles et leurs troupeaux, se mit à la poursuite de son adversaire et l'atteignit à Medjdoul. Dans cette rencontre, qui eut lieu vers le commencement de l'an 621 (janv.-fév. 1224), les deux armées se battirent avec un grand acharnement. Pendant que les Almohades engageaient le combat, Bâra-Ibn-Hannach 1, chef des Hoouara, fit dresser ses tentes et inspira ainsi à son peuple la résolution de vaincre ou mourir. Cette journée se termina par la déroute des Almoravides, et Ibn-Ghanîa, qui perdit une foule de ses guerriers, moissonnés par la mort, prit la fuite et laissa tomber son camp au pouvoir des vainqueurs. Abou-Zeid renonça à la poursuite de l'ennemi et prit le chemin de la capitale, sachant que son père, le cîd Abou-l-Ola, y était mort depuis le mois de Châban 620 (sept. 1223). Lors de son arrivée, il expédia une dépêche à El-Mostancer pour lui faire part de cet événement et de la défaite des Almoravides. Au moment même où il rédigeait cet écrit, il ignorait que le monarque almohade venait de prononcer la destitution d'Abou-'l-Ola et de nommer au gouvernement de l'Ifrîkïa Abou-Yahya-Ibn-Abi-Amran de Tînmelel, qui commandait alors à Maïorque.

Sur ces entrefaites eurent lieu la mort d'El-Mostancer et l'avènement d'Abd-el-Ouahed-el-Makhlouê, fils de Youçof et petit-fils d'Abd-el-Moumen. Le nouveau souverain annula la décision prise par son prédécesseur et autorisa, par écrit, le cîd Abou-Zeid à garder le commandement.

Dès ce moment, celui-ci gouverna au gré de ses passions et tyrannisa le peuple à un tel point, qu'il devint l'objet de l'exécration

1. Ci-devant, p. 102, notre auteur ou son copiste a écrit, par erreur, Hannach-Ibn-Bára. - Voir ci-après, p. 303 et t. I, p. 278.

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