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SUITE DE L'INVASION DE L'Espagne.

En l'an 549 (1154-5), Abd-el-Moumen apprit, à Maroc, que Yahya-Ibn-Yaghmor, gouverneur de Séville, venait de massacrer les habitants de Niebla en punition d'une trahison qui avait livré cette ville au rebelle El-Ouehbi. Insensible à leurs prières et à leurs protestations d'innocence, ce chef assouvit sa vengeance, sans se douter que sa cruauté l'exposerait au courroux du souverain almohade. Effectivement, les gouvernements de Séville et de Cordoue lui furent enlevés pour être confiés, le premier à Abou-Mohammed-Abd-Allah-Ibn-Abi-Hafs-Ibn-Ali de Tînmelel, et le second à Abou-Zeid-Ibn-Iguît. Mis lui-même aux fers par Abd-Allah-Ibn-Soleiman qui vint l'arrêter par l'ordre d'Abd-el-Moumen, il fut conduit à la capitale et resta aux arrêts dans sa propre maison, jusqu'à ce qu'il obtint du sultan l'autorisation d'accompagner le cîd Abou-Hafs à Tlemcen.

Meimoun-Ibn-Yedder, général lemtounien, embrassa alors le parti des Almohades et leur remit la ville de Grenade. Le cîd Abou-Saîd, gouverneur de Ceuta, s'y transporta aussitôt en qualité de commissaire impérial et envoya la garnison almoravide à Maroc. Il entreprit ensuite le siège d'Almeria et força les chrétiens qui en formaient la garnison à lui livrer la ville pour avoir la vie sauve. Le vizir Abou-Djâfer-Ibn-Atïa assista à cette capitulation. Bien que les chrétiens eussent reçu des secours d'Ibn-Merdenîch, seigneur de l'Espagne orientale, et du roi chrétien lui-même, ils s'étaient vus dans l'impossibilité de prolonger leur résistance.

En l'an 551 (1156), les cheikhs de Séville vinrent prier Abdel-Moumen de leur donner pour gouverneur un de ses fils. Le cîd Abou-Yacoub, qu'il leur désigna pour remplir ce poste, commença sa carrière par soumettre El-Ouehbi, chef qui se maintenait indépendant à Tavira. Le vizir Abou-Djâfer prit part à cette expédition. Le même prince occupa ensuite les états d'Ibn-Ouézîr et d'Ibn-Cassi; puis, en l'an 552, il força Tachefîn, général lemtounien, à lui livrer Mertola, ville qu'Ibn-Cassi avait

rendue aux Almoravides. A la suite de ces conquêtes, il rentra à Séville et laissa partir Abou-Djâfer pour Maroc. Ce fut alors que celui-ci tomba en disgrâce et fut mis à mort. Il eut pour successeur dans le vizirat Abd-es-Selam-el-Koumi, qui dut sa nomination aux liens de mariage qui attachaient sa famille à celle d'Abd-el-Moumen.

SUITE DE LA CONQUÊTE DE L'IFRÎKÏA.

En l'an 553 (1158), Abd-el-Moumen se rendit à Salé avec l'intention de passer en Espagne et de combattre les chrétiens. Cette résolution lui avait été inspirée par une nouvelle bien fàcheuse : son fils, le cîd Abou-Yacoub, venait d'être défait par le roi chrétien, sous les murs de Séville, et plusieurs cheikhs et docteurs almohades, ainsi qu'un grand nombre de chefs indépendants, tels qu'Ibn-Azzoun et Ibn-el-Haddjam, avaient trouvé le martyre sur le champ de bataille 1.

Ayant alors appris que le royaume d'Ifrîkïa venait de s'écrouler et que les chrétiens avaient occupé El-Mehdïa, il rassembla à Salé les divers corps de son armée et partit pour ce pays, après avoir désigné le cheikh Abou-Hafs comme son lieutenant en Maghreb et nommé Youçof-Ibn-Soleiman au gouvernement de Fez. Arrivé en Ifrîkïa après une marche très rapide, il assiégea les chrétiens de la Sicile dans El-Mehdïa, et les obligea à capituler 2. A la suite de cette conquête, qui eut lieu en 555, il leur enleva Sfax, Tripoli et les autres villes maritimes de cette contrée. Déjà, pendant le siège d'El-Mehdïa, il avait envoyé son fils, Abd-Allah, contre Cabes, ville qui était tombée au pouvoir des Beni-Kamel, famille dehmano-rîahide. Le jeune prince s'empara de Cabes, enleva Cafsa aux Beni-'l-Ouerd, Zerâ aux BeniBerougcen, Tebourba à Ibn-Allah, la montagne de Zaghouan aux Beni-Hammad-Ibn-Khalifa, Sicca Veneria aux Beni-Eïad

1. Ici l'auteur se contredit. Voir ci-dessus, p. 188.

2. Voir les extraits d'Ibn-el-Athîr dans l'Appendice no V.

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et Laribus aux Arabes. On peut voir, au sujet de ces chefs, les détails que nous avons rapportés dans l'histoire de la dynastie sanhadjite '.

En l'an 556 (1161), Abd-el-Moumen se mit en marche pour rentrer à Maroc, et ayant alors appris que les Arabes de l'Ifrikïa s'étaient encore jetés dans la révolte, il renvoya contre eux un détachement de son armée. Ce corps, étant parvenu à Cairouan, châtia les insurgés et tua leur chef, Mahrez-Ibn-Ziadel-Fadeghi 2, membre de la tribu rîahide des Beni-Ali.

CONDUITE D'IBN-MERDENÎCH, CHEF INDÉPENDANT DE L'ESPAGNE

ORIENTALE.

Abd-el-Moumen s'occupait à soumettre l'Ifrîkïa quand il apprit que Mohammed-Ibn-Merdenîch 3, chef indépendant qui se tenait dans la partie orientale de l'Espagne, était sorti de Murcie pour mettre le siège devant Jaen, et qu'il en avait contraint le gouverneur, Mohammed-Ibn-Ali-el-Koumi, à reconnaître son autorité. Il apprit aussi que ce même chef était parvenu à surprendre la ville de Carmona, après avoir tenté le siège de Cordoue, et qu'étant ensuite revenu contre cette dernière ville, il avait défait les troupes d'Ibn-Iguît et tué ce général,

Aussitôt qu'Abd-el-Moumen eut reçu ces nouvelles, il écrivit à ses gouverneurs en Espagne pour leur annoncer le triomphe de ses armes en Ifrîkïa et son intention de se rendre au milieu d'eux. Il débarqua effectivement à Gibraltar et rassembla sous ses drapeaux les populations espagnoles et les troupes almohades qu'il avait envoyées dans ce pays. Après avoir expédié cette armée contre les infidèles, il repartit pour Maroc.

Le roi chrétien marcha à la rencontre des Almohades et es

1. Voir ci-devant, pp. 39 et suivantes.

2. Ici le texte et les manuscrits portent Fareghi.

3. L'Aben Cat et Abenzat des historiens espagnols. Voir ci-devant, p. 186, note 2.

suya une défaite. Ibn-Homochk, beau-père d'Ibn-Merdenîch, se laissa enlever Carmona par le cîd Abou-Yacoub, gouverneur de Séville.

A la suite de cette conquête, le cîd Abou-Yacoub partit pour Maroc avec le cîd Abou-Saîd, gouverneur de Grenade, afin de visiter le khalife [Abd-el-Moumen]. Ibn-Homochk profita de leur absence pour établir des intelligences dans Grenade, se rendre maître de cette ville par une surprise nocturne et refouler la garnison almohade dans la citadelle.

Abd-el-Moumen partit encore de Maroc afin de délivrer cette place importante, et, parvenu à Salé, il fit prendre les devants au cîd Abou-Saîd. Celui-ci traversa le Détroit, opéra sa jonction avec Abd-Allah-Ibn-Abi-Hafs-Ibn-Ali,gouverneur deSéville,et marcha sur Grenade. Repoussé par Ibn-Homochk, qui était sorti à sa rencontre, il opéra sa retraité sur Malaga et obtint d'Abdel-Moumen un renfort de troupes almohades sous les ordres du cîd Abou-Yacoub. Les deux frères prirent alors la route de Grenade, où Ibn-Merdenîch venait d'amener un corps de troupes chrétiennes au secours d'Ibn-Homochk. Les Almohades attaquèrent l'armée ennemie dans la plaine de Grenade et lui firent éprouver une telle défaite qu'Ibn-Merdenîch rentra au plus vite dans ses états, pendant qu'Ibn-Homochk courut s'enfermer dans Jaen pour soutenir un siège. Après cette victoire, les deux cîds se rendirent à Cordoue et ils continuèrent à y faire leur séjour jusqu'en l'an 558 (1163). Le cîd Abou-Yacoub fut alors rappelé à Maroc pour se faire reconnaître comme successeur du trône à la place de son frère[ Abou-Abd-Allah-]Mohammed'. Bientôt après il partit de cette capitale à la suite de son père, le khalife, quj s'était proposé d'aller encore faire la guerre sainte. Ce fut la . dernière expédition d'Abd-el-Moumen; arrivé à Salé, dans le mois de Djomada second (mai-juin 1163), il rendit le dernier

1. Selon l'auteur du Cartas, le sultan avait reconnu que ce prince était incapable de gouverner; El-Marrekchi dit qu'il fut privé de la succession à cause de son amour pour le vice, de l'extravagance de sa conduite et de sa lâcheté.

soupir. Son corps fut porté à Tìnmelel et enterré auprès du tombeau du Mehdi 1.

AVÈNEMENT DU KHALIFE [ABOU-YACOUB-]YOUÇOF, FILS

D'ABD-EL-MOUMEN.

Aussitôt qu'Abd-el-Moumen eut cessé de vivre, le cîd 2 AbouHafs fit reconnaître la souveraineté de son frère, Abou-Yacoub [-Youçof], fils du monarque défunt, et administra au peuple le serment de fidélité. L'inauguration du nouveau khalife s'accomplit avec l'assentiment des Almohades et l'approbation spéciale du cheikh Abou-Hafs. Tous reprirent alors la route de Maroc.

Le cîd Abou-Hafs se chargea des fonctions de vizir, office qu'il avait rempli depuis la chute d'Abd-es-Selam-el-Koumi3. C'était en l'an 555 (1160) qu'il avait été rappelé de l'Ifrikïa pour servir de vizir à son père, Abd-el-Moumen, et, jusqu'à la mort de ce monarque, il avait toujours eu Abou-'l-Ola-Ibn-Djamê pour coadjuteur.

La mort d'Abd-el-Moumen fut suivie de celle de ses fils, le cîd Abou-'l-Hacen, seigneur de Fez, et le cîd Abou-Mohammed [-Abd-Allah], seigneur de Bougie. Celui-ci venait de quitter le siège de son gouvernement pour se rendre à la capitale, lorsqu'il mourut en chemin.

1. En l'an 557, Abd-el-Moumen fit construire une flotte considérable : le port de Mamoura fournit 120 navires; Tanger, 60; Badîs et les autres ports du Rîf, 180; Oran et Honein, 100, et l'Espagne, 80.

La même année, il fit inviter secrètement sa tribu, les Koumïa, d'envoyer leurs guerriers à Maroc. Ils y arrivèrent au nombre de quarante mille, dit l'auteur du Cartas (dont les chiffres sont presque toujours exagérés), et furent placés à la suite des Tînmelel, dans l'organisation politique des Almohades. Ces troupes formèrent, dès lors, la garde personnelle d'Abd-el-Moumen, qui ne se fiait plus aux Masmouda depuis qu'il venait d'échapper une tentative d'assassinat. Ce corps d'armée arriva sous prétexte de faire une simple visite au sultan, parent de tous les membres de la tribu de Koumïa. — (Cartas.)

2. Voir sur l'emploi et la signification du mot cid, la p. 89 de ce vol. 3. En l'an 555, Abd-el-Moumen, se trouvant à Tlemcen, fit arrêter son vizir favori et compatriote, Abd-es-Selam-el-Koumi. Selon ElMarrekchi, on étrangla le prisonnier; mais l'auteur du Cartas dit qu'on lui fit boire du lait empoisonné.

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