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Ibn-Mohammed-el-Ketami souleva le pays des Ghomara. Le père de cet aventurier était natif du Casr-Ketama : il y avait mené une vie retirée, s'occupant principalement de la magie naturelle, science qu'il enseigna à son fils. Celui-ci se rendit à Ceuta, et s'étant établi chez les Beni-Saîd, il professa l'alchimie et trouva beaucoup de disciples parmi les gens du peuple. Alors il se donna pour prophète, publia une nouvelle loi religieuse, et séduisit une foule de gens par ses prestiges et tours d'adresse. Malgré toute son habileté, il laissa enfin découvrir sa fourberie, et, se voyant abandonné par ses partisans, il prit la fuite devant la garnison de Ceuta qui était sortie pour le combattre, et mourut assassiné par quelques Berbères.

Vers l'an 640 (1242-3), les Mérinides avaient subjugué les campagnes et les villes du Maghreb; en 668 (1269), ils s'emparèrent de Maroc, capitale de l'empire almohade, mais ils ne purent amener les Ghomara à faire leur soumission. Ce peuple se tint à l'écart pour éviter leur domination, et, toujours prêt à courir aux armes, il encouragea les habitants de Ceuta par son exemple et les décida à repousser les prétentions de la nouvelle dynastie. Le gouvernement de cette ville passa alors entre les mains d'une junte, et, quelque temps après, le légiste Abou-'lCacem-el-Azéfi, un des principaux cheikhs de la localité, s'empara du commandement. Nous raconterons ailleurs les détails de cette affaire.

Les tribus et les chefs ghomarides se laissèrent enfin entraîner dans une guerre civile par leurs querelles intestines. L'un des partis fit alors sa soumission au sultan mérinide, et l'autre se résigna, bon gré mal gré, à suivre cet exemple. Les Mérinides, devenus maîtres chez ce peuple, lui donnèrent des gouverneurs de leur choix, et ayant alors dirigé leurs efforts contre Ceuta, ville située derrière le territoire des Ghomara, ils l'enlevèrent à la famille Azefi en l'an 729 (1328-9).

De nos jours, les Ghomara sont redevenus puissants et nombreux; ils obéissent cependant encore au gouvernement mérinide et lui paient l'impôt, tant qu'il a les moyens de se faire respecter; mais, dans les moments où il montre de la faiblesse

ou qu'il est occupé à comprimer des révoltes ailleurs, leur dévouement s'affaiblit, et il est obligé d'expédier des troupes de la capitale pour les faire rentrer dans l'obéissance. Protégés par des montagnes presqu'inabordables, ils ne craignent pas d'offrir asile aux princes de la famille royale [qui cherchent à s'emparer du trône] et à tous les révoltés qui demandent leur protection. Une de leurs tribus surtout, les Beni-Iguem, se distingue par son esprit d'indépendance; occupant la montagne la plus escarpée de cette région, elle méprise les efforts de tous ses ennemis. Cette montagne est située à l'ouest de Ceuta ; elle s'élève jusqu'aux nuages et ne peut être abordée que par certains défilés où la violence des vents suffit pour arrêter le voyageur. Les habitants obéissent à un chef pris dans une de leurs familles appelée les Beni-Youçof-Ibn-Omar. Cette riche et puissante tribu y a construit de grandes maisons et formé de belles plantations 1. Le sultan leur accorde une donation annuelle prise sur les produits de la douane de Ceuta ; il leur a aussi concédé plusieurs fermes et terres labourables dans la plaine de Tanger. De cette manière, il croit s'être assuré leur amitié et s'être ménagé des alliés avec lesquels il pourra comprimer l'esprit d'insubordination qui se manifeste assez souvent dans le pays des Ghomara.

HISTOIRE DES TRIBUS MASMOUDIENNES QUI HABITENT LES MONTAGNES

DU DEREN [L'ATLAS] DANS LE MAGHREB-EL-ACSA.

Parmi les plus grandes montagnes de l'univers, il faut compter celles du Deren, situées à l'extrémité [occidentale] du Maghreb. Enracinées dans les profondeurs de la terre, elles portent leurs cimes jusqu'au ciel et remplissent l'espace de leur masse énorme. Elles forment une barrière continue autour du littoral maghrebin, et, partant de l'Océan atlantique, près d'Asfi, elles se prolongent indéfiniment vers l'orient. Quelques-uns disent, cependant, qu'elles s'arrêtent au midi de Bernic (Berenice), dans le

1. Je lis ghorous, avec un bon manuscrit, à la place d'orous.

pays de Barca. Dans la latitude de Maroc, elles paraissent entassées les unes sur les autres, formant ainsi des gradins successifs, depuis le Désert jusqu'au Tell. Le voyageur qui veut les traverser, afin de se rendre dans le Sous ou dans le Derâ, en partant de Temsna ou des contrées maritimes de Maroc, doit y mettre plus de huit jours, et se diriger vers le sud. Dans ces montagnes jaillissent de nombreuses sources; des arbrisseaux couvrent le sol d'un voile épais; de nombreuses forêts répandent leur ombre sur les vallons; des terrains étendus y offrent de grandes ressources à l'agriculture et à la multiplication des troupeaux, et de vastes pâturages y nourrissent une foule d'animaux domestiques et de bêtes fauves. Dans ces régions fortunées, la végétation déploie une vigueur extraordinaire, et la nature y prodigue le tribut de ses dons. Ces lieux sont habités par des peuplades masmoudiennes dont Dieu seul connaît le nombre. Elles y ont élevé des forteresses et des châteaux, de grands édifices et des citadelles, et elles préfèrent leurs pays à toutes les contrées du monde. Des divers côtés, les marchands se rendent au milieu de ces tribus; les habitants des villes et des campagnes y font aussi de fréquentes visites.

Depuis une époque bien antérieure à l'islamisme, les Masmouda ont occupé le Deren, non pas quelques endroits seulement, mais bien des régions étendues. Ils y ont formé des royaumes et des états, et se sont partagés en grandes familles et en tribus, dont chacune est distinguée par un nom particulier. Leurs établissements dans ces montagnescommencent auThenïat-el-Mâden (défilé de la mine), endroit qui s'appelle aussi BeniFazaz et qui touche à la limite du pays habité par la tribu de Sanaga; ils entourent cette localité du côté sud et leur territoire se prolonge ensuite jusqu'au Sous.

Parmi le grand nombre de tribus masmoudiennes qui occupent cette chaîne, on remarque les Hergha, les Hintata, les Tînmélel, les Guedmioua, les Guenfiça, les Ourîka, les Regraga, les Hezmîra, les Dokkala, les Haha, les Assaden, les Beni-Ouazguît, les Beni-Maguer et les Aîlana, appelés aussi Heilana. On dit qu'Aîlan, aïeul de cette tribu, fut fils de Berr, qu'il s'allia aux Masmouda

par un mariage, et que, pour cette raison, sa descendance a vécu en confédération avec eux.

Parmi les subdivisions de la tribu d'Assaden, on compte les Mesfaoua et les Maghous. Les Mesfaoua se partagent en deux branches, les Doghagha et les Youtanan 2. On dit, mais Dieu sait avec quel degré de certitude, que les Ghomara, les Reboun et les Amoul descendent d'Assaden.

On représente comme branches de la tribu des Haha les Zegguen et les Lakhès, peuplades nomades du Sous et confédérées des Doui-Hassan, Arabes makiliens qui ont subjugué cette province.

A la tribu des Guenfîça appartiennent les Sekcîoua, population qui habite la montagne la plus escarpée de la chaîne du Deren. Du haut de ce pic, on pourrait voir la plaine du Sous s'étendre vers le midi et les régions du littoral se déployer vers l'occident. La forte position occupée par les Sekcîoua leur a permis d'étendre leur domination sur les autres peuples de la même race, ainsi que nous l'exposerons plus tard.

Dans les premiers temps de l'islamisme, les tribus masmoudiennes de ces montagnes se distinguaient par leur nombre,leur puissance, leur attachement à la religion [musulmane] et l'hostilité qui les animait contre leurs frères infidèles, les Berghouata. Un de leurs personnages les plus éminents fut Kecîr 3, fils d'Ouslas, fils de Chemlal, descendant d'Assad et grand-père de Yahya-Ibn-Yahya, docteur qui reçut de Malek l'autorisation d'enseigner son Mouwatta 4. Il accompagua Tarec à la conquête de l'Espagne, lui et plusieurs autres notables de la grande tribu masmoudienne, et il s'y établit avec eux. Leurs descendants y jouèrent un rôle sous la dynastie oméïade.

Dans les temps antéislamiques, les Masmouda avaient obéi à

1. Dans le chapitre suivant ce nom est écrit Mesfioua.

2. Variante: Boutanan.

3. Variante: Kir ou Guir.

4. Le Mouwata, c'est-à-dire le chemin battu, renferme les traditions et sentences qui forment la base de la jurisprudence malekite.

des rois et à des émirs; pendant toute la durée de l'empire almoravide, ils étaient en guerre avec les princes de cette dynastie; ralliés ensuite à la cause du Mehdi, ils formèrent entre eux une grande nation qui renversa la puissance des Almoravides en Afrique et en Espagne, et remplaça la dynastie des Sanhadja en Ifrîkïa. L'histoire du Mehdi formera le sujet du chapitre suivant.

ORIGINE ET VICISSI

HISTOIRE DU MEHDI ET DE SA PRÉDICATION.
TUDES DE L'EMPIRE FONDÉ PAR SES PARTISANS, LES ALMOHADES,
EN MAGHREB, EN ESPAGNE ET EN IFRÎKÏA.

Les Masmouda du Deren se sont toujours fait remarquer par leur nombre, leur puissance et leur bravoure. Dans l'histoire de la conquête musulmane, on les voit soutenir une longue guerre contre Ocba-Ibn-Nafê et Mouça-Ibn-Noceir, avant d'adopter sincèrement l'islamisme. Menacés ensuite par la proximité de l'empire lemtouno-almoravide, ils lui opposèrent une résistance tellement opiniâtre que le souverain de cette nation prit le parti de fonder la ville de Maroc dans le voisinage de leur pays, afin de pouvoir dompter leur audace par des attaques sans cesse renouvelées.

Sous le règne d'Ali-Ibn-Youçof, pendant que l'empire almoravide était encore dans sa première vigueur, parut l'imam des Masmouda, le savant et célèbre Mohammed-Ibn-Toumert, surnommé El-Mehdi, fondateur de la secte des Almohades. Cet homme appartenait à la tribu des Hergha, branche de la grande tribu des Masmouda. Son père s'appelait Abd-Allah et Toumert1, et lui-même, dans sa jeunesse, porta le nom d'Amghar 2. Selon Ibn-Rechîc 3, dont l'opinion est confirmée par la déclara

1. Toumert était son nom berbère et Abd-Allah son nom arabe. 2. Amghar (prononcer Amr'ar) signifie chef ou vieillard en langue berbère.

3. Ibn-Rechîc, Abou-Ali-el-Hacen, philologue, poète et historien, habita Cairouan et mourut à Mazzera, en Sicile, l'an 463 (1070). Il laissa une histoire de Cairouan.

T. II.

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