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hostilités contre eux et y déploya un zèle extraordinaire. Leur ayant tué beaucoup de monde et fait un grand nombre de prisonniers, il leur enleva Temsna et y établit un de ses officiers comme gouverneur.

Après la mort de Temîm, les Berghouata réparèrent leurs pertes, mais enfin les Almoravides étendirent sur eux leur domination. Ce peuple, étant sorti de ses déserts, pénétra dans le Maghreb et prit d'assaut un grand nombre de places fortes situées, les unes, dans le Sous-el-Acsa, et, les autres, dans les montagnes habitées par les Masmouda; ensuite il lui sembla bon de faire une guerre sainte aux Berghouata qui se trouvaient dans la province de Temsna et sur le littoral de l'occident. En conséquence de cette résolution, Abou-Bekr-IbnOmar, émir des Lemtouna, marcha contre eux à la tête de ses Almoravides et leur livra plusieurs batailles. Dans un de ces conflits, lequel eut lieu en l'an 450 (1058), Abd-Allah-IbnYacîn le guezoulien trouva le martyre et mourut les armes à la main. Abou-Bekr et ses successeurs ne cessèrent de combattre les Berghouata jusqu'à ce qu'ils les eurent totalement exterminés.

Quand les Berghouata étaient sur le point de succomber, ils a vaient pour chef un nommé Abou-Hafs-Abd-Allah, descendant d'Abou-Mansour-Eïça, fils d'Abou-'l-Ansar-Abd-Allah, fils d'Abou-Ghofaïr-Mohammed, fils de Moâd, fils d'Elîça, fils de Saleh, fils de Tarîf. Il mourut sur le champ de bataille, et, avec lui, succomba la puissance de sa nation. Les débris de cette secte furent exterminés par les Almoravides; louanges en soient à Dieu, seigneur de tous les êtres !

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Ils se trompent, ceux qui regardent les Berghouata comme un peuple zenatien. « Quelques personnes disent que Saleh était juif, que son père se nommait Chemaoun [Simon]-Ibn-Yacoub >> et qu'il avait passé ses premières années dans Berbat1. Ayant >> alors fait le voyage de l'Orient, il étudia sous Abd-Allah >> le motazelite 2, et, après s'être adonné à la magie et à plu

1. Il sera question de cet endroit quelques lignes plus loin.

2. Les motazelites enseignaient le libre arbitre et rejetaient la doctrine des attributs divins.

>> sieurs autres sciences, il repartit pour l'Occident et se fixa » dans Temsna. Là, il trouva quelques tribus berbères plongées >> dans l'ignorance; il afficha devant elles une grande austérité » de mœurs et parvint à les fasciner par son éloquence. Ayant >> ainsi gagné leur appui, il commença à jouer le rôle de prophète. On lui donna le surnom de Berbati, c'est-à-dire natif » de Berbat, vallée dans les environs de Xérès, en Espagne. >> Les Arabes changèrent ce mot en Berghouati pour le plier au >> génie de leur langue. Nous rapportons ici les paroles de l'auteur du Nadm-el-Djouher dont les opinions, à ce sujet, s'accordent avec celles de plusieurs autres généalogistes qui se sont occupés des Berbères. Tout cela n'est cependant qu'un tissu d'erreurs qui sautent aux yeux, car les Berghouata n'appartenaient pas à la race zenatienne; on en voit la preuve dans la localité qu'ils habitaient 1 et dans les rapports de bon voisinage qu'ils entretenaient avec leurs frères, les Masmouda. Quant à Saleh-Ibn-Tarîf, c'est une chose reconnue qu'il était berghouatien de naissance; il est d'ailleurs impossible qu'un intrus, un individu d'origine étrangère, puisse réussir à subjuguer des pays et des tribus 2. Enfin, nous le répétons, c'est une chose avérée que la personne dont il s'agit appartenait réellement à la tribu des Berghouata, branche des Masmouda.

HISTOIRE DES GHOMARA, TRIBU MASMOUDIENNE, ET DES ROYAUMES QU'ILS ONT FONDÉS.

Cette tribu masmoudienne a pour ancêtre Ghomar, fils de Masmoud, ou, selon une autre tradition, Ghomar, fils de Mestaf

1. En effet, ils avaient entre eux et les Zenata les tribus de Zanaga et de Masmouda, sans compter la chaîne de l'Atlas.

2. Ibn-Khaldoun invoque ici un principe qu'il a développé ailleurs et qu'il regarde comme incontestable. Dans l'histoire de l'Afrique musulmane, on trouve, cependant, plusieurs faits qui contredisent ce principe tels sont l'avènement des Beni-Saleh chez les Ghomara, des Idrîcides chez les Zenata, des Fatemides chez les Ketama et de la famille d'Abd-el-Moumen chez les Masmouda.

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[ou Mesettaf], fils de Melîl, fils de Masmoud. Quelques personnes encore représentent Ghomar comme fils d'Assad et petit-fils de Masmoud, pendant que d'autres prétendent que les Ghomara sont des Arabes qui débordèrent (ghamar) sur ce pays de montagnes et que, de là, est venu leur nom. Cette dernière opinion n'a cours que chez le vulgaire.

Les Ghomara se partagent en une quantité innombrable de branches et de familles, parmi lesquelles on distingue, surtout, les Beni-Hamîd, les Metiona, les Beni-Nal, les Aghsaoua, les Beni-ou-Zeroual et les Medjekéça. Cette dernière tribu demeure à l'extrême limite [occidentale] du territoire ghomarien.

Les Ghomara habitent les montagnes du Rîf, région qui borde la Méditerranée; leur pays a une longueur de plus de cinq journées, depuis Ghassaça, au nord ' des plaines du Maghreb, jusqu'à Tanger, et il renferme ces villes ainsi que Nokour, Badis, Tîkîsas, Tîttawîn (Tétouan), Ceuta et El-Casr. La largeur de ce territoire est aussi de cinq journées, depuis la mer jusqu'aux plaines qui avoisinent Casr-Ketama et la rivière Ouergha. En suivant cette direction, on rencontre successivement plusieurs chaînes de hautes montagnes formant des barrières qui s'élèvent à perte de vue et aux cimes desquelles les oiseaux — que dis-je ? — l'imagination même ne saurait atteindre ?. Entre les crêtes de ces montagnes s'ouvrent plusieurs défilés qui offrent un passage aux voyageurs et qui renferment des pâturages, des terres cultivées. et des bocages semblables à des jardins.

Ce qui prouve que ce peuple appartient à la race masmoudienne est le fait que quelques unes de ses tribus, qui habitent entre Ceuta et Tanger, portent encore le nom de Masmouda. C'est même d'elles que le Casr-el-Medjaz, où l'on s'embarque pour Tarifa, a tiré son appellation de Casr-Masmouda. Un autre fait vient à l'appui de cette opinion: de ce côté-là, le territoire

1. L'auteur dit sur la gauche. Il s'orientait, sans doute, sur la Mecque.

2. Les montagnes du Rîf ne sont pas aussi élevées que notre auteur nous le donne à entendre.

ghomarien touche à cette partie du bord de l'Atlantique qui est habitée par les Berghouata, tribu masmoudienne. En effet, les Beni-Hassan, peuplade ghomarienne, se trouvent établis sur les côtes de l'Océan depuis Azghar et Asîla jusqu'à Anfa, où leur territoire touche au pays des Berghouata et des Dokkala, pays qui s'étend jusqu'aux régions occupées par les tribus masmoudiennes de l'Atlas et aux contrées méridionales qui en sont au delà 1.

D'après les observations précédentes, on reconnaîtra que les Masmouda sont, à peu d'exceptions près 2, les seuls habitants de la partie montagneuse du Maghreb-el-Acsa, car les plaines en sont occupées par d'autres peuples. Les Ghomara sont restés dans leur territoire actuel au moins depuis les premières invasions musulmanes, et nos connaissances au sujet de leur histoire ne remontent pas au delà de cette époque. Les musulmans leur livrèrent alors plusieurs batailles meurtrières, mais ce fut Mouça-Ibn-Noceir qui leur fit essuyer la défaite la plus rude et les porta à embrasser l'islamisme. Il retint leurs fils comme otages et plaça en garnison à Tanger, sous les ordres de Tarec, un corps de troupes qu'ils lui avaient fourni. A cette époque ils eurent pour émir le même Yulian (Julien) qui reçut la visite de Mouça-Ibn-Noceir et le poussa à envahir l'Espagne. Yulian se tenait à Ceuta, comme nous le dirons tantôt. Ces événements eurent lieu avant la fondation de la ville de Nokour.

Quand les Ghomara se furent convertis à l'islamisme, ils travaillèrent à fonder des empires au profit de chefs appartenant à d'autres races. Plusieurs faux prophètes se sont montrés chez eux, et, dans tous les temps, leurs montagnes ont offert aux rebelles une retraite assurée.

HISTOIRE DE CEUTA ET DE L'EMPIRE FONDÉ DANS CETTE VILLE

PAR LES BENI-EISAM.

Lors de la manifestation de l'islamisme, Ceuta, ville d'une haute antiquité, servait de résidence à Yulîan, prince des Gho

1. Cette dernière indication n'est pas exacte.

2. L'auteur sous-entend ici les Sanhadja, ou Zanaga, de l'Atlas.

mara. Ce chef, ayant appris que Mouça-Ibn-Noceir marchait de son côté, gagna sa bienveillance en lui prodiguant des cadeaux et en payant la capitation. Mouça le confirma dans le commandement de Ceuta, après avoir retenu, comme otages, son fils et les fils de son peuple. Il établit aussi Tarec-Ibn-Zîad dans Tanger et y plaça en garnison un corps de troupes que les Ghomara s'étaient obligés à lui fournir. Tarec passa ensuite en Espagne et frappa les Ghomara de nouvelles réquisitions en hommes, jusqu'à ce qu'il eut effectué la conquête dont nous avons parlé ailleurs et dont on ne vit jamais la pareille.

Après la mort de Yulîan, les Arabes s'installèrent dansCeuta, ayant obtenu du peuple de ce chef que la ville leur fût remise à l'amiable. Survint, ensuite, la révolte de Meicera-el-Hakîr, partisan célèbre des égarements kharedjites, lequel était parvenu à faire adopter ses erreurs par une grande partie des tribus ghomariennes et par d'autres peuples berbères. Les Berbères de Tanger se portèrent alors sur Ceuta et en expulsèrent les Arabes; puis, ayant réduit en esclavage les habitants de la ville, ils la dévastèrent au point qu'elle resta dépeuplée.

Plus tard, Madjekès, un de leur chefs les plus distingués, alla s'établir dans Ceuta, qui reçut, en conséquence, le nom de Medjekéça. L'ayant rebâti et repeuplé, il embrassa l'islamisme et continua, jusqu'à sa mort, à recevoir les enseignements des hommes instruits dans la loi. Son fils Eisam lui succéda et mourut après avoir régné quelque temps. L'autorité passa alors entre les mains de Modjîr, fils d'Eisam, et, à sa mort, elle fut recueillie par Er-Rida, frère ou fils du précédent.

Cette dynastie témoignait aux Idrîcides une obéissance peu franche ainsi que l'on verra ailleurs. En-Nacer [le khalife oméïade espagnol], ayant conçu le projet de se rendre maître du Maghreb, en remplacement des Idricides, seigneurs d'El-Hebet et de Ghomara, qui venaient d'être expulsés de Fez, leur capitale, par les Miknaça et les Zenata, décida ces princes à le reconnaître publiquement pour souverain et à lui donner l'autorisation d'enlever Ceuta aux fils d'Eisam. Il envoyaalors contre cette ville un corps de troupes et une flotte, sous les ordres de son général

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