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d'or et un boisseau de perles fines et de pierreries; au pillage de son hôtel, on emporta une quantité énorme de tapis et d'effets. Je me trouvais en Égypte sous le règne du sultan El-Mélek ed-Dhaher Barcouc. Ce prince ayant destitué son majordome, l'émir Mahmoud, le fit mettre à la torture afin de lui arracher ses richesses. L'officier chargé de cette opération m'assura qu'il avait tiré du prisonnier la somme d'un million six cent mille1 dinars, et qu'il s'était emparé d'une très-grande quantité d'étoffes, de harnais, de troupeaux, de produits agricoles, de chevaux et de mulets.]

Cela se comprend 2 lorsqu'on sait apprécier la différence des rap- P. 327. ports qui existent entre les empires3 (en ce qui regarde leur grandeur et leur puissance). L'homme qui nierait la possibilité d'un fait parce qu'il n'en a pas été témoin oculaire, ou parce que rien de semblable ne serait arrivé de son temps, cet homme serait incapable de reconnaître les choses possibles. La plupart des personnages haut placés s'empressent de regarder comme fausses toutes les anecdotes de ce genre que l'on raconte au sujet des anciennes dynasties. Ils ont cependant tort, car la nature de la civilisation et de tout ce qui existe éprouve des variations. Celui qui comprend seulement les plus simples de ces phénomènes, ou même ceux qui sont d'un ordre moyen, ne saurait saisir ceux d'un ordre plus élevé. Examinons ce qu'on raconte des Abbacides, des Oméiades et des Fatémides; comparons les faits dont la réalité n'admet aucun doute avec ce que nous observons dans les dynasties qui existent de nos jours et qui sont bien moins considérables que celles-là; nous reconnaîtrons que la différence entre les empires dépend de leur puissance primitive et de la population de leurs provinces. Donc les monuments d'un empire sont toujours en rapport avec sa puissance primitive, ainsi (1343-1344 de J. C.). (Voy. l'Histoire des Berbers, t. III et IV de la trad. française.)

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2

que nous

Ce que l'auteur dit ici se rapporte aux indications qui précèdent les paragraphes mis entre parenthèses.

3 Pour, lisez , et remplacez

. من par الى

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l'avons dit. Nous ne devons pas regarder comme fausses toutes ces anecdotes, car, le plus souvent, elles concernent des faits tellement manifestes et notoires que nous sommes obligés de les accueillir, et, dans certains cas, elles se rangent parmi les récits les mieux connus et les plus authentiques. Nous voyons encore de nos yeux les monuments que ces dynasties ont laissés. Étudiez l'histoire des empires, observez s'ils étaient puissants ou faibles, grands ou petits; rapprochez ensuite ces notions de l'anecdote assez curieuse que nous allons raconter (et jugez si nous avons raison).

Sous le règne du sultan mérinide Abou Eïnan1, un membre du P. 328. corps des cheïkhs2 de Tanger, nommé Ibn Batoutah, reparut dans le Maghreb. Une vingtaine d'années auparavant il s'était rendu en Orient, où il avait parcouru l'Irac, le Yémen et l'Inde. Dans le cours de ses voyages, il visita Dehli3, capitale de l'Inde, et fut présenté à Mohammed Chah, sultan de cet empire. Ce prince l'accueillit avec bonté et lui confia la charge de grand cadi malekite. Revenu dans le Maghreb, Ibn Batoutah fut reçu par le sultan Abou Eïnan et, s'étant mis à raconter les merveilles qu'il avait vues pendant ses voyages dans les divers empires du monde, il parlait surtout du royaume de l'Inde et racontait, au sujet du sultan de ce pays, des anecdotes qui remplissaient d'étonnement tout l'auditoire. Il disait, par exemple, que le souverain de l'Inde, toutes les fois qu'il allait entreprendre une campagne, faisait faire le dénombrement des habitants de la capitale, hommes, femmes et enfants, et qu'ensuite il leur assignait à tous, sur ses propres fonds, de quoi se nourrir pendant six mois. Revenu de

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l'expédition, il entrait dans sa ville au milieu d'une multitude immense. Les habitants sortaient en masse au-devant de lui, et, l'ayant rencontré dans la plaine, l'entouraient de tous les côtés. On voyait, en tête du cortége, plusieurs balistes portées à dos (d'éléphant), et, avec ces engins, on lançait au milieu des spectateurs une quantité de bourses remplies de monnaies d'or et d'argent, et cela durait jusqu'à ce que le sultan fût entré dans son palais. Les courtisans mérinides causaient entre eux de ces étranges récits et se disaient à voix basse que le voyageur racontait des mensonges. Un de ces jours-là, je rencontrai Farès Ibn Ouedrar, le célèbre vizir', et l'ayant entretenu de ces histoires, je lui donnai à entendre que je partageais l'opinion publique au sujet de leur auteur. A cette obsertion, le vizir répondit : « Garde-toi bien de considérer comme fausses les anecdotes extraordinaires que l'on raconte au sujet d'autres nations; tu ne dois jamais démentir un fait pour la seule raison que P. 329. tu n'en as pas été témoin. Si tu persistes dans cette voie, tu seras comme le fils du vizir qui avait vécu dans une prison depuis sa naissance. Je vais te raconter cette histoire : « Un vizir fut mis en

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prison par l'ordre de son sultan, et y resta plusieurs années avec

⚫ son enfant. Celui-ci, étant parvenu à l'âge de raison, demanda à son

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père lui répondit que c'était de la chair de mouton, et il fit la des

α

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cription de cet animal. Mon cher père, lui dit le fils, cela doit être

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" y a une grande différence entre un mouton et un rat. - Le même dis

« cours se répétait quand on leur servait de la chair de bœuf ou de chameau. L'enfant, n'ayant jamais vu d'autres animaux dans la prison

« que des rats, croyait que tous étaient de cette espèce. »

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Cela arrive très-souvent aux hommes qui entendent parler de choses nouvelles; ils se laissent influencer aussi facilement par leurs préventions à l'égard des faits extraordinaires que par la manie de les

Farès Ibn Meimoun Ibn Ouedrar était vizir du sultan mérinide Abou Einan.

لى insérer, الوزير Avant le mot

exagérer, afin de les rendre plus surprenants, ainsi que nous l'avons dit
au commencement de ce livre; aussi doit-on toujours rechercher les
principes des choses et se tenir en garde contre ses premières impres-
sions; on pourra alors distinguer, par le simple bon sens et par la
justesse de l'esprit, ce qui entre dans le domaine du possible et ce
qui n'y entre pas; on reconnaîtra ensuite pour vrai tout récit qui ne
dépassera pas
les bornes du possible. Par ce mot, nous n'entendons
pas la possibilité absolue, notion purement intellectuelle, dont le do-
maine est immense et n'assigne aucune limite à la contingence des
événements; le possible dont nous parlons est celui qui dépend de la
nature des choses. Lorsqu'on aura reconnu le principe d'une chose,
son espèce, sa différence (avec d'autres), sa grandeur et sa force, on
pourra partir de1 là et porter un jugement sur tout ce qui s'y rattache.
Si elle dépasse les limites du possible, on ne doit pas l'accueillir.
Dis Seigneur! augmente mon savoir. (Coran, sour. xx, vers. 113.)

2

P. 330. Le souverain qui s'engage dans une lutte avec sa tribu ou avec les membres de sa famille se fait appuyer par ses affranchis et ses clients.

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Le souverain doit son autorité aux efforts des hommes de sa tribu, ainsi que nous l'avons déjà exposé. C'est avec leur aide qu'il réussit à maintenir son pouvoir et à réprimer les révoltes. Il choisit parmi eux ses vizirs, ses percepteurs et les gouverneurs de ses provinces, pour les récompenser de l'avoir soutenu dans sa carrière de conquêtes, de s'être intéressés à tous ses projets, et parce que, dans toutes les affaires importantes, ils ont les mêmes intérêts que lui. Tel est l'état des choses pendant que l'empire est dans la première phase de son existence. Dans la seconde phase, le souverain manifeste des intentions despotiques; il enlève aux membres de sa tribu l'autorité qu'ils exerçaient et les repousse vigoureusement 3 quand ils essayent de la ressaisir. Comme il se fait de ses compatriotes de véritables ennemis par cette manière d'agir, il se trouve obligé à chercher des amis ailleurs. 1 Pour 3, lisez › Littéral. « avec la paume de la main. »

من

2 Pour

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3

lisez .

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C'est à des étrangers qu'il confie alors le soin de sa défense et l'administration de ses États. Bientôt ces gens parviennent à jouir de la faveur spéciale du souverain; ils se voient comblés de bienfaits, de richesses et d'honneurs, parce qu'ils s'exposent volontiers à la mort pour le protéger contre les tentatives de sa tribu, toujours prête à ressaisir le pouvoir et à regagner la haute position qu'elle avait occupée. S'étant ainsi assurés de toute la confiance du prince, ils obtiennent de nouvelles faveurs, de nouveaux honneurs. Les emplois, réservés jusqu'alors aux membres de la tribu, les grands commandements, les charges de vizir, de général en chef, de receveur d'impôts, tout est distribué à ces étrangers. Le souverain leur accorde même la permission de prendre les titres honorifiques que, jusqu'alors, il s'était spécialement réservés. Ces gens sont devenus en effet les favoris les plus intimes du prince, ses amis les plus sincères et les plus dévoués. Cet état de choses annonce l'abaissement P. 331. de l'empire et l'approche de la maladie lente qui doit priver la tribu de son esprit de corps, de ce sentiment qui l'avait conduite à conquérir un royaume. L'hostilité que le sultan montre envers les grands personnages de la nation, et les avanies dont il les accable, finissent par les indisposer contre lui; ils n'attendent qu'une occasion favorable pour se venger, et leur mécontentement devient fatal à l'empire; c'est là un mal qui n'admet pas de guérison. En effet, le changement qui vient de s'opérer laisse une profonde impression, qui se propage dans les générations suivantes, jusqu'à ce que l'empire ait cessé d'exister. Regardez la dynastie des Oméiades (d'Orient): ces princes se faisaient soutenir dans leurs guerres et dans l'administration de leurs provinces par les grands chefs arabes, tels qu'Amr, fils de Saad Ibn Abi Oueccas; Obéid-Allah, fils de Ziad Ibn Abi Sofyan; El-Haddjadj, fils de Youçof; El-Mohelleb, fils d'Abou Sofra; Khaled, fils d'Abd Allah el-Casri1; Ibn 2 Hobéira, Mouça Ibn Nocéir;

Pour, lisez . (Voy. le Biograph. Diction. d'Ibn Khallikan, vol. I, p. 488.) L'histoire des généraux nommés

ici

par
Ibn Khaldoun se rattache à celle de
la dynastie oméiade et est bien connue.

. وابن isez وابي Pour

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