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Une tribu qui se livre aux jouissances du luxe se crée des obstacles qui l'empêchent d'arriver à l'empire.

Une tribu qui s'est acquis une certaine puissance par son esprit de corps parvient toujours à un degré d'aisance qui correspond au progrès de son autorité. S'étant placée au niveau des peuples qui vivent dans l'aisance, elle jouit comme eux des commodités de la vie; elle entre au service de l'empire, et, plus elle devient puissante, plus elle se procure de jouissances matérielles. Si la dynastie régnante est assez forte pour ôter à ces gens l'espoir de lui arracher le pouvoir où d'y participer, ils se résignent à en subir l'autorité, se contentant des faveurs que le gouvernement leur accorde et d'une certaine portion des impôts qu'il veut bien leur concéder. Dès lors ils ne conservent plus la moindre pensée de lutter contre la dynastie ou de chercher des moyens pour la renverser. Leur seule préoccupation est de se maintenir dans l'aisance, de gagner de l'argent et de meP. 255. ner une vie agréable et tranquille à l'ombre de la dynastie. Ils affectent alors les allures de la grandeur, se bâtissant des palais et s'habillant des étoffes les plus riches, dont ils font une grande provision1. A mesure qu'ils voient augmenter leurs richesses et leur bien-être, ils recherchent le luxe avec plus d'ardeur et se livrent plus volontiers aux jouissances que la fortune amène à sa suite. De cette manière ils perdent les habitudes austères de la vie nomade; ils ne conservent plus ni l'esprit de tribu, ni la bravoure qui les distinguait autrefois; ils ne pensent qu'à jouir des biens dont Dieu les a comblés. Leurs enfants et leurs petits-enfants grandissent au sein de l'opulence. Trop fiers pour se servir eux-mêmes et pour s'occuper de leurs propres affaires, ils dédaignent tout travail qui pourrait entretenir chez eux l'esprit de tribu. Cet état de nonchalance devient pour eux une seconde nature, qui se transmet à la nouvelle génération, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'esprit de corps s'éteigne chez eux et annonce ainsi leur ruine. Plus ils s'abandonnent aux habitudes du luxe, plus Avant le moti, insérez la conjonction.

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ils se voient éloignés de la puissance souveraine et plus ils se rappro-
chent de leur perte. En effet, le luxe et ses jouissances amortissent
complétement cet esprit de corps qui conduit à la souveraineté ; la
tribu qui l'a perdu n'a plus la force d'attaquer ses voisins; elle ne
sait
pas même se défendre ni protéger ses amis; aussi devient-elle la
proie de quelque autre peuple. Tout cela démontre que le luxe, s'étant
introduit dans une tribu, l'empêchera de fonder un empire. Dieu ac-
corde la souveraineté à qui il veut. (Coran, sour. II, vers. 248.)

Une tribu qui a vécu dans l'avilissement et dans la servitude est incapable de fonder un empire.

L'avilissement et la servitude brisent l'énergie d'une tribu et son esprit de corps. Cet état de dégradation indique même que, chez elle, cet esprit n'existe plus. Ne pouvant sortir de son avilissement, elle n'a plus le courage de se défendre; aussi, à plus forte raison, P. 256. est-elle incapable de résister à ses ennemis ou de les attaquer. Voyez la lâcheté montrée par les Israélites quand le saint prophète Moïse les appela à la conquête de la Syrie et leur annonça que le Seigneur avait écrit d'avance le succès de leurs armes; ils lui répondirent: C'est un peuple de géants qui habite ce pays, et nous n'y entrerons pas jusqu'à ce qu'il en sorte. (Coran, sour. v, vers. 25 et suivant.) Ils voulaient dire : « Jusqu'à ce que Dieu les en fasse sortir par un coup de sa puissance et sans que nous soyons obligés d'y contribuer; ce sera là un de tes grands miracles, ô Moïse!» Plus i les implora, plus ils s'obstinèrent dans leur désobéissance : « Va-t'en, lui dirent-ils, toi et ton Seigneur, et combattez (pour nous). » (Coran, sour. v, vers. 27.) Pour s'exprimer de la sorte, ces gens-là ont dû bien sentir leur propre faiblesse et reconnaître qu'ils étaient incapables d'attaquer un ennemi ou de lui résister. C'est ce que le passage du Coran nous donne à entendre, ainsi que les explications traditionnelles que les commentateurs ont recueillies. Cette lâcheté était le résultat de la vie de servitude que ce peuple avait menée pendant des

pas

siècles; il était resté assez longtemps sous la domination des Égyptiens pour perdre complétement tout esprit de corps. D'ailleurs il ne croyait sincèrement à sa religion : lorsque Moïse annonça aux Juifs que la Syrie devait leur appartenir, ainsi que le royaume des Amalécites, dont la capitale se nommait Jéricho; que ce peuple leur serait livré comme une proie d'après l'ordre de Dieu, ils reculèrent devant l'entreprise, étant intimement convaincus qu'après avoir passé leur vie dans les humiliations, ils seraient incapables d'attaquer un ennemi. Ils osèrent même se moquer des paroles de leur prophète et résister à ses ordres; aussi Dieu leur infligea la peine de l'égarement, c'est-àdire qu'il les fit rester pendant quarante ans dans le désert qui sépare l'Égypte de la Syrie (voyez le Coran, sour. v, vers. 29). Il leur fut impossible, pendant ce temps, de se retirer dans une ville ou de s'arrêter dans un lieu habité, parce qu'ils avaient d'un côté le pouvoir des Amalécites en Syrie, et de l'autre celui des Coptes de l'Égypte, et qu'ils étaient, selon leur propre déclaration, incapables de les combattre. Les versets que nous venons de citer ont une portée P. 257. qui est facile à comprendre la peine de l'égarement avait pour but d'anéantir toute la population qui s'était soustraite à l'oppression et aux humiliations dont on l'avait abreuvée dans la terre d'Égypte, population sans énergie, qui s'était résignée à la dégradation et qui avait perdu le sentiment de l'indépendance. Pour remplacer cette génération, il en fallait une autre, élevée dans le désert, qui n'eût jamais subi des humiliations et qui ignorât la domination d'une dynastie étrangère et la puissance du despotisme. Par cette disposition de la Providence, un nouvel esprit de corps naquit chez les Israélites et les mit à même d'attaquer et de vaincre. Tout cela fait voir que, pour laisser éteindre une génération et la remplacer par une autre, il faut au moins une période de quarante ans. Gloire à l'Étre savant et sage! Ce que nous venons d'exposer fournit une preuve évidente de l'extrême importance qu'il faut attacher à l'esprit de corps : c'est le sentiment qui porte à résister, à repousser l'ennemi, à protéger ses amis, à venger ses injures. Le peuple qui en est dépourvu ne

saurait rien faire qui vaille. A ce chapitre se rattache naturellement celui qui suit :

Une tribu s'avilit qui consent à payer des impôts et des contributions.

Une tribu ne consent jamais à payer des impôts tant qu'elle ne se résigne pas aux humiliations. Les impôts et les contributions sont un fardeau déshonorant, qui répugne aux esprits fiers. Tout peuple qui: aime mieux payer un tribut que d'affronter la mort a beaucoup perdu de cet esprit de corps qui porte à combattre ses ennemis et à faire valoir ses droits. Si cet esprit est trop faible pour lutter contre l'oppression, comment pourra-t-il entraîner la tribu à résister aux attaques et à venger ses injures? Un tel peuple s'est déjà résigné à la dégradation; et cela suffit, ainsi que nous l'avons fait observer, pour l'empêcher (de fonder un empire). Nous lisons dans le Sahih (d'ElBokhari), au chapitre de l'agriculture, que le Prophète, ayant vu un soc de charrue dans une maison appartenant à un de ses partisans P. 258. médinois, prononça ces paroles : « Ces choses n'entrent pas dans une maison sans que l'avilissement n'entre dans les âmes de ceux qui l'habitent. » Cela prouve clairement que les impôts dégradent les peuples1. Ajoutons que cette humiliation amène avec elle les habitudes de fraude et de tromperie qui naissent sous une puissance. coercitive. Nous lisons dans le Sahih que le Prophète s'écria « Dieu : nous préserve des impôts!» On lui demanda pourquoi il faisait cette prière, et il répondit : « L'homme qui paye un impôt2 parle et dit des mensonges; il promet pour ne pas tenir.» Toutes les fois que vous verrez une tribu soumise à l'impôt et portant le collier de la servitude, soyez assuré qu'elle ne parviendra jamais à fonder un empire. Les indications qui précèdent suffiront pour réfuter l'assertion que

Selon l'auteur du Mishkat el-Masabîh (traduction anglaise du capitaine Matthews, vol. II, page 49), le Prophète s'exprima ainsi afin de pousser ses partisans à combattre pour la foi, et de les emProlégomènes.

pêcher de s'adonner, par lâcheté, aux
travaux agricoles. Voyez du reste les Prolé-
gomènes, texte arabe, 2o partie, p. 296.

ن الرجل lisez, أن الرجل حدث Pour اذا غرم حدث

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les Zenata du Maghreb étaient un peuple de pasteurs (chaouïa) qui payait l'impôt à la dynastie régnante. C'est là une erreur dont la fausseté saute aux yeux. Si ce peuple avait été tributaire, jamais il n'aurait réussi1 à porter ses chefs au trône ni à fonder un empire. Considérez les paroles que Chehrberaz, roi d'El-Bab, adressa au général Abder-Rahman Ibn Rebîah, qui était venu pour l'attaquer3. Après s'être engagé à le servir moyennant une amnistie pour son peuple, il lui dit : « Dès aujourd'hui, je suis un des vôtres; je vous donne la main; nos sentiments seront désormais identiques avec les vôtres. Soyez le bien-venu, et que la bénédiction de Dieu repose sur nous et sur vous! Au lieu de capitation, nous vous donnerons l'appui de nos armes et notre concours dévoué. Ne nous soumettez pas à l'humiliation de payer un impôt; vous nous ôteriez la force de combattre vos ennemis. » Les observations que nous venons de présenter suffiront au lecteur intelligent.

P. 259. Celui qui cherche à se distinguer par de nobles qualités montre qu'il est capable de régner. Sans vertus on ne parvient jamais au pouvoir.

Nous avons dit que la souveraineté est pour l'homme une institution naturelle, parce qu'elle est conforme à la nature de la société humaine. L'homme est porté plutôt vers le bien que vers le mal; cela tient à la disposition qui lui est innée et à l'influence de ses facultés rationnelles et intellectuelles. Ses mauvaises qualités dérivent de sa nature animale; mais, en tant qu'homme, il est porté vers le bien.

1

استند lisez استثبت Pour

انظر lisez انظر في هذا مقالة Pour : فيما قاله

3 Dans l'histoire du règne d'Omar, le second khalife, notre auteur dit quelques mots de la conquête d'El-Bab (Derbend). Le nom du prince qui gouvernait cette forteresse y est écrit Chehrbar. Dans le dictionnaire géographique de Yacout, à l'article, on lit Chehryar. Selon Ibn

el-Athir, dans ses Annales, la ville d'ElBab capitula l'an 22 de l'hégire (643 de J. C.). Yacout donne l'an 19 comme la date de cet événement. Abd-er-Rahman Ibn Rebîah commandait alors l'avant-garde de l'armée musulmane; Soraca Ibn Amr en était le général en chef.

وصفوى lisez, وصفوى Pour الشر isez, البشر Pour

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