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L'année dernière, les préoccupations de la lutte entre la France et son implacable ennemi nous avaient imposé un retard dans la publication du xive volume, qui n'a été livré au public que dans le courant de l'année 1871. Mais alors est survenue cette triste et lamentable insurrection arabe, qui, à un moment donné, pouvait avoir de bien terribles conséquences pour le pays. Quant à nous, elle a eu pour résultat de nous priver de la plupart de nos collaborateurs, qui tous, civils ou militaires, avaient les yeux fixés sur les événements du jour, et ne se préoccupaient guère de l'Histoire ancienne et des monuments qui nous l'avaient transmise. La Société, prenant en considération cette situation, a décidé, dans sa séance du 27 avril, qu'il ne serait publié qu'un seul volume pour les deux années, et que celui que nous présentons aujourd'hui (xve vol., 5e de la nouvelle série) porterait la date de 1871-1872.

L'intérêt tout particulier qui s'attache encore en ce moment à tout ce qui concerne cette insurrection formidable de 1871, nous a fait un devoir de rechercher et d'accueillir l'histoire des villes et des tribus qui en ont été le foyer, et de donner à ces études une plus large place que d'ordinaire. Notre savant et consciencieux sccrétaire, qui vient de faire une longue et pénible campa

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VI

gne dans tout le pays insurgé, nous donne, avec son talent ordinaire, des détails historiques sur les villes de Setif, Bordj-bou-Arreridj, Msila et Bou-Sada; il nous montre le développement de cette famille des Mokrani, dont le dernier chef a été l'instigateur du soulèvement des Arabes.

Les événements de ces dernières années ont aussi inspiré un autre de nos collaborateurs, M. Ernest Mercier, qui, après des recherches minutieuses et savantes, nous parle des révoltes et des dévastations des deux IbnR'ania (1184-1233).

Notre volume contient encore deux lettres adressées au Ministre de l'Instruction publique l'une concernant les silex taillés que notre collègue, M. Féraud, découvrit dans le sud de la province, et l'autre, dans laquelle il nous fait la description de la statue de Bacchus, dont nous donnons ci-joint la reproduction, et qui a été trouvée dans les fouilles à Constantine même.

Enfin, M. Poulle, avec sa sagacité et son érudition ordinaires, fournit l'explication des quelques inscriptions qui nous sont parvenues pendant le cours de l'impression de ce volume.

Une publication comme celle que fait la Société archéologique de Constantine, n'est pas une de ces œuvres qui jettent, dès les premiers jours, un vif éclat et attirent vers elles les regards de tous; il lui faut le temps pour se faire connaître et apprécier. Aussi, ses débuts ont été modestes et obscurs. Mais vingt ans d'existence et de travaux lui ont valu un rang et un renom parmi les sociétés de France et de l'Etranger. Le nombre des

sociétés correspondantes augmente chaque année, et les comptes-rendus des travaux scientifiques et archéologiques ont souvent mentionné avec éloges les mémoires publiés par la Société. Nous en avons été heureux, et nous avons mis nos efforts à en mériter bien plus encore dans la suite.

Nous devions être modestes, et nous avons reproduit. bien peu des articles qui nous concernaient. Cependant, cette année, nous voulons et nous devons faire exception à la règle que nous avions adoptée Le rapport fait par M. Renan, à la Société asiatique de France, a une importance assez grande pour excuser l'exception que nous faisons aujourd'hui. Dans ce rapport, où le savant orientaliste résume les recherches et les travaux des dernières années, il fait une large part aux publications algériennes, et nous croyons juste d'en reproduire les passages les plus importants.

Notre laborieuse et intelligente colonie algérienne continue avec l'activité la plus louable son œuvre scientifique. Un sentiment juste et fin de la critique historique caractérise tous ses travaux; on sent aussi que d'excellents maîtres ont passé là; on sent aussi l'avantage que donne à une population instruite l'avantage de vivre au milieu des restes encore parlants de l'antiquité. M. Cherbonneau a donné une notice étendue sur l'hérétique Abou-Yézid-Mokhalled-ibn-Kidad, de Tademket (milieu du dixième siècle de notre ère), qui réussit pendant longtemps à tenir tête dans l'Aurès aux khalifes obéidites (1). Un livre trèsintéressant est le Kitâb-el-Adwâni, traduit en abrégé par M. Féraud (2). C'est un très-curieux tableau des événements dont le

(1) Revue africaine, novembre 1869.

(2) Recueil des notices et mémoires de la Société archéologique de Constantine, 1868, p. 1 et suiv.

a

Sahara de Constantine et de Tunis a été le théâtre depuis quatre siècles environ. On y voit parfaitement la vie des nomades du Souf, et surtout l'histoire de ces Troud, dont les aventures rappellent la vie des anciens Arabes décrite dans le Kitab-el-Aghani. Un fait bien remarquable, c'est l'indifférence religieuse où étaient tombées ces populations vers le seizième et le dix-septicme siècle. Elles avaient presque cessé d'être musulmanes, et l'on comprend maintenant ce que dit Ibn-Khaldoun, quand il affirme que les populations berbères apostasièrent jusqu'à douze fois. Mème depuis l'occupation française, le fanatisme semble avoir été dans ce pays le fait d'exaltés qui venaient y souffler le feu de la guerre sainte, plutôt que l'esprit même des gens du pays. M. Féraud a accompagné sa traduction d'El-Adwani de précieux renseignements sur tout le Sahara algérien et sur les forages de puits artésiens qui sont actuellement en train de le métamorphoser. Le vieil esprit africain, combiné avec l'esprit nomade des Arabes antéislamiques, vit encore dans ce pays de la façon la plus originale. L'islamisme parait ne former dans tous ces pays qu'une couche assez superficielle. Le travail de M. Pont sur les Amamra (1) et celui de M. Mercier sur la résistance que la race berbère opposa à l'islam (2) confirment tout à fait ces aperçus. M. Vayssettes a étudié l'histoire de Constantine sous la domination turque, en partie d'après l'ouvrage arabe de Salah-el-Antéri, publié à Constantine en 1846. Cette triste période de trois cents ans est une époque de silence pour la littérature magrébine. M. Vayssettes n'a rien négligé pour sauver de l'oubli une histoire qui sera bientôt couchée dans la tombe avec les derniers restes de la génération qui en a pu garder le souvenir (5). M. Cherbonneau a donné une notice sur le célèbre

(1) Recueil, etc. 1868, p. 217-240.

(2) Même recueil, 1868, p. 241-254.

(3) Même recueil, 1867, p. 241-352; 1868, p. 255-392.

Sénousi (1), dont l'influence sur l'Afrique musulmaue a été si profonde.

Mais le grand service que nous rendent nos confrères d'Algérie est d'avoir découvert tout ce monde touareg ou libyque, tout ce monde qui n'est ni punique, ni romain, ni vandale, ni byzantin, ni arabe, ni turc, qui est le monde africain même, conservé jusqu'à nos jours, à travers toutes les dominations étrangères, par les idiomes kabyle et touareg, par l'alphabet tifinag, par les inscriptions libyques, par des institutions et des mœurs essentiellement aborigènes. Ce monde sort à l'heure qu'il est de terre et commence à nous apparaitre avec beaucoup d'unité et de clarté. Les inscriptions dites libyques se sont depuis deux ans singulièrement multipliées, et parmi ces inscriptions, il y ena maintenant une dizaine de bilingues (latino-libyques) qui seront d'un prix inestimable pour l'interprétation des textes libyques. C'est près de Bône, dans les vieux cimetières de la Cheffia et du cercle de La Calle, que sortent ces monuments. C'est déjà un fait bien remarquable que de trouver des textes épigraphiques des troisième et quatrième siècles de notre ère (les textes latins indiquent une fort basse époque), conçus dans cet alphabet africain que ni Carthage, ni Rome, ni le christianisme. n'avaient pu déraciner. Que sera-ce quand nous aurons de ces textes épigraphiques une interprétation rigoureusement philologique, quand nous saurons avec certitude à quelle langue ils appartiennent? Les principaux services pour la découverte de ces précieux textes ont été rendus par M. le docteur Reboud, qui a mis un empressement exemplaire à faire parvenir à l'Académie des inscriptions les textes par lui découverts (2). M. le général Faidherbe et d'autres encore ont rivalisé avec M. Reboud de zèle et d'ardeur (3).

(1) Revue africaine, janvier 1870.

(2) Comptes rendus de l'Acad. des inscr. 1869, p. 270, etc.

(3) Comptes rendus de la Société française de numismatique et d'archéo –

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