miers jours, la fortune ne le favorisât guère, il réussit, le 15 du même mois, à prendre sa revanche. Ayant placé les Berbères à l'aîle droite de son armée et les Ketama à l'aîle gauche, il se tint lui-même au centre avec ses propres troupes. Abou-Yezîd commença la bataille par une charge contre l'aîle droite, et, après l'avoir culbutée, il essaya d'enfoncer le centre. Comme El-Mansour demeura inébranlable, le combat se soutint avec acharnement; enfin, l'armée du prince fatemide chargea comme un seul homme, renversa les rangs des insurgés, s'empara de leurs bagages et tua tant de monde que le nombre des têtes apportées à Cairouan et livrées aux enfants de la ville pour leur servir de jouets, montait à dix mille. AbouYezid s'enfuit du champ de bataille et tacha de se réfugier dans Baghaïa, mais les habitants refusèrent de lui ouvrir les portes. Il tenta alors d'y mettre le siége, mais l'approche d'El-Mansour l'obligea à décamper. Ce prince était parti de Cairouan dans le mois de Rebiâ premier [octobre 946], après y avoir laissé comme lieutenant Merah P'esclavon, et bientôt après, il parut devant Baghaïa. Chaque fois que son adversaire se dirigeait vers une forteresse, il l'y avait déjà dévancé, et arrivé à Tobna, il reçut une communication importante de Mohammed-Ibn-el-Kheir, seigneur du Maghreb central et partisan d'Abou-Yezîd. Ce chef, qui commandait aux Maghraoua, sollicita et obtint d'El-Mansour sa grâce pleine et entière à la condition d'aider à la poursuite des rebelles. Abou-Yezîd se trouvait chez les Beni-Berzal, tribu qui professait les doctrines des Nekkarïa, quand l'approche d'El-Mansour fut annoncée. Il passa dans le Désert et reparut bientôt après dans le pays des Ghomert. Là encore il se rencontra avec El-Mansour, et, ne pouvant soutenir la charge impétueuse que ce prince dirigea contre lui, il s'enfuit vers le Salat. Poursuivi à travers les précipices et les défilés de cette montagne, il se jetta encore dans le Désert, et El-Mansour, sachant que son adversaire ne pouvait atteindre le Soudan à cause des solitudes affreuses qu'il lui aurait fallu traverser, rentra chez les Ghomert pour l'y attendre, pendant que les bandes de Khazer marchaient sur la piste des fuyards. Arrivé daus le pays des Sanhadja, au milieu des Ghomert, El-Mansour fut accueilli avec de grands honneurs par le chef sanhadjien, Ziri-Ibn-Menad. Une maladie l'ayant contraint à s'arrêter dans cette contrée, Abou-Yezîd profita d'une si favorable occasion et vint mettre le siége devant El-Mecila. Au 1er Redjeb 335 (fin de janvier 947), El-Mansour se trouva assez bien portant pour aller au secours de cette ville et refouler l'ennemi dans le Désert. Abou-Yezîd voulut alors se rendre dans le Soudan, mais les Beni-Kemlan refusèrent de l'y accompagner, et il se trouva obligé de se jeter avec eux dans les montagnes des Kîana et des Adjîça. Le 10 du mois de Châban (6 mars), il se vit bloqué dans ses retranchements et en sortit pour repousser les assaillants; mais, ayant essuyé de nouveaux revers, il prit la fuite (pendant que ses 'partisans et même ses fils mettaient bas les armes. Poursuivi par quelques cavaliers, il fut atteint d'un coup de lance qui le jeta au bas de de son cheval. Ses amis vinrent à son secours et une mêlée s'ensuivit dans laquelle plus de dix mille hommes perdirent la vie. Parvenu encore à s'échapper, il occupa une position tellement escarpée qu'aucun moyen de retraite ne lui resta. El-Mansour, qui n'avait cessé de le poursuivre depuis le commencement de Ramadan (fin de mars), l'attaqua vivement, mit ses partisans en déroute, s'empara de leurs bagages et les força à se réfugier sur les cîmes de la montagne. Ils s'y défendirent encore en lançant des pierres sur leurs adversaires, et bientôt, les combattants se trouvèrent tellement rapprochés qu'ils purent se battre corps à corps. La nuit vint mettre fin à ce conflit sanglant et Abou-Yezîd s'enferma dans le château de Kiana. Tous les Hoouara qui l'avaient accompagné jusqu'à ce moment, prirent le parti de faire leur soumission. El-Mansour attaqua le château à plusieurs reprises et parvint à y mettre le feu. De tous les côtés on massacra les compagnons d'Abou-Yezîd qui tâchaient de s'échapper, et, pendant ce temps, les enfants de ce chef intrépide se tenaient dans le château. A l'entrée de la nuit, El-Mansour fit mettre le feu aux broussailles, afin de mieux découvrir les personnes qui chercheraient à s'évader; mais, au point du jour, les amis d'Abou-Yezîd firent une sortie et frayèrent un passage à leur chef à travers les rangs des assiégeants. Les troupes d'El-Mansour les eurent bientôt atteints, et Abou-Yezîd, affaibli par sa blessure, glissa des bras des trois hommes qui l'emportaient et tomba dans un précipice. Il en fut retiré vivant et déposé aux pieds d'El-Mansour, qui se prosterna pour remercier Dieu. Dès ce moment Abou-Yezîd resta en détention auprès du prince fatemide, et vers la fin de Moharrem 336 (août 947), il mourut de ses blessures. Son cadavre fut écorché et sa peau, remplie de paille, fut placée dans une cage pour servir de jouet à deux singes qu'on avait dressés à ce métier, El-Mansour prit alors la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdïa 1. Fadl, fis d'Abou-Yezîd, alla trouver Måbed-Ibn-Khazer et marcha avec lui contre Tobna et Biskera; mais ils durent se jeter dans les montagnes de Kîana pour échapper à la poursuite d'El-Mansour. Chafè et Caïcer, affranchis de ce monarque, conduisirent une armée contre eux, et Zîri-Ibn-Menad assista à cette expédition avec sa tribu, les Sanhadja. Les deux rebelles finirent par prendre la fuite, leurs partisans se dispersèrent et El-Mansour rentra enfin à Cairouan. § XI. SUITE DE L'HISTOIRE D'EL-MANSOUR. Dans le mois de Safer 336 (août-sept. 947), El-Mansour marcha contre Hamîd-Ibn-Isliten, gouverneur du Maghreb, qui, ayant cessé de reconnaître l'autorité des Fatemides, venait de mettre le siége devant Tehert après avoir proclamé dans cette province la souveraineté des Oméïades espagnols. Arrivé à SoucHamza, il y fit halte pour rallier les Sanhadja de Zîri-Ibn-Menad. Des renforts lui étant arrivés de tous les côtés, il alla délivrer Téhert. Hamid courut s'embarquer à Ténès et se rendit à Cordoue, auprès d'En-Nacer, le souverain oméïade. Pendant son séjour à Tèhert, El-Mansour nomma Yala-IbnMohammed l'ifrénide au gouvernement de cette ville et accorda à Zîri-Ibn-Menad le commandement général des Sanhadja et de toute la région occupée par ce peuple. Ensuite, il tourna ses armes contre les Louata, et, les ayant refoulés dans le Désert, il occupa une position qui dominait la vallée du Mînas. Là, se voyaient trois montagnes dont chacune était couronnée d'un château en pierres de taille, et, sur la face d'un de ces édifices, on remarqua une large pierre portant une inscription. El-Mansour la fit interpréter et apprit que le sens était celui-ci : Je suis Soleiman le Serdéghos. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux et Dieu m'aida à les vaincre 1. C'est Ibn-erRakîk qui, dans son histoire, rapporte cette circonstance. 4 Dans le tome in, se trouve encore un chapitre snr Abou-Yezid. Après avoir revêtu Zîri-Ibn-Menad des hautes fonctions dont nous venons de parler, El-Mansour partit pour Cairouan, où il arriva dans le mois de Djomada 336 (décembre 947). Averti alors que Fadl, fils d'Abou-Yezîd, venait de reparaître dans le Mont-Auras, il marcha aussitôt contre lui et, l'ayant pousuivi à travers le Zab jusqu'au Désert, il reprit la route de Cairouan pour se rendre à El-Mehdia. Fald profita de son éloignement pour venir assiéger Baghaïa, mais il fut assassiné par un nommé Batît, et sa tête fut envoyée à El-Mansour. En l'an 339 (950-1), El-Mansour donna le gouvernement de la Sicile à El-Hacen-Ibn-Ali-Ibn Abi-'l-Kelbi qui remplaça ainsi Khalil-Ibn-Ishac. El-Hacen s'y rendit indépendant et transmit * l'autorité à ses enfants, ainsi que jele raconterai ailleurs *. El-Mansour ayant appris que le roi des Francs 3 se préparait à faire la guerre aux musulmans, expédia une flotte sous la conduite de son affranchi Fareh, pour observer les mouvements de l'ennemi. Il envoya aussi l'ordre à El-Hacen-Ibn-Ali, gouverneur de la Sicile, de seconder ce général. Les deux chefs débarquèrent en Calabre et pénétrèrent dans le pays des Francs. Reddjar, roi de ce peuple, vint les combattre et essuya une défaite sanglante. Cette bataille eut lieu en l'an 340 (954-2). Deux années plus tard, Fareh revint à El-Mehdïa, chargé de butin. 1 Voy. t. 1, p. 234. Voy pp. 165 et suiv. de l'extrait d'Ibn-Khaldoun publié par M. Noël des Vergers sous le titre d'Histoire de l'Afrique sous la dynastie des Aghlabites, etc. 3 C'est-à-dire l'officier qui gouvernait la Calabre au nom de l'empereur grec, Constantin VII. Mâbed-Ibn-Khazer avait persévéré dans la révolte depuis l'époque où il embrassa le parti de Fadl, fils d'Abou-Yezîd. Poursuivi sans relâche par les partisans du gouvernement fatemide, il fut fait prisonnier à la suite d'un combat et conduit avec son fils devant El-Mansour. On les promena à travers les rues d'El-Mansourïa, puis, on leur ôta la vie. Ceci eut lieu en l'an 341 (952-3). § XII. - MORT D'EL-MANSOUR ET AVÈNEMENT DE SON FILS EL-MOEZZ. El-Mansour mourut le huitième jour du mois de Ramadan 344 (fin de janvier 953), après avoir rempli les fonctions de khalife pendant sept années. Il venait de s'exposer à la neige et à la pluie, de sorte qu'il en sut transi de froid, et, dans cet état, il était entré au bain, contre l'avis de son médecin, Ishac-IbnSoleiman-el-Israîli. Par cette imprudence il éteignit la chaleur naturelle du corps et s'attira uue insomnie dont il mourut. Son fils Madd lui succéda et reçut le titre d'El-Moëzz li-din Illah (qui exalte la religion de Dieu). En l'an 342, El-Moëzz pénétra avec une armée dans l'Auras, parcourut cette montagne en tous les sens et accueillit la soumis Reddjar est le nom donné par les historiens arabes à Roger I et à Roger II, rois de Sicile. Il est à peine nécessaire de relever l'étrange anachronisme de notre auteur. • La vie de ce médecin célèbre a été donnée par le biographe IbuAbi-Osaïbïa. Elle se trouve traduite dans l'Abd Allatif de M. de Sacy, p. 43. Ibn-Abi-Osaïbia dit qu'Israîli mourut vers l'an 320, mais l'anecdote racontée par Ibn-Khaldoun démontre que cet événement n'a pu avoir lieu qu'après l'an 341. Dans ma traduction d'Ibn-Khallikan, vol. 1, p. 220, cette même anecdote est reproduite. |