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Quand Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack apprit qu'Abou-Debbous faisait des avances au souverain abd-el-ouadite, il se mit à la tête des Mérinides et marcha avec eux et ses contingents maghrebins contre Maroc 1. Arrivé dans la plaine qui entoure cette capitale, il y dressa son camp, et il venait de recevoir la soumission des populations voisines, quand il vit Abou-Debbous venir à sa rencontre avec l'armée almohade. Il opéra aussitôt un mouvement de retraite afin d'attirer son adversaire vers la rivière Aghfou, et, après lui avoir livré bataille, il culbuta ses troupes et les mit en pleine déroute. Abou-Debbous s'enfuit vers Maroc, vivement poursuivi par l'ennemi, et ne pouvant lui échapper, il tomba sous ses coups. Yacoub se porta rapidement sur Maroc et y fit son entrée, dans le mois de moharrem, 668 (septembre 1269).

Les cheikhs almohades, qui échappèrent à ce désastre, coururent se réfugier dans leurs montagnes, après avoir proclamé khalife un fils d'Abou-Debbous nommé Abd-el-Ouahed. Pendant cinq jours ils l'avaient traité en souverain et salué du titre d'El-Motacem-Billah (le vertueux par la grâce de Dieu); puis, ils abandonnèrent la capitale et emmenèrent ce prince avec eux 3. -Ainsi finit ladynastie d'Abd-el-Moumen. Dieu seul est éternel!

NOTICE DES TRIBUS ALMOHADES MASMOUDIENNES QUI SE MAINTINRENT DANS L'ATLAS APRÈS LA CHUTE DE LEUR EMPIRE A MAROC. HISTOIRE DE CES PEUPLES JUSQU'A NOS JOURS.

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Quand le Mehdi invita ses compatriotes, les Masmouda du Deren (l'Atlas) à embrasser sa doctrine, il posa comme principe l'obligation de rejeter l'anthropomorphisme, hérésie vers laquelle

↑ Notre auteur aurait dû écrire : contre Yaghmoracen et ensuite contre Maroc.

Ce fut le 9 Moharrem (8 septembre), sept jours après la victoire d'Aghfou, qu'il occupa Maroc. (Cartas.)

3 Cinq années plus tard, les derniers restes des Almohades marocains furent exterminés et leur fantôme de khalife fut mis à mort.

T. II.

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le peuple du Maghreb se laissait porter [disait-il], en évitant, de propos délibéré, l'emploi de l'interprétation allégorique dans l'explication des passages équivoques de la loi révélée. Il déclara aussi qu'il fallait regarder comme infidèle quiconque refuserait d'admettre ce principe; appliquant ainsi la règle qu'une tendance [vers le faux en religion] doit être considérée comme un acte d'infidélité. Pour cette raison, il nomma sa propre doctrine la profession de l'unité de Dieu (tauhid) et imposa à ses sectateurs la dénomination d'Almohades (professeurs de l'unité, AlMowahhedin). En faisant choix de ces termes, il donnait implicitement à entendre que les croyances professées par les Almoravides menaient à l'anthropomorphisme. Il promit, en même temps, une prééminence spéciale à ceux qui embrasseraient sa cause avant qu'elle n'eût définitivement triomphé, et il déclara que le signe de ce triomphe serait la prise de Maroc. Le titre d'Almohades fut donc réservé pour ceux qui devanceraient les autres et qui auraient fait leur profession de foi antérieurement à cette époque. Les devanciers (ahl-es-sabeca) se composaient de huit tribus dont sept masmoudiennes, savoir les Hergha, tribu de l'imam El-Mehdi; les Hintata et les Tînmelel, tribus qui se réunirent aux Hergha dans l'engagement solennel de protéger le Mehdi; les Guenfiça, les Hezerdja, les Guedmĵoua [et les Ourika]. La huitième tribu almohade était les Koumia auxquels appartenait Abd-el-Moumen, chef des disciples du Mehdi. Cette dernière peuplade embrassa le parti de l'imam

1 Selon El-Merrakchi, les tribus almohades étaient : 4° les Hergha, 2° les Koumia, 3° les Tînmelel, 4° les Hintata, 5° les Guedmioua, 6° une partie des Zanaga, 7 une partie des Heskoura. Les guerriers de ces tribus recevaient une solde régulière tous les quatre mois. Les autres populations masmoudiennes et berbères n'étaient que leurs sujets et serfs. Les chefs et notables de ces tribus favorisées formaient la Djemad (assemblée), grand conseil composé de cinquante membres qui avaient sous leur surveillance toute la communauté des Almohades. Outre ces tribus militaires, le gouvernement almohade avait à sa solde des corps d'Arabes, de Ghozz, de musulmans espagnols, de chrétiens espagnols et d'Almoravides. Les Ghozz étaient archers; ils vinrent en Afrique avec Caracoch et entrèrent, par degrés, au service des Almohades; ils tou

avant la prise de Maroc, ainsi que l'avait fait Abd-el-Moumen, koumien lui-même, ce qui était pour elle un double honneur. Ce furent les tribus devancières qui établirent la domination almohade et qui la soutinrent jusqu'à ce qu'elles eussent épuisé leurs populations dans les expéditions entreprises par ce gouvernement et dans l'occupatio n des divers pays qu'il avait conquis. Plus l'une ou l'autre de ces tribus était en faveur auprès du souverain, plus elle eut à consumer ses forces et à dépenser sa vigueur. Les restes de ces peuples, qui continuèrent à habiter leurs montagnes et à se tenir au milieu de leurs précipices n'étaient, en réalité, qu'un faible débris échappé à la destruction générale. Ecrasés, après la chute de leur empire, par la domination des Zenata [Mérinides], ils se résignèrent à payer tribut au vainqueur et à se laisser inscrire au nombre des populations soumises à l'impôt; tantôt elles eurent des gouverneurs zenatiens et, tantôt, des chefs appartenant à leur propre race. Ce changement de fortune offre un grave sujet de réflexion aux esprits philosophiques.

Les Hergha. -Les Hergha, tribu de l'imam El-Mehdi, ont [à peu près] disparu après avoir été consumés dans de lointaines expéditions. Ce furent eux qui montrèrent le plus d'attachement à la cause almohade et qui s'exposèrent le plus souvent au feu

chaient leur solde tous les mois; leurs chefs jouissaient, en outre, de concessions ou fiefs. Sous le règne de Yacoub-el-Mansour, leur chef possédait en Espagne plusieurs villages comme fiefs et en tirait un revenu de neuf mille pièces d'or (dinar).— A la page 235 de ce volume, notre auteur a déjà parlé du corps des chrétiens. Les Almoravides étaient un reste des troupes qu'Abd-el-Moumen avaient vaincues. Vers l'an 620 (1223), les troupes almohades formaient deux classes : 1° les Djomoud (bandes); ceux-ci touchaient une solde régulière et tenaient garnison à Maroc; 2o les Omoum (communautés); ceux-ci restaient dans leurs foyers et ne venaient à la capitale que par suite d'une convocation. A la même époque, les troupes des diverses armes en garnison à Maroc formaient un corps de dix mille hommes. Dans le Khotba, ou prône du vendredi, et sur les monnaies, les souverains almohades furent désignés par le titre d'El-Kholefd-er-Rachedin (les khalifes qui marchent dans la voie droite).

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de la guerre. Parents du fondateur de la secte, ils le servirent avec tout le dévouement que pouvait leur inspirer le sentiment de famille. Il n'en reste maintenant qu'une misérable population sans ressources, sans consistance et sans autorité, population dont le commandement est exercé par des chefs appartenant à d'autres branches de la grande famille masmoudienne.

Les Tinmelel. Les Tînmelel, à l'instar de leurs frères, les Hergha, se distinguèrent par leur zèle pour la cause du Mehdi et par leur empressement à protéger cet imam et à le soutenir dans ses entreprises. L'on sait qu'il fixa son séjour dans leur territoire et qu'il y fit bâtir sa maison et sa mosquée. Autant ce peuple s'était élevé, autant il est maintenant tombé s'étant répandu au loin dans les royaumes et les provinces de l'empire, il épuisa le nombre de ses guerriers et finit pár obéir à des chefs appartenant à d'autres tribus masmoudiennes.

Le tombeau du Mehdi existe encore chez eux, aussi honoré, aussi révéré que jamais; on y récite le Coran matin et soir; les hommes continuent à s'y rendre, et, un corps de gardiens, conservant la même organisation et suivant le même cérémonial que du temps de l'empire almohade, reçoit les aumônes des pèlerins venus des pays éloignés et les introduit dans le sanctuaire avec un ordre et une solennité qui leur inspire un profond respect.

Les Tînmelel, ainsi que les autres tribus masmoudiennes, croient fermement que la domination de leur secte renaîtra un jour pour embrasser tous les peuples de l'Orient et de l'Occident et pour remplir ainsi toute la terre. Le Mehdi le leur avait prédit, et ils ajoutent à cette promesse une foi entière.

Les Hintata. Dans l'organisation de l'empire almohade, cette tribu prenait rang à la suite des Hergha et des Tînmelel. Sa force numérique, sa bravoure et l'autorité qu'elle exerça sur les populations masmoudiennes à cause de la haute dignité de sou cheikh, Abou-Hafs-Omar-Ibn-Yahya, disciple du Mehdi, la mirent au-dessus des autres peuplades qui se rallièrent ensuite à

la même cause. Elle fonda, en Ifrikïa, la dynastie des Hafsides, comme nous le raconterons plus loin, et, pour la soutenir, ainsi que celle de Maroc, elle dépensa le sang d'une foule de ses guer

riers.

Un débris de ce reuple reste encore dans son ancien territoire et habite cette partie de la chaîne atlantique qui avoisine Maroc et à laquelle on donne le nom de Djebel-Hintata (la montagne des Hintata). Bien qu'il ne soit pas complètement indépendant, il n'est pas totalement asservi; aussi continue-t-il à exercer une certaine influence sur les autres peuplades de la même race; et cela d'autant plus facilement qu'il occupe une position presque inabordable d'où il domine la ville de Maroc.

Quand les Mérinides eurent subjugué les Masmouda et brisé les liens par lesquels la doctrine almohade attachait ces tribus. les unes aux autres, les Aulad-Younos, principale famille des Hintata, embrassèrent le parti du peuple vainqueur, à cause dú mécontentement que leur avaient inspiré les actes des derniers souverains de la famille d'Abd-el-Moumen. Par cette démarche, ils méritèrent les bonnes grâces de la dynastie mérinide, et AliIbn-Mohammed [-Ibn-Younos], le chef qui les commandait sous le règne de Youçof-Ibn-Yacoub, obtint l'amitié de ce monarque. Il périt, l'an 697 (1297-8) 1, victime des trames du secrétaire Ibn-el-Miliani. Cet homme forgea une lettre au nom du sultan et l'adressa au fils de ce monarque qui commandait à Maroc, lui ordonnant de faire mourir les chefs masmoudites détenus dans cette ville. Ali-Ibn-Mohammed fut un de ceux à qui la trahison d'El-Miliani coûta la vie. Le sultan apprit cette nouvelle avec la plus vive indignation et eut encore le regret de savoir que l'auteur du crime s'était soustrait à sa vengeance. Nous parlerons encore de cette affaire dans l'histoire du sultan Youçof-Ibn-Yacoub.

Lors de l'avènement du sultan [mérinide] Abou-Said, les Mas

La date de 697 nous est fournie par le Cartas et par Ibn-Khaldoun lui-même, dans son histoire des Mérinides. Celle du texte arabe est fausse, ainsi que celle donnée en note comme correction.

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