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s'étaient empressés de piller le camp et d'assassiner leur ancien ennemi Kanoun. L'armée almohade se rallia autour d'Abd-Allah, fils de Saîd, et rentra en Maghreb; mais, arrivée aux environs de Tèza, elle fut mise en déroute par les Mérinides, après avoir perdu son chef, Abd-Allah, qui fut tué dans la mêlée. Quand les fuyards atteignirent Maroc, on y proclama la souveraineté d'ElMorteda.

RÉGNE D'EL-MORTEDA, NEVEU D'EL-MANSOUR.

Quand les débris de l'armée almohade rentrèrent à Maroc, après la mort d'Es-Said, les Almohades s'empressèrent de prêter le serment de fidélité au cîd Abou-Hafs-Omar, fils du cîd AbouIbrahim-Ishac et neveu d'El-Mansour. Le nouveau souverain quitta Salé sur leur invitation, et, s'étant fait accompagner par les cheikhs des tribus arabes, il suivit le chemin de la capitale et rencontra, à Temsna, la députation des Almohades. Après avoir reçu de ces envoyés le serment de fidélité, il prit le titre d'ElMorteda (l'agréé) et donna à Yacoub-Ibn-Kanoun le commandement des Beni-Djaber. Il confirma aussi Yacoub-Ibn-Djermoun, oncle du précédent, dans le commandement des Arabes sofyanites, poste auquel ce chef venait d'être élevé par le choix de son peuple.

Arrivé dans la capitale, il choisit pour vizir Abou-MohammedIbn-Younos et fit emprisonner les domestiques d'Es-Said. Le cîd Abou-Ishac qui, après la défaite des Almohades, s'était rendu à Maroc en passant par Sidjilmessa, obtint la place de vizir et acquit, sur l'esprit de son frère El-Morteda, une influence sans bornes.

Aussitôt après la mort d'Es-Said, les Beni-Merin, conduits par Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack, enlevèrent le Ribat de Tèza au frère d'Abou-Debbous, le cîd Abou-Ali, qui s'enfuit alors à Maroc. En 647 (1249-50), ils s'emparèrent de Fez, ainsi que nous le raconterons dans l'histoire de ce peuple. La même année, Abou-'l-Cacem-el-Azéfi souleva la ville de Ceuta et en expulsa le gouverneur, Ibn-es-Chehîd, parent de l'émir Abou

Zékérïa, seigneur de l'Ifrikïa. Il y fit alors proclamer la souveraineté d'El-Morteda, ainsi que cela se verra exposé dans l'histoire des Hafsides et dans la notice de la famille Azéfi.

En l'an 649 (4254-2), Mouça-Ibn-Zian-el-Oungaçni et son frère Ali, chefs mérinides, arrivèrent à la cour d'El-Morteda et le poussèrent à la guerre contre la famille d'Abd-el-Hack. Le khalife y consentit et se mit en campagne; mais, lorsqu'il fut arrivé à Aman-Imelloulin, Yacoub-Ibn-Djermoun fit répandre le bruit que les deux partis avaient fait la paix. Cette nouvelle inspira à une portion des troupes almohades le désir de regagner ses foyers, et, comme elle décampa le lendemain, le reste de l'armée, frappé d'une terreur panique, s'enfuit sans coup férir. El-Morteda rentra dans sa capitale, et ayant appris que son vizir, Abou-Mohammed-Ibn-Younos, s'était mal conduit, il le renvoya, lui et tous ses gens, dans la montagne [des Hintata].

En 654 (1253-4), Ali-Ibn-Yedder abandonna la cour du sultan et s'enfuit dans le Sous où il leva l'étendard de la révolte. Un corps de milice qu'El-Morteda fit marcher contre lui, rentra sans avoir pu l'atteindre; aussi, la puissance du chef insurgé devint très formidable l'année suivante. Effectivement, il rallia à sa cause les Beni-Hassan ainsi que les Chebanat, et, s'étant muni de plusieurs charges d'argent, il alla mettre le siége devant Taroudant. L'approche d'une armée almohade qu'El-Morteda avait envoyée contre lui, l'obligea à décamper; mais, aussitôt que ces troupes se furent éloignées, il revint occuper la position qu'il avait abandonnée. On intercepta alors un billet adressé par lui à son parent Ibn-Younos, ainsi qu'une réponse écrite de la main de celui-ci. Cette découverte donna lieu à l'emprisonnement d'Ibn-Younos et de ses enfants et finit par lui coûter la vie.

Dans cette année, El-Morteda attira à la capitale les cheikhs de la tribu des Kholt et les fit tous mourir, à cause de leur conduite lors de la mort d'Es-Said. Vers la même époque, Abou-'lHacen-Ibn-Yalou, accompagné de Yacoub-Ibn-Djermoun, se porta vers Temsna à la tête d'un corps almohade, afin de faire l'inspection des tribus arabes; et, d'après les ordres d'ElMorteda, il chargea de fers Yacoub-Ibn-Mohammed-Ibn-Caitoun,

cheikh des Beni-Djaber, ainsi qu'Ibn-Moslem, lieutenant de celuici, et les envoya à Maroc.

En 653 (1255), El-Morteda sortit de sa capitale avec l'intention de reprendre sur les Beni-Merîn la ville et la province de Fez. Parvenu à Beni-Behloul, il rencontra l'ennemi sous les ordres d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack, et la fortune s'étant déclarée contre les Almohades, il ramena à Maroc les débris de son armée. Depuis lors, il n'essaya plus d'inquiéter les Beni-Merîn [et borna ses efforts à la défense du territoire qui lui restait].

[Vers ce temps], El-Azéfi s'empara du gouvernement de Ceuta et Ibn-el-Amîr de celui de Tanger. Nous reparlerons ailleurs de ces événements.

En 655 (1257), El-Morteda envoya en Sous une armée almohade commandée par Abou-Mohammed-Ibn-Aznag; mais AliIbn-Yedder marcha contre elle, la mit en fuite et raffermit ainsi son autorité dans cette province. La même année, Abou-YahyaIbn-Abd-el-Hack s'empara de Sidjilmessa et en fit prisonnier le gouverneur, Abd-el-Hack-Ibn-Azkou. Il dut cette conquête à la trahison d'un serviteur d'Ibn-Azkou, appelé Mohammed et surnommé El-Kitrani parce que son père avait fait le commerce du goudron (kitran) aux environs de Salé. Cet homme, étant parvenu à devancer tous ses camarades dans la faveur de son maître, commença à écouter les suggestions de l'ambition et songea à usurper le commandement. Il gagna alors la bienveillance des Arabes makiliens par des témoignages de bonté et par des services qu'il leur rendit auprès du gouverneur, et réussit à s'assurer leur coopération au projet qu'il venait de former. Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack, auquel il avait secrètement promis de livrer la ville, à condition d'en être nommé le commandant, approcha alors avec ses bandes et envoya une députation auprès d'Ibn-Azkou sous prétexte de lui parler d'affaires. ElKitrani profita de cette occasion pour se saisir de son maître et le livrer à Abou-Yahya. Celui-ci emmena son prisonnier et le laissa ensuite partir pour Maroc; mais, avant de s'éloigner de Sidjilmessa, il y installa une garnison mérinide avec El-Kitrani pour gouverneur. Après la mort d'Abou-Yahya, El-Kitrani

chassa ces troupes et proclama de nouveau, à Sidjilmessa, la souveraineté d'El-Morteda. Ce prince agréa les excuses et les conditions qu'El-Kitrani lui offrit et le laissa en possession de la ville, se réservant seulement l'autorité judiciaire. Il y envoya, en conséquence, Abou-Amr-Ibn-Haddjadj pour y remplir les fonctions de cadi et le fit accompagner par un membre de la famille royale qui devait habiter la citadelle. Celui-ci emmena avec lui quelques gardes commandés par un officier de la milice chrétienne. Ibn-Haddjadj trama alors la mort d'El-Kitrani et accomplit ce projet avec l'aide du capitaine chrétien; il remit ensuite le commandement de la ville au prince royal qui y fit aussitôt reconnaître l'autorité d'El-Morteda.

Sur ces entrefaites, la puissance des Mérinides prit un grand accroissement. Ils allèrent même dresser leurs tentes dans le territoire de Maroc, quand El-Morteda fit marcher contre eux une armée almohade commandée par Yahya-Ibn-Ouanoudîn. A l'approche de ces troupes, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, le chef mérinide, s'éloigna rapidement avec les siens; mais, arrivé sur le bord de l'Omm-Rebiâ, il fit volte face et entama le combat. Les Almohades, abandonnés sur le champ de bataille par leurs alliés, les Beni-Djaber, furent obligés d'opérer leur retraite. Cette rencontre eut lieu à Omm-er-Ridjlein. Ali-Ibn-Abi-Ali, cheikh des Kholt, passa aux Mérinides et les accompagna à leurs cantonne

ments.

Yacoub-Ibn-Djermoun, auquel El-Morteda avait donné le commandement des Sofyan, tua son neveu, Yacoub-Ibn-Kanoun 3, qui avait voulu lui disputer le pouvoir; mais, quelque temps après, il tomba lui-même sous les coups de Masoud et Ali, frères de sa victime. Son fils Abd-er-Rahman reçut alors d'El-Morteda

Le texte porte Temsna; mais on va voir que les Mérinides, en se retirant, arrivèrent à l'Omm-Rebiâ. Ils s'étaient donc avancés au sud de celte rivière, bien au-delà de Temsna qui en est au nord. Nous verrons, dans leur histoire, qu'à cette époque ils étaient allés se montrer aux environs de Maroc.

2 Dans le t. 1, p. 62, l'auteur appelle ce personnage Mohammed-Ibo

Kanoun.

le commandement de la tribu. Le nouveau chef, après avoir pris pour lieutenants Youçof-Ibn-Ouarzeg et Yacoub - Ibn-Alouan, s'abandonna aux plaisirs et finit par détrousser les voyageurs et passer aux Mérinides. El-Morteda le remplaça par Abou-ZemamObeid-Allah, fils de Djermoun; mais il reconnut bientôt l'incapacité de ce chef et lui substitua Masoud-Ibn-Kanoun'.

Aouadj-Ibn-Hilal, émir des Kholt, abandonna le parti des Beni-Merîn et revint faire sa soumission à El-Morteda. Admis alors au nombre des amis du khalife, il fixa son séjour à Maroc. Le bon accueil fait à Aouadj décida Abd-er-Rahman, fils de Yacoub-Ibn-Djermoun, à se rendre aussi à Maroc. El-Morteda s'empressa alors de faire arrêter à la fois Aouadj, Abd-er-Rahman et les deux lieutenants de celui-ci, et de les livrer à Ali-IbnAbi-Ali, [émir des Kholt,] qui leur ôta la vie. Masoud-IbnKanoun conserva le commandement des Sofyan et Ismaïl-IbnYacoub-Ibn-Caitoun obtint celui des Beni-Djaber.

En l'an 660 (1261-2), lorsque Yahya-Ibn-Ouanoudîn rentra à Maroc, après la bataille d'Omm-er-Ridjlein, une armée almo→ hade, sous les ordres de Mohammed-Ibn-Ali-Azelmat, pénétra dans le Sous, mais Ali-Ibn-Yedder marcha à la rencontre de ces troupes et les mit en fuite, après en avoir tué le commandant. Le vizir Abou-Zeid-Ibn-Iguît reçut alors d'El-Morteda la conduite de la guerre contre Ibn-Yedder et partit pour le Sous à la tête d'un corps des milices, dans lequel se trouvait un capitaine chrétien nommé Don Lop. Plusieurs combats se livrèrent et toujours au désavantage des Almohades dont la bravoure et la force numérique furent neutralisées par les lenteurs de Don Lop et par son insubordination. El-Morteda, auquel le vizir écrivit pour s'en plaindre, manda le chrétien à la cour et le fit guetter et assassiner 3 en route par Abou-Zeid-Ibn-Yahya-el-Guedmïoui.

↑ L'auteur ajoute ici son frère (akhihi); il aurait du écrire son neveu (ibn akhihi).

• Peut-être Don Lopez.

3 Le sultan n'osait pas indisposer ses troupes chrétiennes en punissaut leur chef par la voie régulière : il le fit donc assassiner.

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