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S'étant ensuite dirigé contre la ville de Ghodjdama dont les habitants, après s'être rendus et avoir reçu pour gouverneur le cheikh almohade, Abou-Mohammed-Atïa, venaient de se mettre en révolte et massacrer cet officier, il la prit d'assaut et la livra à la fureur du soldat. Revenu à Tînmelel, il y resta jusqu'à l'affaire d'El-Bechîr et de la séparation opérée entre les Almohades et les hypocrites 1.

Ayant alors formé le projet de porter la guerre chez les Lemtouna, peuple auquel les Almohades donnaient le nom d'ElDjichem, il marcha contre eux à la tête des Masmouda, les mit en déroute aux environs de Guîg et les poursuivit jusqu'à Aghmạt, où il trouva tous les contingents lemtounides rassemblés sous les ordres de Beggou 3 -Ibn-Ali-Ibn-Youçof et d'Ibrahim-Ibn-Taâbbast. Dans le combat qui s'ensuivit, celui-ci perdit la vie, et les Almohades repoussèrent leurs adversaires jusqu'à Maroc. L'armée du Mehdi, composée d'environ quarante mille fantassins et quatre cents cavaliers, prit alors position à El-Bahfra et mit AliIbn - Youçof dans la nécessité de lever encore une nouvelle armée afin de pouvoir les déloger. Le quarantième jour de leur arrivée, il les attaqua auprès de la porte d'Aîlan et les força à prendre la fuite après leur avoir tué et fait prisonnier une foule de guerriers. El-Bechîr, le compagnon du Mehdi, ne reparut plus, et les Heilana furent presque tous exterminés. Dans cette journée, Abd-el-Moumen déploya la plus grande bravoure.

1 Ibn-Khaldoun se donne bien garde de nous raconter cette affaire : il avait à ménager les Hafsides. Ibn-el-Athîr nous en fait connaître tous les détails. Voy. l'Appendice n° v.

* Dans les manuscrits, on trouve ce mot écrit, sans voyelles, ainsi : djchm et hchm, comme dans le texte arabe imprimé. La première leçon me paraît être la bonne : le mot eddjichem s'emploie en berbère, ainsi que le mot tahhan en arabe, comme un terme d'injure. Le mot analogue en français s'applique au mari dont la femme se prostitue à un autre homme. La graude liberté dont les femmes jouissaient chez les Almoravides a été sans doute la cause qui porta les premiers Almohades, gens grossiers et fanatiques, à en désigner les maris par ce sobriquet.

3 Variante: Meggher.

Il mourut sur le champ de bataille.

Quatre mois plus tard, le Mehdi mourut. Il avait donné à ses partisans le nom d'Almohades (unitaires), afin de déconsidérer les Lemtouna [Almoravides] auxquels il reprochait un éloignement pour l'interprétation allégorique du Coran qui les avait conduits à l'anthropomorphisme. Il menait une vie très-sobre et n'approchait jamais des femmes. Il portait un vieux manteau rapiéceté, et, par la mortification des sens, comme par la pratique de la dévotion, il était parvenu à un haut degré de perfection spirituelle. La seule opinion hétérodoxe qu'on lui attribue est celle de l'impeccabilité de l'imam, doctrine dans laquelle il se rencontrait avec les Chiîtes imamiens 1.

REGNE D'ABD-EL-MOUMEN LIEUTENANT ET SUCCESSEUR DU

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MEHDI.

En l'an 522 (1128), le Mehdi mourut après avoir légué l'autorité souveraine à son principal disciple, Abd-el-Moumen-IbnAli, personnage dont nous avons déjà parlé dans la notice des Koumïa. On l'enterra dans la mosquée attenant à la maison qu'il habitait à Tînmelel, et comme on craignait que la désunion ne se mît parmi les Almohades à cause de la jalousie que la nomination d'un étranger pourrait causer aux Masmouda, l'on s'abstint de publier la mort de leur chef jusqu'à ce que tous les cœurs fussent bien pénétrés de la foi unitaire. Au rapport des historiens, ce secret important fut gardé pendant trois années. Dans l'intervalle, ses disciples intimes prétendaient qu'il était malade, et ils continuèrent à célébrer la prière selon la forme qu'il avait établie, et à reciter, comme de son vivant, les offices journaliers et les sections du Coran. Ils firent aussi accroire au peuple que leur maître avait concédé à eux seuls le droit d'entrer chez lui pour le soiguer. C'était là, autour de son tombeau et dans la présence de sa sœur Zeineb, que les survivants des dix

Voy. l'Appendice n° 1.

• Voy. p. 252 du premier volume de cet ouvrage.

principaux disciples se rassemblaient pour concerter tous leurs projets; et quand ils virent, enfin, leur autorité assurée et les esprits complètement façonnés à la nouvelle doctrine, ils jetèrent le masque et placerent Abd-el-Moumen, l'exécuteur de. toutes leurs décisions, à la tête de la nation. Le cheikh AbouHafs, qui avait eu la conduite de cette grave affaire, obtint alors des Hintata et des autres tribus masmoudiennes leur consentement à une nomination qui, peu de temps auparavant, les aurait vivement offensés. En annonçant au public la mort du Mehdi, on déclara qu'il avait fait choix d'Abd-el-Moumen pour lui succéder et que tous les compagnons y avaient donné leur approbation. Yahya-Ibn-Yaghmor prit alors la parole et déclara que l'imam terminait toujours sa prière par ces mots : « Dieu tout>> puissant! je t'implore, en grâce, de verser tes faveurs sur » l'excellent disciple. » Ce témoignage ayant entraîné la conviction de toute l'assemblée, on décida que le serment de fidélité serait prêté au nouveau chef dans la ville de Tînmelel.

Abd-el-Moumen prit le commandement des Almohades en l'an 524 (1130), et entreprit aussitôt une série d'expéditions lointaines. Deux années plus tard, il soumit le Derâ, après avoir remporté de grands avantages dans la province de Tedla. Ensuite, il prit d'assaut la ville de Tachâbout1. Deux contingents ghomariens, les Beni-Ounam et les Beni-Mezerda, y furent passés au fil de l'épée avec leur chef Abou-Bekr-Ibn-Mézeroual 3. Alors, les Berbères accoururent en troupes de toutes les parties du Maghreb, afin d'embrasser la cause des Almohades et se soustraire à la domination des Lemtouna.

En l'an 533 (1138-9), Tachefin, fils du souverain almoravide, Ali-Ibn-Youçof, reçut de son père l'ordre de marcher contre les insurgés. Précédé d'une avant-garde formée des contingents.

4 Variante: Tasghimout. Cette localité nous est inconnue.

• Variantes: Ounar, Ouarenti.

3 Mez-Zeroual signifie fils de Zeroual. Notre auteur a déjà mentionné cette tribu sous le nom de Beni-ou-Zeroual. Voy. p. 134 de ce volume. En berbère, les mots ou, mis et ammis signifient fils.

guezoulites, il traversa la province de Sous et trouva les Almohades au pied de leur montagne, d'où ils étaient descendus pour lui livrer bataille. A cet aspect, les Lemtouna prirent la fuite sans coup férir, de sorte que Tachefîn dut rebrousser chemin. Les Guezoula passèrent alors du côté d'Abd-el-Moumen.

L'année suivante, Abd-el-Moumen commença la célèbre campagne de sept ans, et ne rentra à Tînmelel qu'après avoir soumis les deux Maghrebs. En quittant Tînmelel pour faire cette expédition, il conduisit ses guerriers de montagne en montagne jusqu'à ce qu'il atteignit celles des Ghomara. Pendant toute cette marche, ses troupes trouvèrent des fruits et des bois de chauffage en abondance; leur nombre même fut augmenté par une foule de déserteurs qui abandonnaient, à chaque instant, les drapeaux de Tachefin dont l'armée suivait tous les mouvements des Almohades, sans toutefois quitter la plaine. Les contribuables du Maghreb furent, enfin, tellement accablés par les maux de la guerre et par la disette, qu'ils ne purent plus acquitter leurs impôts; et les musulmans de l'Espagne, aussi malheureux que leurs frères de l'Afrique, eurent à subir les attaques sans cesse renouvelées du roi chrétien.

En 537 (1142), eut lieu la mort d'Ali-Ibn-Youçof, émir des Lemtouna et roi des Adouatein1. Son fils et successeur Tachefîn était alors engagé dans la longue campagne dont nous venons de parler, et, précisément à cette époque, il se trouvait cerné par l'ennemi. A la suite d'une grave mésintelligence qui éclata alors entre les Lemtouna et les Messoufa, plusieurs émirs de cette dernière tribu, tels que Berraz 2-Ibn-Mohammed, Yahya-IbnTakaght et Yahya-lbn-Ishac, surnommé Anguemar, gouverneur de Tlemcen, passèrent du côté d'Abd-el-Moumen avec les troupes sous leurs ordres.

Les Lemtouna venaient de mettre hors de loi, non-seulement

Ce mot signifie les deux rivages et s'emploie pour désigner le littoral de l'Afrique septentrionale et celui de l'Espagne. Voy. l'Index géographique du tome 1.

2 Variante: Berran.

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les transfuges messoufiens, mais aussi tous les autres membres de cette tribu, quand Abd-el-Moumen, poursuivant toujours sa carrière victorieuse, alla mettre le siége devant Ceuta. Cette ville fit une vigoureuse résistance, grâce à l'énergie du gouverneur, le célèbre cadi Eïad, dont la piété, le courage et le rang comme magistrat lui avaient mérité ce haut commandement. S'étant ainsi attiré la haine implacable du gouvernement [almohade], il se vit plus tard éloigné de Ceuta pour passer le reste de ses jours dans la province de Tedla et remplir auprès des tribus nomades les fonctions de cadi.

Abd-el-Moumen soumit ensuite les Ghîatha et les Botouïa dans leurs montagnes; puis, étant descendu vers le Molouïa, il réduisit les forteresses de cette région et pénétra chez les Zenata. Ses généraux, Youçof-Ibn-Ouanoudîn et Ibn-Yermor, conquirent alors les tribus mediounites et mirent en déroute une armée zenato-almoravide que Mohammed-Ibn-Yahya-Ibn-Fannou, gouverneur de Tlemcen, avait menée de cette ville à leur rencontre. A la suite de cette bataille, dans laquelle Ibn-Fannou perdit la vie, les Zenata s'en retournèrent dans leur pays. Ce fut alors que Tachefîn confia le gouvernement de Tlemcen à Abou-BekrIbn-Mezdeli.

Vers la même époque, Abd-el-Moumen reçut, dans le Rif, la visite d'Abou-Bekr-Ibn-Makhoukh et de Youçof-Ibn-Yedder, émirs des Beni-Ouemannou, et mit à leur disposition la colonne almohade que commandaient Ibn-Yaghmor et Ibn-Ouanoudîn. Les Beni-Abd-el-Ouad et les Beni -Iloumi perdirent beaucoup de monde dans un conflit avec ce corps qui portait le ravage dans leur pays, mais, ayant ensuite obtenu un renfort de troupes lemtouniennes, auxquelles s'était joint Ez-Zoborteir, commandant de la milice chrétienne, ils allèrent occuper une forte position à Mindas. Ayant alors rallié les autres Zenata et Beni-Iloumi, ainsi que les Beni-Abd-el-Ouad commandés par Hammama-IbnMotahher, les Beni-Ingacen, les Beni-Ourcîfan et les Beni-Toud

1 Ce nom s'écrit ordinairement Yaghmor, avec un ghain à la place da ra.

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