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parmi eux. Dans ce récit, nous reproduirons les divers renseignements que nous sommes parvenu à rassembler.

HISTOIRE DES BERGHOUATA ET DE LEUR EMPIRE.

Les Berghouata [ou Béreghwata]', la plus ancienne nation de la race masmoudienne, se firent remarquer, dans les premiers temps de l'islamisme, par leur nombre et leur puissance. Ils étaient partagés en plusieurs fractions qui se distinguaient des autres tribus masmoudiennes par la localité où ils avaient pris leur séjour. En effet, ils habitaient les plaines du Temsna et cette partie du littoral qui s'étend depuis Salé et Azemmor jusqu'à Anfa et Asfi. Vers le commencement du second siècle de l'hégire, ils avaient pour chef un nommé Tarîf-Abou-Saleh qui, de même que Mazouz-Ibn-Talout, avait occupé un haut commandement dans l'armée de Meicera-el-Hakîr le matgharien, célèbre partisan des doctrines sofrites. Lors de la chute de Meicera et la ruine de son parti, Tarîf resta dans le Temsna et y soutint encore la cause de ces sectaires. L'on rapporte même qu'il se donna pour prophète et qu'il promulgua un code de lois à l'usage de son peuple.

Après sa mort, le commandement passa à son fils Saleh lequel l'avait accompagné dans les expéditions de Meicera. Saleh s'était d'abord fait remarquer par son savoir et sa vertu ; mais, ensuite, il rejeta le Coran, s'arrogea le caractère de prophète et enseigna à son peuple ce système religieux auquel, après sa mort, ils montrèrent tant d'attachement.

On connaît, par les écrits des historiens, la nature des doctrines qu'il essaya de propager. Ayant assuré ses compatriotes

1 Peut-être devons-nous regarder les Berghouata comme le même peuple qu'une inscription publiée par Orelli et une autre découverte à Ténès nomment Baquates. Voy. p. 476 de la Description de l'Afrique ancienne par d'Avezac, dans l'Univers pittoresque.

Voy. t. 1, pp. 216, 237, 360.

qu'il avait reçu un coran, il leur en récita quelques sourates (chapitres). Tel chapitre de ce livre s'appelait sourate du coq; tel autre, sourate du chameau; il y avait aussi les sourates de l'éléphant, d'Adam, de Noé et de plusieurs des prophètes, celie de Harout et Marout ', celle d'Iblis [Satan] et celle des merveilles du monde. Au dire de ces sectaires, leur coran renfermait la science par excellence. L'auteur y défendait certaines choses et en autorisait d'autres ; il y parlait, tantôt en législateur et tantôt en historien. Son peuple lisait des portions de ce livre aux heures de la prière et en désignait l'auteur par le nom de Saleh-el

Moumenin 2.

Nous donnons ces renseignements sur l'autorité d'El-Bekri 3 qui les tenait lui-même de Zemmor-Ibn-Saleh-Ibn-Hachem-IbnOuerrad. Zemmor avait été envoyé en mission auprès d'ElHakem-el-Mostancer, khalife de Cordoue, en l'an 352 (963), par Abou-Eïça-Ibn-Abi-'l-Ansar, roi des Berghouata.

Voici [en abrégé] le récit qu'il fit de vive voix [en langue berbère] et qui fut interprété, en entier, par Daouerd Ibn-Omar-el-Mestaci. « Saleh se mit en avant pour la première >> fois sous le khalifat de Hicham-Ibn-Abd-el-Melek, l'an 127 » (744-5) de l'hégire. Quelques gens prétendent qu'il fit son

↑ Harout et Marout, anges déchus, furent enfermés dans un puits à Babel où ils sont encore et où ils enseignent la magie aux amateurs de cet art. Avant de commencer leurs leçons, ils adressent aux élèves ces paroles d'avertissement: Nous ne sommes que des tentateurs. Coran, sourate n, verset 96, et la note de la traduction anglaise.

Voy. le

• Dans le Coran, sourate LXVI, verset 4, nous lisons que le Seigneur est le protecteur du Prophète auquel l'ange Gabriel et le vertueux parmi les croyants (saleh-el-moumenin) et les anges prêteront aussi leur appui. Les Berghouata, ne sachant l'arabe qu'imparfaitement, prirent les mots saleh-el-moumenin pour le nom d'un individu.

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a Voy. Notices et Extraits, t. XII, p. 578 et suiv. Ibn Khaldoun abrége les renseignements d'El-Bekri, mais il en ajoute d'autres. • Variantes: Dawoud, Dzeloud.

5 Il y a ici une erreur de date: le khalife Hicham-Ibn-Abd-el-Melek mourut en l'an 125 (743) Merouan-Ibn-Mohammed, dernier khalife des Oméïades de l'Orient, monta sur le trône vers l'époque indiquée dans le recit qu'Ibn-Khaldoun reproduit ici.

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>> apparition dans les premiers temps de l'hégire et que ce fut » par esprit d'opposition qu'il publia cette doctrine; car il tâcha » d'imiter le Prophète dans tout ce qu'il avait entendu raconter » de lui. La première de ces deux époques est cependant la véri» table. Ensuite, il se donna pour le Mehdi qui doit apparaître » vers la fin du monde. Il disait aussi que Jésus serait son >> compagnon et prierait derrière lui [c'est-à-dire le reconnaî>> trait pour chef de la religion chrétienne]. A ces doctrines, »> il ajoutait que son nom, en arabe, était Saleh (saint); en » Syriac, Malek (roi); en Persan, [danichmend] savant; » en Hébreu, Robbia (mon seigneur), et, en Berbère, Ourya, >> mot qui signifie celui après lequel il n'y a plus de pro» phète. Après avoir régi son peuple pendant quarante-sept >> ans, il partit pour l'Orient, en leur promettant de revenir au » milieu d'eux, sous le règne de son septième successeur. Il >> chargea ensuite son fils El-Yas de propager cette religion et >> de vivre en bonne intelligence avec le prince oméïade qui gouvernait l'Espagne. Il lui ordonna, enfin, de faire ouverte>>ment profession de sa doctrine aussitôt que le parti des néophites deviendrait puissant. El-Yas cacha dans son cœur les principes impies que son père lui avait enseignés, et, déguisant » son infidélité sous le masque de l'islamisme, il afficha une >> grande austérité de mœurs et un profond mépris pour les » biens de ce monde. Il mourut après un règne de cinquante >> ans. Younos, son fils et successeur, fit ouvertement profes>>sion de la nouvelle religion, et, dans son zèle de prosély» tisme, il ôta la vie à tous ceux qui hésitaient de se convertir.

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Dans tous les manuscrits d'Ibn-Khaldoun et d'El-Bekri que nous avons consultés, le mot persan danichmend ou danichguir, équivalent du mot arabe álem (savant), est omis.

• Dans le texte arabe de ce passage, il faut lire Ouryaora à la place d'Ourya et chaï à la place de nebi. Cette dernière correction est autorisée par les manuscrits de la géographie d'El-Bekri. La leçon Ouryaora se retrouvera un peu plus loin avec une note qui en expliquera la signification. En faisant ces corrections, le texte d'Ibn-Khaldoun fournira le sens suivant: celui après lequel il n'y aura plus rien.

» Emporté par son ardeur fanatique, il dévasta la province >> de Temsna, dont trois cent quatre-vingts villes, dit-on, furent >> détruites par son ordre et les habitants passés au fil de l'épée, >> parce qu'ils avaient résisté à ses volontés. Sept mille sept >>cent soixante-dix malheureux furent égorgés à l'endroit » qui porte le nom de Taméloukaf, haute pierre qui s'élevait >> au milieu de la route. » Zemmor ajoute: «< Younos fit » le voyage de l'Orient et accomplit le pèlerinage, devoir dont >> aucun membre de sa famille ne s'acquitta, ni avant ni après » lui. Il régna quarante-quatre ans et transmit l'autorité à Abou>> Ghofaïr-Mohammed, fils de Moâd, fils d'Eliça, fils de Saleh, » fils de Tarîf. Le nouveau souverain parvint à diriger les Ber»ghouata au gré de ses désirs; il fit profession de la religion de >> ses pères, et atteignit à une grande puissance. Il y eut entre lui » et les Berbères plusieurs batailles et journées célèbres. C'est à >> ces combats que Saîd-Ibn-Hicham, le masmoudien, fit allusion » dans les vers suivants :

Femme, ne pars pas encore; reste et raconte-nous une nouvelle digne de foi.

Voilà une nation qui périt égarée! frustrée dans son espoir, puisse-t-elle ne jamais s'abreuver dans une eau limpide !

Ils disent Abou-Ghofaïr est notre prophète; que Dieu couvre d'opprobre la mère des menteurs !

N'as-tu pas vu la journée de Beht? N'as-tu pas entendu les gémissements qui s'élevaient sur les pas de leurs chevaux?

Gémissements de femmes éplorées dont les unes avaient perdu leurs enfants, pendant que les autres hurlaient d'effroi et laissaient échapper le fruit de leur sein.

Au jour de la résurrection, quand les nations se hâleront devant leur juge, les habitants de Temsna sauront

Que Younos sera là avec les fils de son père, menant à sa suite les Berbères égarés. [Les ministres de la vengeance divine leur diront alors :]

Au milieu du marché, selon El-Bekri.

Dans le texte arabe, il faut lire El-Kadibina.

» C'est donc là Ouryaora, chef des orgueilleux? Que l'enfer

» l'écrase, lui et son peuple!

» Ce jour-ci ne sera pas pour vous un jour [de triomphe], >> bien que [vous triomphez] dans les nuits [d'ignorance], étant » partisans de Meicera ? !

D

» Abou-Ghofaïr épousa quarante-quatre femmes et en eut au» tant d'enfants ou même davantage. Il mourut vers la fin du » troisième siècle, après un règne de vingt-neuf ans. Son fils et » successeur, Abou-'l-Ansar-Abd-Allah, suivit les mêmes » usages, et, bien qu'il fût d'un caractère fort doux, il sut im» poser tant de respect aux princes contemporains, qu'ils culti » vèrent son amitié et lui envoyèrent de riches cadeaux. Il por» tait pour habillement un manteau et un haut-de-chausse, mais » il se garda de rien mettre qui fût façonné avec l'aiguille. Ni » lui, ni personne dans son pays, à l'exception des étrangers, »> ne portait le turban. Il était fidèle à sa parole et prompt à se>> courir tous ceux qui imploraient son appui. Il mourut en l'an » 341 (952-3), après avoir régné quarante-quatre ans. On l'en>> terra à Tameslakht où son tombeau se voit encore. Son fils » Abou-Mansour-Eïça monta alors sur le trône, étant âgé de >> vingt-deux ans. Il suivit les pratiques de ses aïeux et se » donna même pour prophète et devin. La haute puissance dont » il parvint à jouir lui assura l'obéissance des autres tribus du » Maghreb. » →→→ Au rapport de Zammor, le père de ce prince, étant sur son lit de mort, lui adressa ces paroles: << Mon cher

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▲ Ouryaora est une altération du terme berbère Ourillara (sans pareil, admirable). Cette expression, qui est encore employée, se compose d'our (ne), illa (il a été) et ara (pas), c'est-à-dire non-existant, introuvable.

En traduisant ce dernier vers, dont, au reste, nous ne garantissons pas le sens, nous avons adopté la leçon fournie par la note du texte arabe. Dans les manuscrits d'El-Bekri, on lit, de plus, riddetakom à la place de yaumakom. M. Quatremère a rendu ainsi ce vers, en suivant les leçons rapportées par El-Bekri: Votre apostasie ne date pas d'au jourd'hui, mais du temps où vous étiez soumis à Maïsarah.

3 El-Bekri dit : « il ne porta pas de chemise. >> lu, mal-à-propos, mahit à la place de camis.

T.H.

Ibn-Khaldoun a

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