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cette nation forte et nombreuse, se composait de deux villes séparées par le Nil [le Niger] et formait une des plus grandes cités du monde et des mieux peuplées. L'auteur du Livre de Roger en fait une mention spéciale ainsi que l'auteur des Routes et Royaumes 2. L'on rapporte que, du côté de l'Orient, les Ghana avaient pour voisins les Sousou, ou Ceuceu.

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Après eux, on trouve successivement les Melli, les Kaokao, ou Kaghou, et les Tekrour. En l'an 796 (1393-4), le cheikh Othman, mufti des habitants de Ghana et leur personnage le plus distingué par le savoir, la piété et la haute renommée, vint en Egypte avec sa famille dans l'intention de faire le pèlerinage. Ce savant docteur m'apprit alors qu'on donnait aux Tekour le nom de Zeghaï et aux Melli le nom d'Ankarïa.

Le royaume de Ghana était tombé dans le dernier affaiblissement vers l'époque où l'empire des porteurs du litham [les Almoravides] commençait à devenir puissant; aussi, ce dernier peuple, qui habitait immédiatement au nord des Ghana, du côté du pays des Berbères, étendit sa domination sur les Noirs, dévasta leur territoire et pilla leurs propriétés. Les ayant alors soumis à la capitation, il leur imposa un tribut et porta un grand nombre d'entre eux à embrasser l'islamisme. L'autorité des souverains de Ghana s'étant anéantie, leurs voisins, les Sousou, subjuguèrent ce pays et réduisirent les habitants en esclavage.

Plus tard, la population de Melli prit un tel accroissement qu'elle se rendit maîtresse de toute cette région et subjugua les Noirs des contrées voisines. Ayant vaincu les Sousou, elle occupa tous les états qui formaient cet ancien royaume et étendit sa domination sur le royaume de Ghana jusqu'à l'Océan atlantique, du côté de l'Occident. Ils professaient l'islamisme, et l'on dit que le premier d'entre eux qui embrassa cette religion fut un roi appelé Bermendana. C'est ainsi que le cheikh Othman pro

1 Voy. vol. 1, page 186, note.

? En Arabe, El-Meçalek ou el-Memalek. C'est la géographie d'AbouObeid-el-Bekri.

nonçait son nom. Bermendana fit le pèlerinage de la Mecque, et les rois, ses successeurs, imitèrent son exemple. Le plus puissant de ces monarques fut celui qui soumit les Sousou, occupa leurs villes et leur enleva l'autorité souveraine. Il se nommait MariDjata. Chez eux, le mot mari veut dire émir descendu d'un sultan; Djata signifie lion, et Teguen, petit-fils1. Ce roi, dont nous n'avons pas appris la généalogie, régna vingt-cinq ans, à ce qu'on nous a rapporté. Son fils Mença-Ouéli lui succéda. Mença, dans leur langage, veut dire sultan et Quéli est l'équivalent d'Ali. Mença-Ouéli était un de leurs plus grands rois. Il fit le pèlerinage pendant le règne d'Ed-Daher-Bibers [le sultan mamlouk]. De son frère et successeur Ouati, l'autorité passa à un troisième frère nommé Khalifa, lequel était faible d'esprit et ne s'occupait qu'à tirer de l'arc. Comme il avait l'habitude de lancer des flèches sur les passants et de les tuer de gaité de cœur, le peuple se souleva contre lui et le mit à mort. AbouBekr, fils de la fille de Mari-Djata, succéda à l'empire. On le choisit pour roi d'après le principe des nations barbares qui mettent la sœur [du monarque décédé] ou le fils de sa sœur en possession [du trône]. Nous n'avons pas appris la généalogie paternelle de ce prince.

A są mort, un affranchi de la famille royale, nommé Sakoura, s'empara du pouvoir. Le cheikh Othman nous apprit que, dans leur langue, ce nom se prononce Sebkera. L'usurpateur fit le pèlerinage sous le règne d'El-Mélek-en-Nacer et fut tué à Tadjora pendant qu'il était en route pour rentrer dans ses états. Le royaume de Melli prit un grand accroissement sous l'administration de ce souverain, et les peuples voisins furent subjugués par ses armées. Il s'empara aussi de la ville de Kaokao. Ses possessions s'étendaient depuis l'Atlantique et Ghana, du côté de l'Occident, jusqu'au pays de Tekrour, du côté de l'Orient. Le royaume de Melli devint alors redoutable aux autres peuples nègres et acquit une telle importance que les marchands du Maghreb et de l'Ifrikïa allèrent y faire le commerce. El-Haddj-Younos, inter

« Ces mots appartiennent à la langue mandingue. » →→→ (Cooley.)

prète tekrourien, rapporte que Kaokao fut pris par Saghmendja, un des généraux de Mença-Mouça.

Sakoura eut pour successeur un fils du sultan Mari-Djata, nommé Gao, lequel transmit le pouvoir à son fils MohammedIbn-Gao. L'autorité passa des enfants de Mari-Djata à un fils de sa sœur, nommé Abou-Bekr.

Mença-Mouça, fils et successeur d'Abou-Bekr, se distinguait par sa puissance et par la sainteté de sa vie. Telle fut la justice de son administration que le souvenir en est encore vivant. Il fit le pèlerinage en l'an 724 (1324), et, ayant rencontré à la Mecque le poète espagnol, Abou-Ishac-Ibrahîm-es-Saheli, mieux connu sous le nom de Toueidjen, il l'emmena avec lui dans le pays des Noirs. Dès lors, Abou-Ishac jouit de la faveur toute particulière du sultan et la transmit comme un héritage à ses fils, lesquels la conservent encore. Ils établirent leur séjour à Oualaten, lieu situé sur cette partie de la frontière mellienne qui regarde le Maghreb.

Abou-Abd-Allah-el-Mâmer-Ibn-Khadidja-el-Koumi, descendant d'Abd-el-Moumen et un de nos amis, rencontra MençaMouça qui revenait de la Mecque. El-Mâmer s'était montré dans le Zab où il avait travaillé à former un parti en faveur du Fatemide attendu 2; il avait même recruté une bande d'Arabes avec laquelle il faisait des courses dans les pays voisins. Le seigneur de Ouargla, s'étant emparé de lui par une ruse, le mit en prison d'où il le relâcha plus tard. El-Mâmer s'enfonça dans le Désert et alla demander au sultan Mença-Mouça un corps de troupes afin de se venger. Ayant alors appris que ce monarque était parti pour le pèlerinage 3, il se fixa à Ghadams pour y attendre son retour. Comme Mença-Mouça était un puissant souverain dont l'autorité s'étendait jusqu'au Désert qui avoisine Ouargla, ElMâmer espérait obtenir de lui assez de secours pour vaincre ses

↑ Voy. le Voyage d'Ibn-Batouta en Soudan, journal asiatique de 1843. Voy, l'appendice, n° 11.

3 Dans le texte arabe, il faut sans doute lire : balarahou khoroudjohou lil-haddj.

ennemis et réussir dans ses projets. Le sultan l'accueillit avec bonté et l'emmena dans son pays, lui promettant de le soutenir par un corps de troupes et de l'aider à vaincre ses ennemis. El-Mâmer, dont la véracité était parfaitement reconnue, me fit à ce sujet le récit suivant : « Abou-Ishac-et-Toueidjen et moi, nous » fimes partie du cortége royal et nous prîmes même le pas sur » les vizirs et les chefs de la nation. Sa majesté écouta avec plaisir les históriettes que nous lui racontâmes, et, à chaque » station, elle nous fit cadeau de quelques plats de vivres et de >> sucreries. Douze mille jeunes esclaves, revêtues de tuniques de >> brocart et de soie de Yemen, portaient ses effets. »

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Le Haddj-Younos, interprète de cette nation au Caire, raconte ce qui suit : « Le roi Mença-Mouça arriva de son pays avec » quatre-vingts charges de poudre d'or, pesant chacune trois » quintaux (kintar); son peuple est dans l'usage de transporter ses bagages à dos d'esclaves ou d'hommes [libres]; mais, » daus de longs voyages, tels que celui de la Mecque, il se sert >> de chameaux pour cet objet. >>

Reprenons le récit d'[El-Mâmer-] Ibn-Khadîdja : « Nous l'ac>> compagnâmes jusqu'à la capitale de son royaume, et, comme il >> voulait construire une salle d'audience, il décida qu'elle serait » solidement bâtie et revêtue de plâtre; car, de tels édifices » étaient encore inconnus dans son pays. Abou-Ishac-et-Toueid

jen, homme très-habile en plusieurs métiers, se chargea de >> remplir la volonté du roi et bâtit une salle carrée, surmontée » d'une coupole. Dans cette construction, il déploya toutes les >> ressources de son génie; et, l'ayant enduite de plâtre et ornée d'arabesques en couleurs éclatantes, il en fit un admirable

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>> monument. Comme l'architecture était inconnue dans ce pays, >> le sultan en fut charmé, et donna à Toueidjen douze mille » mithcals de poudre d'or comme témoignage de sa satisfac

1 Dans le texte arabe, il faut lire: fé-yetemetta.

Voy. t. 1, p. 210, note.

3 Le mithcal pèse une drachme et demie ou la huitième partie d'une

once.

T. II.

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» tion. Ajoutez à cela la haute faveur du prince, une place >>> éminente à la cour et de beaux cadeaux de temps à autre. »

Le sultan Mença-Mouça entretenait des relations amicales avec le sultan mérinide, Abou-'l-Hacen ', et les deux monarques s'envoyaient des présents par l'entremise de leurs grands officiers. Le sultan maghrebin fit même apprêter un choix des plus beaux produits de son royaume et confia à Ali-Ibn-Ghanem, émir des Mâkil, le soin de porter ce cadeau vraiment royal au sultan des Noirs. Une députation, composée des premiers personnages de l'empire, accompagna Ibn-Ghanem. La magnificence de cette offrande fut le sujet de toutes les conversations, ainsi que nous le dirons ailleurs. Les successeurs de ces deux monarques héritèrent des mêmes sentiments de bienveillance mutuelle.

Mença-Mouça régna vingt-cinq ans. A sa mort, le gouvernement de Melli passa à son fils Mença-Magha. Le mot Magha est l'équivalent de Mohammed. Il mourut après un règne de quatre ans et eut pour successeur Mença-Soleiman, fils d'Abou-Bekr et frère de Mença-Mouça. Après la mort de MençaSoleiman, qui régna vingt-quatre ans, l'autorité fut transmise à son fils Cassa 2, lequel mourut au bout de neuf mois et laissa le trône à Mari-Djata, fils de Mença-Magha et petit-fils de MençaMouça. Ce monarque jouit d'un règne de quatorze ans pendant lesquels il accabla le peuple du poids de sa tyrannie, ne respectant pas même l'honneur des femmes.

En l'an 762 (1360-1), il envoya un présent à Abou-Salem, fils d'Abou-'l-Hacen et sultan du Maghreb. On y remarqua surtout une giraffe (zérafa), animal d'une taille colossale et presque inconnu en Maghreb. Pendant longtemps ce quadrupède fit le sujet de toutes les conversations, à cause de sa forme extraordinaire dans laquelle on vit réunis les caractères et qualités de plusieurs animaux de différentes espèces.

En l'an 776 (1374-5), je rencontrai à Honein Abou-Abd-AllahMohammed-Ibn-Ouaçoul, natif de Sidjilmessa et homme d'une

Dans le texte arabe, il faut lire li-ahdihi.
Variantes: Fenba, Canba.

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