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d'Abou-'l-Fotouh (le père des victoires) et le titre de Seif-edDola (l'épée de l'empire), il lui présenta la robe de lieutenance, le revêtit d'un habillement magnifique et lui donna les plus beaux de ses propres chevaux richement harnachés. Lui ayant alors conféré le droit de commander les troupes, de percevoir l'impôt et d'administrer les provinces, il lui recommanda de bien observer trois choses, savoir: de tenir le glaive toujours suspendu sur la tête des Berbères, de ne jamais affranchir les nomades du poids de leurs impôts, et de ne jamais confier un commandement à aucun membre de la famille Zîri. Il le chargea aussi de signaler le commencement de son administration par une expédition dans le Maghreb, afin d'en arracher toutes les semences de révolte et de briser les liens qui attachaient encore. ce pays au gouvernement des Oméïades.

le

En l'an 362 (973), El-Moëzz 1 partit pour le Caire, et Bologguin, qui l'avait accompagné jusqu'aux environs de Sfax, rentra à Cairouan et s'installa dans le palais de son maître. Aussitôt qu'il eut pris le pouvoir en main, il se mit en marche pour Maghreb, à la tête d'une armée composée de Sanhadjiens et d'un corps de troupes ketamiennes qu'El-Moëzz avait laissé en Ifrîkïa. Ibn-Khazer, seigneur du Maghreb central, s'enfuit à Sidjilmessa pour éviter son ennemi héréditaire; les habitants de Tèhert, qui avaient chassé leur gouverneur, virent détruire leur ville par Bologguîn en punition de leur révolte, et les Zenata, qui s'étaient rassemblés à Tlemcen, s'en éloignèrent précipitamment quand ils surent que cet émir venait les attaquer. Tlemcen se rendit à discrétion, et les habitants furent transportés à Achîr. Bologguîn reprit alors la route de Cairouan, en conséquence d'une dépêche par laquelle El-Moëzz lui défendit de pénétrer plus avant dans le Maghreb.

En l'an 367 (977-8), il obtint du khalife Nizar, fils d'El-Moëzz, que Tripoli, Adjedabia et Sort fussent incorporés dans ses états, et aussitôt qu'Abd-Allah-Ibn-Yakhlof, le gouverneur actuel de

' Ibn-Khaldoun désigne ce prince tantôt par son titre El-Moëzz, et tantôt par son vrai nom Mådd.

ces localités s'en fut éloigné, il le remplaça par un de ses propres officiers.

Dans une nouvelle expédition contre les Zenata du Maghreb, [en 369:979-80] il les mit en fuite, s'empara de Fez, de Sidjilmessa et de la province d'El-Hebet. Ayant expulsé de ces contrées les fonctionnaires du gouvernement oméïade, il tourna ses armes contre les Zenata qui s'étaient rassemblés à Sidjilmessa et leur infligea un rude châtiment. [El-Kheir-] Ibn-Khazer, émir des Maghraoua, fut fait prisonnier et mis à mort. Dès ce moment tout céda devant le vainqueur; aussi les familles de Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifréni, d'Atïa-Ibn-Abd-Allah-Ibn- Khazer, et de Felfoul-Ibn-Khazer prirent la fuite avec Yahya-Ibn-Ali-Ibn-Hamdoun, seigneur d'El-Basra, et allèrent camper sous la protection des remparts de Ceuta. Le vizir [espagnol], El-Mansour-IbnAbi-Amer, auquel ils envoyèrent demander secours, partit sur le champ à la tête d'une armée et vint prendre position à Algésiras. Avec lui arrivèrent tous les princes et chefs zenatiens qui s'étaient rendus à la cour de Cordoue pour faire acte de dévouement au sultan et pour acquérir les mérites spirituels attachés au service militaire dans les garnisons de la frontière musul

mane.

El-Mansour annonça à ces chefs et à leurs nombreux dépendants qu'ils devaient se placer sous les ordres de Djâfer, fils d'Ali-Ibn-Hamdoun, [ancien] seigneur d'El-Mecîla, et les fit alors passer le détroit. Ils emportèrent avec eux cent charges d'or que le vizir leur avait ordonné de remettre à leur général, nommé maintenant commandant en chef de l'armée destinée à combattre Bologguîn. Tous ces corps dressèrent leurs tentes sous les murs de Ceuta et y attendirent l'ennemi. Les autres troupes qu'El-Mansour recevait au camp d'Algesiras et qu'il continuait à expédier des divers ports du détroit, montrèrent un tel empressement pour secourir leurs amis, les Zenata, qu'à défaut de navires pour les transporter, elles auraient presque essayé de traverser la mer à la nage. Quand Bologguîn fut parvenu au sommet de la colline de Titaouîn (Tétouan), il y fit couper des routes à travers les broussailles, afin de faciliter la

marche de son armée. Parvenu enfin au haut d'un mamelon d'où il put découvrir le camp ennemi dressé au pied des remparts de Ceuta, son courage en fut ébranlé, car il reconnut qu'une telle position était inexpugnable. L'on raconte qu'en regardant cette ville où des convois de troupes arrivaient sans cesse des ports espagnols, il s'écria : « Voilà un aspic qui nous menace de sa » gueule! » et qu'il donna aussitôt l'ordre de rebrousser chemin. Le fait est qu'il n'avança pas plus loin.

S'étant alors retourné en arrière, il alla détruire El-Basra, ville très-florissante et siége du gouvernement de [Djâfer-IbnAli-] Ibn-el-Andelosi. Trouvant ensuite une bonne occasion de faire la guerre sainte, il tourna ses armes contre les Berghouata et tua leur roi Eïça-Ibn-Abi-'l-Ansar. Nous parlerons ailleurs de cette campagne. Ayant réussi à faire disparaître du Maghreb la domination des Oméïades et à refouler les Zenata dans le Désert, il envoya ses prisonniers à Cairouan et ne sortit plus des pays qu'il venait de conquérir. Il mourut, [le 21 de Dou-'l-Hiddja] 373 (mai 984), à Ouarekcen1, localité située entre Sidjilmessa et Tlemcen, pendant qu'il rentrait de cette longue expédition.

Bo

Règne d'El-Mansour, fils de Bologguin. Aussitôt que logguîn eut rendu le dernier soupir, son affranchi, Abou-Zoghbel, en fit porter la nouvelle à El-Mansour, fils et successeur désigné du prince décédé. El-Mansour se chargea à l'instant même du commandement des Sanhadja, et ayant quitté Achîr, ville dont il exerçait le gouvernement à cette époque, il se rendit à Sabra [près de Cairouan]. Ce fut là qu'il reçut de la part d'ElAziz-Nizar, fils d'El-Moëzz-Mådd, sa nomination au gouvernement de l'Ifrîkïa et du Maghreb, sous les mêmes conditions qui avaient été imposées à son père. Il confia aussitôt le gouverne

1 Dans En-Noweiri, ce nom est écrit Ouarokiin; dans le Baïan, on lit Ouargenfou. C'est du Baïan que nous avons pris la date précise de la mort de Bologguîn.

ment de Tèhert à son oncle paternel, Abou-'l-Behar, et celui d'Achir à son frère Itouweft.

En l'an 374 (984-5), il envoya Itouweft dans le Maghreb -elAcsa à la tête d'une armée afin d'enlever ce pays aux Zenata qui, d'après les dernières nouvelles, s'étaient emparés de Sidjilmessa et de Fez. Ce prince eut une rencontre avec l'émir de Fez, ZîriIbn-Atïa, surnommé El-Cartas, et ayant essuyé une défaite, il revint à Achir. Dès-lors El-Mansour renonça aux expéditions contre les Zenata du Maghreb et permit ainsi à Ibn-Atïa, à IbnKhazroun et à Yeddou-Ibn-Yala d'y établir leur autorité. Il se rendit ensuite à Raccada, et comme Abd-Allah-Ibn [-Mohammed-] el-Kateb, officier nommé par Bologguîn au gouvernement de Cairouan et qui y commandait encore, lui avait donné des sujets de mécontentement 3, il accueillit les dénonciations qu'on lui adressa relativement à la conduite de ce fonctionnaire et l'accabla du poids de sa colère. Abd-Allah-Ibn-el-Kateb fut mis à mort en l'an 377 (987-8), et Youçof-Ibn-Abi-Mohammed lui succéda.

4 Le texte arabe porte à son frère; mais d'autres indications, fournies par Ibn-Khaldoun, démontrent qu'Abou-'l-Behar était frère de Bologguin.

Ici les manuscrits et le texte imprimé portent Bologguin. Il faut remplacer ce nom par celui d'El-Mansour.

* Abd-Allah-Ibn-Mohammed, surnommé El-Kateb (l'écrivain), était fils d'un prince aghlebide qui s'était réfugié dans le pays des Nefzaoua, à l'époque où les Fatemides enlevérent à sa famille le trône de l'Ifrikïa. Ayant montré de grands talents comme écrivain épistolaire et une connaissance parfaite des langues arabe et berbère, il fut admis au service de Ziri en qualité de secrétaire, et il remplit ensuite le même emploi sous Bologguîn. Nommé gouverneur de Cairouan dans le mois de Rebiâ premier 364 (décembre 974), il y amassa tant de richesses que, dix années plus tard, il put dépenser huit cent mille pièces d'or (huit millions de francs) dans la construction d'un palais entouré de plantations d'arbres. En Moharrem 377, El-Mansour reçut une lettre d'El-AzîzNizar, sultan de l'Egypte, dans laquelle il lui fut enjoint d'insérer le nom d'Abd-Allah-el-Kateb dans la prière publique. C'était le désigner comme héritier du trône; aussi la jalousie d'El-Mansour et de toute sa famille ne tarda pas d'éclater. Six mois après l'arrivée de cette dépêche, El-Mansour alla faire une promenade à cheval, accompagné de plusieurs officiers de sa maison, et il emmena Abd-Allah avec lui. Adressant alors

Plusieurs soulèvements ayant eu lieu parmi les Ketama, ElMansour en fit mourir les auteurs et châtia les révoltés avec une grande sévérité 1. Quand il eut réduit cette tribu à la soumission, il la plaça sous l'administration de fonctionnaires [sanhadjiens].

la parole à celui-ci, il entama une conversation qu'il interrompit subitement par un coup de lance. Abd-Allah, frère d'El-Mansour, lui porta un autre coup qui lui traversa le dos et la poitrine. Le malheureux Kateb tomba en proférant ces paroles: « Je meurs dans la religion de Dieu; » dans la religion de son Prophète! » Son fils Youçof ayant essayé de le sauver, fut massacré en même temps que lui. (En-Noweiri). On voit par le Baïan que cet homme était très-redouté d'El-Mansour et qu'à l'époque où Bologguîn mourut, il tenait les clefs du trésor public et du dépôt d'armes. Il parvint ensuite à exercer un tel pouvoir qu'il disposait de tous les emplois. Ses ennemis, et il en avait beaucoup parmi les courtisans, le dénoncèrent enfin à El-Mansour comme l'auteur caché de la révolte d'Abou-'l-Fehm et des Ketama. (Voyez la note suivante). El-Mansour lui ordonna alors de se démettre du gouvernement de l'Ifrîkïa et de se contenter de la place de secrétaire d'état. Abd-Allah répondit qu'il aimerait mieux être tué que destitué. Quelques jours après, il mourut de la main de ce prince et de la manière que nous raconte En-Noweiri. Les troupes profitèrent de la confusion amenée par la mort de ce fonctionnaire pour piller son palais et commettre toutes sortes de brigandages aux environs de Cairouan.

1 La première révolte des Ketama eut pour auteur un missionnaire, ou agent politique des Fatemides, nommé Abou-'l-Fehm-Hacen-IbnNasrouïah, natif de Khoraçan. Cet homme arriva à Cairouan, l'an 376, chargé par le khalife El-Azîz-Nizar d'une mission auprès des tribus ketamiennes. Youçof-Ibn-Abd-Allah, gouverneur de Cairouan, le reçut avec un empressement marqué, le combla de dons et de prévenances et lui fournit les moyens de se rendre à sa destination. Parvenu dans le pays des Ketama, Abou-'l-Fehm commença à y lever des troupes et à battre monnaie. L'année suivante, El-Mansour reçut la visite de deux officiers envoyés par la cour du Caire qui lui remirent des dépêches, en lui intimant l'ordre de ne rien entreprendre contre Abou-'l-Fehm. On dit même que ces messagers déclarèrent qu'en cas de dèsobéissance aux ordres du khalife, les Ketama le mèneraient eu Egypte la corde au cou. Provoqué par cette insolente communication, El-Mansour leur répondit très-vertement et, s'étant mis en campagne, il les força à l'accompagner. Entré dans le pays des Ketama, il saccagea la ville de Mila et détruisit tous les villages ketamiens qui se trouvaient sur son passage. Ayant défait les insurgés à Setif, il poursuivit Abou-'l-Fehm et parvint à l'atteindre dans une montagne où il s'était réfugié. Le prisonnier fut conduit en présence d'El-Mansour qui le frappa au

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