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couchant des anses ou des baies auxquelles ils donnent leurs noms. Il existe toutefois, au point de vue nautique, des différences considérables entre ces divers établissements, suivant la forme des caps auxquels ils sont adossés. Les uns se terminent par une pointe dirigée au nord, d'autres par un crochet en retour, vers l'est, qui protége contre la mer et les vents une partie de l'espace situé en arrière. Cette dernière disposition, si favorable pour la sûreté du mouillage, se remarque surtout dans les ports de Mers el-Kebir, d'Arzeu et de Bougie, et leur assigne une grande supériorité de conformation nautique. Dans le golfe de Bougie, le crochet en retour, môle naturel qu'aucun ouvrage d'art ne saurait suppléer, se compose d'une chaîne de hauteurs dirigée de l'est à l'ouest. Le fort Gouraïa en occupe le sommet le plus élevé (680 mètres de hauteur); il est situé droit au nord de Bougie.

De la plate forme du fort, on jouit d'une vue splendide, l'œil ne sait où se fixer; d'un côté, l'immensité de la mer, puis le littoral richement festonné de caps et de promontoires, et de l'autre, les fouillis majestueux des montagnes de la Kabilie.

Depuis le Gouraïa (1) jusqu'à la pointe du cap, la crête s'abaisse par ressauts successifs. Le premier, immédiatement au-dessous et à l'est du Gouraïa, porte le nom de Mlaab ed-dib (le théâtre du chacal). A cette éminence,

(1) Le nom de Gouraïa viendrait, dit-on, des Vandales qui auraient fait de Bougie leur première capitale. En leur langue, Goura signifie montagne. D'après les indigènes, cette montagne tire son nom d'une maraboute, Lalla Gouraïa, qui y fut enterrée. Peut-être prit-elle le nom du lieu de la sépulture.

font suite sept dentelures juxtaposées que les Bougiotes comprennent sous la dénomination commune de Sebâ Djebilat (les sept petites montagnes).

La dernière, celle qui plonge dans la mer, forme une saillie appelée par les indigènes Ras bou-Haï (le cap de bou Haï) et par les Français le cap Noir. C'est une des trois pointes dont la réunion détermine la corne occidentale du golfe de Bougie. Les deux autres sont: au nord le cap Carbon, et au sud le cap Bouac. Le premier porte, dans la géographie locale, le nom d'el-Metkoub (la roche percée), le second celui de Sidi el-Mlih (littéralement monsieur le bon). Le cap Carbon est surmonté d'un morne recheux au-dessous duquel règne une caverne haute et profonde, creusée par le choc incessant des vagues qui viennent s'y engouffrer. Eile traverse le rocher de part en part; c'est là ce qui lui a fait donner son nom. Nous croyons que c'est à ce cap, et non à celui de Cavallo, où ne se voit aucun rocher percé, qu'il faut appliquer le nom de Treton, le promontoire percé des géographes de l'antiquité (1).

(1) Quelques auteurs un peu trop amis du merveilleux font passer les navires à voile sous cette crypte naturelle, où la mer, en pénétrant, con serve une certaine profondeur. Ce qu'il y a de vrai, c'est que les petits bateaux du pays peuvent s'engager seuls dans cet étroit passage. Je l'ai traversé moi-même plusieurs fois dans un canot à la voile, et j'ai eu lieu de remarquer que cet endroit servait de retraite à des troupeaux de veaux marins (phoques).

Une tradition, recueillie par le voyageur anglais Shaw, assure que c'est à la roche percée que se retira Raymond Lulle dont nous reparlerons plus loin. Le séjour de cet anachorète était probablement la vallée des Singes ou la presqu'ile formée par la pointe du cap Noir; car à la roche percée, on ne voit aucun abri où un être humain ait pu se retirer, le rocher tombant à pic dans la mer.

Le cap Bouac, sur la cime duquel existait autrefois une batterie turque de 4 canons, tire son nom de son ancienne affectation. Un garde, chargé de signaler les navires qui paraissaient à l'horizon, y résidait en permanence. Dès qu'une voile était aperçue au large, il sonnait d'un instrument appelé bouc (buccina), d'où est venu le nom de bouac, le sonneur de bouc, et prévenait ainsi la ville de ce qui se passait en mer (1).

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La crête qui s'étend du Gouraïa à la pointe Noire domine au nord la mer au large, et au sud l'intérieur du golfe. Le versant septentrional, peuplé exclusivement de singes, va aboutir par des pentes extrêmement rapides à une bordure de falaises nues, abruptes, qui plongent dans la mer à de grandes profondeurs, et rendent cette partie de la côte inabordable.

Un peu au-delà de cette ligne rocheuse, se voit l'îlot des Pisans, nommé île de Djeribia par les indigènes. C'est un rocher long de quelques centaines de mètres, dont le sommet tronqué est peu élevé au-dessus de la mer; ses flancs, vers le sud, sont recouverts de quelque végétation. Aujourd'hui, cet îlot n'a aucune importance; il sert de retraite à d'innombrables oiseaux de mer.

Le versant méridional du Gouraïa, dont la base s'étend

(1) Entre les escarpements du cap Carbon et le cap Bouac, s'enfonce une gorge dite Vallée des Singes, couverte d'oliviers et de caroubiers. C'est un site très pittoresque, au milieu duquel existait autrefois une coupole recouvrant la tombe du marabout Sidi Aïça Sebouki. D'après les historiens indigènes, c'est sur ce point que Pierre de Navarre, venant faire la conquête de Bougie, aurait effectué son débarquement en 1509. Il s'y trouve une belle source, qu'il est question depuis longtemps d'aménager, et dont les eaux, conduites dans l'anse de Sidi-Yahïa, permettraient de créer une aiguade pour les besoins de la marine.

depuis le cap Bouac jusqu'au fond du golfe, présente luimême quelques ressauts brusques, quelques ravins escarpés, surtout dans le voisinage de la crête; mais la pente générale en est beaucoup moins raide; c'est au pied de ce versant que la ville de Bougie est assise (1).

La disposition qui vient d'être décrite, et la présence du crochet naturel formé en retour sur le fond du golfe, donnent à la station de Bougie une supériorité marquée sur toutes les autres stations de la côte d'Algérie. Derrière cet immense paravent, la rade se trouve abritée contre toutes les tempêtes du nord et de l'ouest.

La partie de la côte située à la base méridionale du paravent, se partage en trois découpures dessinées par les saillies du cap Bouac, du fort Abd el-Kader et de la Kasba.

La première de ces anfractuosités partielles possède une mosquée marabout, dont elle porte le nom : c'est l'anse de Sidi Yahia, le mouillage militaire de Bougie (2).

La seconde, bordée par les édifices de la ville et pourvue d'un petit débarcadère, s'appelle, pour cette raison, le nouveau port.

La troisième, abandonnée depuis longtemps, conserve cependant encore des traces nombreuses de sa destination ancienne; on y voit des restes de constructions hydrauliques et d'autres monuments d'origine romaine : c'est l'ancien port.

(1) Carette, Etudes sur la Kabilie.

(2) Le marabout fut transformé par les Français en Direction du port. Un nouvel établissement pour la marine militaire, beaucoup mieux aménagé que le précédent, a été construit, vers 1853, sur le bord de la mer, audessous du marabout.

Abritée contre les vents de l'ouest et du nord par la crête prolongée du Gouraïa, protégée contre les vents du sud par les hautes terres qui couronnent le fond du golfe, l'anse de Sidi Yahïa se trouve encore soustraite accidentellement à l'action des vents de l'est par la saillie du cap Bouac. Le fond y est le même que celui du reste de la baie, de vase argileuse; la tenue est parfaite, les ancres happant à la vase, les bâtiments chassant rarement dessus. Les profondeurs d'eau varient depuis douze jusqu'à vingt mètres. Grâce à ce concours de dispositions naturelles, la baie de Sidi Yahïa est regardée par tous les marins comme l'un des meilleurs mouillages de la côte d'Afrique. Au reste, les Turcs en avaient fait la station. d'hiver de leur flotte, ce qui prouve que ses qualités nautiques avaient été appréciées par eux. Aujourd'hui encore, elle offre une retraite sûre aux bâtiments qui se rendent de Bône dans les ports de l'ouest, et même de ceux qui vont de France à Alger, ces derniers élant généralement déviés de leur route par les vents d'ouest qui dominent sur la Méditerranée.

Dans les circonstances les plus défavorables, c'est-àdire lorsque les rafales de la partie est s'engouffrent dans le fond du golfe et y soulèvent une mer affreuse, les navires peuvent en toute sûreté venir jeter l'ancre dans le fond de la rade de Sidi-Yahïa: quelle que soit la violence de la tempête, ils n'y courent aucun risque. Des chalands, de simples embarcations laissées sur leurs amarres, ont vu passer les plus gros temps sans éprouver aucune avarie. L'anse de Sidi-Yahia est assez grande pour contenir une division navale de vaisseaux de haut-bord, et elle peut encore donner refuge à un grand nombre de bâti

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