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Il fallait remonter le cours des siècles pour coordonner mon travail, et il eût été stérile, si je n'avais eu à ma disposition divers ouvrages que j'indiquerai et auxquels j'ai fait de nombreux emprunts. Après avoir exposé rapidement le rôle que joua Salde, nom primitif de Bougie, aux époques carthaginoise, romaine et vandale, je reproduirai fidèlement, sur la période arabe et berbère, les récits d'Ibn-Khaldoun, si savamment traduits par M. le baron de Slane.

Le remarquable livre publié naguère par M. de MasLatrie Traités de paix et de commerce concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au moyen-âge, relate, sur la même période, des faits entièrement inédits et du plus haut intérêt, desquels j'ai extrait tout ce qui appartenait à mon sujet. Les documents précieux que M. de Mas-Latrie a recueillis dans les archives des principales villes du midi de l'Europe, seront désormais indispensables à tous ceux qui étudieront le passé des états barbaresques.

Pour l'occupation espagnole, je dirai ce que nous apprend le manuscrit arabe du cheikh Ali Ibrahim elMerini.

C'est à l'obligeante initiative de M. le colonel Bonvalet, commandant supérieur du cercle de Bougie, que je dois la communication de ce curicux document, découvert entre les mains d'un taleb de la tribu kabile des Ben Yala.

Jusqu'à ce jour, nous avions été obligés de nous en tenir aux narrations de Léon l'Africain, Marmol et Ma. riana, les seuls qui eussent parlé d'une manière quelque peu détaillée des phases de la domination espagnole sur

la côte d'Afrique, et en particulier de ce qui avait trait à Bougie. Il était cependant permis de supposer que la conquête d'une ville aussi importante que l'était encore Bougie, au commencement du XVIe siècle, n'avait pu passer inaperçue. Elle avait dû, au contraire, frapper les imaginations et stimuler la verve littéraire des écrivains d'une cité réputée la plus éclairée de l'Algérie, qui se voyaient chassés de leurs foyers par une invasion chrétienne. Mais si ces documents contemporains existaient, ils étaient inconnus. Ainsi que je l'ai dit déjà, dans un autre travail, on ne se forme pas la moindre idée des difficultés qu'on rencontre, non seulement pour découvrir les manuscrits arabes, mais surtout pour qu'il nous soit permis d'en prendre connaissance. Il y avait longtemps que mes recherches, sur le passé de Bougie, se portaient plus spécialement sur l'époque de l'occupation espagnole; le peu de succès que j'avais eu commençait à m'y faire renoncer, quand j'appris qu'un taleb kabile possédait un ouvrage relatif à cette période.

Il ne fallait pas songer à se procurer le texte original, car nous savons par expérience combien les indigènes. tiennent à leurs vieux papiers de famille; mais je devais tâcher d'obtenir au moins la faveur d'en prendre une copie.

Après bien des démarches infructueuses, un Bougiote, nommé Si Saïd ben Ali, offrit de se rendre lui même aux Beni Yala, auprès du détenteur du manuscrit, et on doit juger de la satisfaction que j'éprouvai lorsque, peu de temps après, M. le colonel Bonvalet me transmit la copie tant désirée dont je publiai immédiatement une première traduction dans la Revue africaine.

Les autres ouvrages dans lesquels j'ai encore puisé des renseignements, sont :

La fondation de la Régence d'Alger, par Sander-Rang et Denys;

Vingt-six mois à Bougie, mémoires par M. le commandant Lapène;

Études sur la Kabilie, par M. Carette (Exploration scientifique de l'Algérie,;

Le Commerce et la Navigation de l'Algérie, avant la conquête française, par M. Elie de la Primaudaie ; Les Époques militaires de la Grande Kabilie, par M. Berbrugger.

De nombreuses notes que j'ai recueillies pendant mon séjour à Bougie 1), dont la Revue africaine a déjà publié plusieurs extraits, compléteront enfin cette monographie.

A côté des documents historiques, existent des traditions qui, de père en fils, se sont conservées dans le pays sous forme de légendes. Euvre de l'exagération bien connue des indigènes, elles fourmillent parfois d'événements merveilleux, de faits entachés d'invraisemblance et de grossières erreurs chronologiques; mais nous ne devons cependant pas les négliger, car la nouvelle génération algérienne, si indolente et si indifférente, ne tarderait pas à les laisser tomber dans l'oubli le plus complet. C'est ce qui m'a engagé à les recueillir, ne serait-ce que pour conserver le souvenir du génie poétique d'un peuple. Elles renferment des particularités trèscurieuses, qui dédommageront le lecteur de la monotonie

(1) Alors interprète militaire, attaché au commandant supérieur du cercle de Bougie.

et de la sécheresse habituelle des récits purement historiques.

En raison du cadre habituel de notre Recueil périodique, peut-être trouvera-t-on trop étendue cette monographie consacrée à une seule ville de la province. Il était impossible de faire autrement, à moins de la donner incomplète, ce qui n'aurait pas répondu au but que nous nous sommes proposé en entreprenant ce travail.

I

DESCRIPTION DE LA VILLE DE BOUGIE.

Qu'on se représente trois contreforts à peu près parallèles, issus de la même chaîne et séparés l'un de l'autre par deux gorges débouchant à la mer. Que l'on applique sur la crête des deux contreforts extrêmes deux hautes murailles en briques, flanquées de tourelles, percées de meurtrières, surmontées de clochetons, conformes enfin aux besoins et aux habitudes militaires du moyen âge.

Que l'on couvre l'espace compris entre ces deux murailles de vingt mille petites habitations à un étage, s'élevant en espaliers sur les pentes de la montagne et ornées d'une galerie couverte, d'où la vue s'étendait sur la mer; que l'on intercale dans l'intérieur de ce massif une foule de jardins où dominent l'oranger, le grenadier et la vigne arrondie en berceau; enfin que l'on répartisse sur ce fond environ cinquante mosquées avec leurs coupoles et leurs minarets blancs; on aura ainsi une idée de ce qu'a dû être Bougie, la capitale des Beni

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