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menta par l'adjonction d'autres individus, gens souvent sans aveu et sans patrie, quelquefois même criminels, qui se mettaient à la disposition des Turcs pour se soustraire à la punition qui les eût atteint dans leur pays. Trop nombreuse, dès lors, pour rester à Bou Amroun, et, d'autre part, devenue inutile aux portes de Constantine, par suite de la pacification du pays, le bey l'éloigna vers Aïfour (près de notre pénitencier d'Aïn el Bey). Mais elle s'y trouva trop à l'étroit; elle étendit ses pâ turages vers Quarrat, puis à Ouldjet el-Kheil, où elle dut combattre les Segnia, accourus en armes pour arrêter ses empiétements successifs. Cent cavaliers succombérent dans la rencontre, ce qui fit donner à cet emplacement le nom de Ouldjet el-Kheïl, le vallon des coursiers.

Malgré la résistance des premiers occupants, la zmala continua à s'avancer vers Tikmert, Akbet el-Djemmala et Medelsou. Maîtresse de la belle source de Fesguïa, elle se répandit peu à peu sur toute l'étendue de territoire que la population des Zemoul habite encore de nos jours.

Ses turbulents voisins, les Segnïa, tentèrent souvent de lui reprendre les pâturages de Fesguïa; mais dans les combats multiples qu'ils leur livrèrent, les Zemoul restèrent maîtres du terrain et les repoussèrent jusqu'au delà de la montagne du Guerioun.

Les Segnïa, mis à la raison à la suite d'une expédition que le bey fit contre eux, furent placés sous la surveillance immédiate du kaïd des Zemoul, Mohammed ben Amar. Ce kaïd mourut quatre ans après; son frère, puis son fils lui succédèrent à peu d'intervalle.

En 1755, le bey Hosseïn, dit Zereg-Aïnou, fit une expédition contre Tunis dont il s'empara. Les cavaliers de

la zmala, à la tête desquels avait marché un nommé Kermiche ben Selama, se signalèrent par leur intrépidité et contribuèrent puissamment au succès de la campagne. En rentrant dans ses foyers, le bey récompensa Kermiche en lui donnant le commandement des Zemoul et des Segnïa. Le fils de Mohammed ben Amar, privé de la charge qui, jusques là, avait été l'apanage de sa famille, se retira à Constantine où ses enfants, connus sous le nom de Oulad ben el-Abiod, occupèrent successivement l'emploi de kaïd ed-dar. L'un d'eux défendit la ville, en 1804, pendant l'absence du bey Osman, contre le Cherif El-Boudali bel-Harche, qui vint l'assiéger à la tête d'une nuée de Kabiles.

Revenons à Kermiche, le nouveau kaïd des Zemoul, que la tradition locale nous signale comme un guerrier de grand mérite. A six reprises différentes, il fut lancé contre les Oulad Soultan, farouches montagnards qui repoussaient la domination turque; il leur causa des dommages considérables; mais, dans une de ces sorties, entraîné par sa fougue et son imprudence à la poursuite de l'ennemi, il se trouva seul, loin de ses compagnons d'armes et fut fait prisonnier. Son courage, et le dévoûment avec lequel il avait toujours servi la cause des Turcs, lui valurent une mort cruelle. On le lia fortement à un arbre et on y mit le feu. Il expira au milieu des flammes. L'endroit où succomba ce vaillant soldat s'appelle encore de nos jours Chedjerat Kermiche, l'arbre de Kermiche. Sa bravoure est même passée en proverbe dans le pays; on dit à son sujet :

« Prétendez que vous êtes puissants ou non, le kaïd Kermiche ne pénélrera pas moins chez vous. »

Les successeurs de Kermiche prirent le titre de kaïds des Zemoul, car la zmala s'accrut rapidement et se fractionna peu à peu en un certain nombre de petites zmala dont chacune eut un chef dit kaïd zmala et dont l'ensemble fut sous les ordres du kaïd des Zemoul (1). Les kaïds des Zemoul furent choisis par les beys un peu partout; mais ils furent toujours de grands dignitaires. Ils avaient sous leurs ordres: les Segnia, Telat, Haracta el-Mader, Oulad Si Khelifa, Oulad ben Yahïa et partie des Kherareb, Berrania, Oulad Aziz, Attatfa, Oulad 'Anan, el-'Achaïch, Oulad Yala, Oulad Zeid, Oulad Bellaguel, Oulad Sellam, Oulad Yakoub, Oulad Rehan, Oulad 'Adjez, Oulad Melloul qui tous payaient l'impôt; les Oulad Si Khelifa, Oulad ben Yahïa et ben Zerroug, Oulad Haffif, Oulad Si Ounis, Oulad Si Ahmed ben Bouzid, Oulad belKadi et, en général, toutes les tribus zaouïa ou de marabouts qui étaient exemptes d'impôt.

Nous avons déjà parlé, au commencement de cette notice, de l'organisation des tribus makhzen en général; il nous reste à reproduire, pour les Zemoul de Constantine, ce qu'en a dit l'historien des beys de la province (2).

Les gens de la zmala, dans le principe, n'étaient autres que les serviteurs des beys, chargés de la garde des troupeaux de chameaux, bœufs et moutons, appartenant à l'État. Ils étaient, à cette époque, établis dans la vallée supérieure de l'oued Roumel, entre Constantine

(1) Les Zemoul étaient la principale tribu makhzen; il y avait, en outre, les tribus deïra fournissant aussi des contingents aux beys, lesquelles étaient placées sous le commandement de l'agha. La deïra des beys de Constantine se composait des Seraouïa, Zenatia, Oued bou Selah et Kherareb.

(2) Histoire des Beys de Constantine, par M. Vayssettes (Recueil de la Société archéologique).

et Aïn Semara, et n'avaient, entre eux, d'autre lien commun que celui de servir un même maître.

› Leur nombre fût d'abord assez restreint, étant limité par les besoins mêmes du service qu'on exigeait d'eux. Mais à mesure que le pays se pacifiait, les impôts étaient perçus d'une manière plus régulière et sur un plus grand nombre de tribus; comme les troupeaux formaient une partie notable de l'impôt, leur chiffre augmentant, le nombre des gens préposés à leur garde dût être augmenté aussi: Il arriva, même ceci, qu'aux époques où se faisait la rentrée des impôts, c'est-à-dire, au printemps et à l'automne, comme la perception avait lieu sur place, tandis qu'une partie des gens de la zmala restaient dans la vallée pour surveiller les bestiaux, les autres furent détachés pour marcher à la suite de la colonne, chargée du prélèvement de l'impôt et de ramener les troupeaux en provenant. Il en fut de même quand il s'agit d'opérer une razia sur une tribu réfractaire ou en révolte, et, dans ce dernier cas, on dut songer à armer les gens de la zmala, afin de les mettre à même de pouvoir se défendre sans le secours des troupes expéditionnaires.

» Ainsi, on fut amené, peu à peu, à les organiser en soldats, de palefreniers ou bergers qu'ils étaient primitivement. Alors, on leur donna un kaïd, des cheïkhs, des chaouchs, et leur condition s'éleva de toute la considération qui s'attachait à l'homme d'armes sur l'artisan et le laboureur, dans un pays où la civilisation n'avait pas encore fait prévaloir la supériorité des forces intellectuelles sur les forces brutales. Ils furent entretenus et équipés aux frais de l'État, et s'ils ne touchaient point de somme en argent, comme les troupes régulières, où l'élément turc

était seul admis, on leur fournissait des armes, des chevaux, des bœufs pour leur nourriture, et, dans les razias, c'était à eux que revenait la plus grosse part du butin. Aussi pour ces sortes d'expéditions, les beys les employaient-ils de préférence aux Turcs, et l'acharnement qu'ils portaient dans le massacre et le pillage des malheureuses tribus désignées à leurs coups, témoignait assez combien l'instinct de la rapacité l'emporte, chez l'Arabe, sur le sentiment de la fraternité nationale, ainsi qu'on l'a d'ailleurs pu observer de nos jours, toutes les fois que, depuis 1830, on s'est servi d'une tribu pour en châtier

une autre.

› Peu à peu il se développa, parmi eux, une sorte d'esprit de corps qui leur tint d'abord lieu de lien de famille, tandis que, d'un autre côté, fiers de leurs immunités. récentes, ils s'efforçaient de faire oublier leur basse origine, en affectant le plus insolent mépris pour tout ce qui était la gent corvéable et taillable. Bientôt on rechercha leur alliance, et les enfants issus de ces mariages devenant gens de la zmala, comme l'étaient leurs pères, il arriva que, quand les familles se furent multipliées, leur nombre suffit aux besoins du service qu'ils étaient appelés à faire, sans qu'il fut nécessaire, pour le recrutement, de recourir à l'élément étranger.

» Disons, en terminant, que le nombre réglementaire des cavaliers armés que devait fournir la tribu était de cinq cents, et que l'année où le bey allait en personne porter le denouche ou impôt à Alger, ceux qui étaient appelés à l'accompagner et lui faire cortége, recevaient en présent des sabres à gaines d'argent, des caftans, des cachemires pour se draper la tête, et des housses de luxe

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