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les souverains Hammadites avaient attaqué ces tribus sans pouvoir les soumettre. Par des entreprises de cette nature, El-Mansour parvint à maintenir son autorité et à raffermir sa puissance.

La mort d'El-Mansour eut lieu en 498 (1104-5).

Badis, fils et successeur d'El-Mansour, mourut dans la première année de son règne. Il fut remplacé au pouvoir par son frère El-Aziz, et ce monarque jouit d'un règne long et tranquille. Il se plaisait à faire venir des savants chez lui, pour les entendre discuter des questions scientifiques.

Sous le gouvernement d'El-Aziz, les Arabes envahirent le territoire d'EI-Kalâa, au moment où l'on s'y attendait le moins, et ne s'en éloignèrent qu'après avoir saccagé tous les environs et forcé la garnison à s'enfermer dans la ville. Quand cette nouvelle fut connue à Bougie, El-Aziz fit partir un corps de troupes et un convoi d'approvisionnements sous la conduite de son fils Yahïa. L'arrivée de cette armée à El-Kalâa mit fin au désordre, et obligea les émirs arabes à solliciter leur grâce.

Nous avons vu plus haut que, lors de la fondation de la Kalâa des Beni Hammad, en l'an 1004 de notre ère, une colonie nombreuse de chrétiens était venue s'y fixer. Sous le règne d'El-Aziz, en 1114, disent les documents européens (1), ces chrétiens, tous africains et berbères, avaient encore à la Kalâa une église dédiée à la Vierge Marie. Leur évêque habitait une maison voisine de l'église. C'est le dernier prélat indigène dont nous puissions constater l'existence; et déjà la population, peut-être ses propres fidèles, qu'envahissait d'année en année l'influence du langage et des habitudes arabes, le désignaient sous (1) De Mas-Latrie.

le nom musulman de khalife. Pierre Diacre conserve même cette dénomination, en rappelant les circonstances miraculeuses de la mort du bienheureux Azzon, moine du mont Cassin. En cette année 1114, des moines du mont Cassin, revenant de Sardaigne en Italie, tombèrent entre les mains des pirates et furent conduits en Afrique. Peu de temps après, une tempête ayant poussé sur les côtes de Sicile les moines que l'abbé renvoyait en Afrique pour racheter leurs frères, le Comte Roger, jaloux de rendre hommage au glorieux père Benoît, dit Pierre Diacre, s'empressa d'envoyer ses propres messagers au roi de la ville de Calama, que les Sarrasins appelaient Alchila (1). Ce roi, qui accéda d'ailleurs à toutes les demandes du comte Roger, était El-Aziz, sultan de Bougie, arrière petit-fils d'En-Nacer.

Le pieux auteur de la chronique du mont Cassin, n'a garde de négliger cette occasion de célébrer la gloire de sa maison et les mérites de ses frères. Il accorde, en attendant sa béatification et comme un moyen d'y parvenir, l'honneur des miracles nombreux à Azzon, doyen de l'abbaye, l'un des moines vendus par les pirates, mort durant sa captivité et inhumé à El-Kalâa, devant l'autel principal de l'église de Sainte Marie.

Un soir, dit-il, tandis que la lune brillait dans le ciel, un indigène non chrétien, passant devant l'église, fut

(1) Calama est ici pour Kalâa Hammad. Les princes de la dynastie Hammadite que le pape Grégoire VII qualifiait du titre de rois de la Mauritanie Setifienne étaient encore désignés en Italie, au douzième siècle, comme rois d'El-Kalâa, où ils devaient résider souvent, bien qu'ils eussent transféré le siége principal de leur administration avec leurs trésors dans la nouvelle capitale de Bougie, dès l'an 1090. (De Mas-Latrie).

tout surpris de voir le vertueux doyen du mont Cassin, qu'il avait connu sans doute de son vivant, assis au pied de la porte, lisant paisiblement un livre ouvert devant lui. Il prévint anssitôt d'autres Sarrasins: « Venez, accourez, leur dit-il, vous savez ce prêtre des chrétiens qui est mort ce mois-ci; venez le voir lui même assis au scuil de l'église. On s'empresse: la vision avait disparu. Une autre nuit, la lampe placée devant l'autel, au-dessus du lieu où le corps d'Azzon avait été déposé, et que l'on avait soin d'éteindre tous les soirs, se ralluma d'elle même, et depuis, le phénomène se renouvela toutes les nuits, bien que l'on eut mis de l'eau à la place de l'huile. Le roi fit fermer et surveiller l'église. Le miracle ne cessa pas. De la maison du khalife des chrétiens, contiguë à leur église, l'émir vit lui même, un jour, une étoile descendre sur la lampe et l'enflammer. Frappé de ces prodiges, il fit rouvrir l'église des chrétiens.

Ce fut encore sous le règne d'El-Aziz, en l'an 512 (1118-9, que le mehedi des Almohades, Ibn Toumert, dont les disciples devaient plus tard devenir les souverains de l'Afrique occidentale, passa à Bougie en revenant de l'Orient. Il joua dans cette ville son rôle de réformateur d'abus; il vit le souverain El-Aziz entouré de tous les délices de la vie, et ne put s'empêcher d'adresser à cet émir et à ses officiers les réprimandes les plus sévères. Ayant un jour essayé d'empêcher certaines irrégularités dont il fut scandalisé en parcourant les rues de la ville, i excita une grande émeute parmi la populace (1). Le sultan en éprouva un tel mécontentement, qu'il tint conseil avec ses ministres, au sujet du réformateur. Celui-ci

(1) Il brisa partout les amphores de vin et les instruments de musique.

devina le danger et courut se réfugier à Mellala (1), endroit situé à un parasange de Bougie. Les Beni Ouriagol, puissante tribu Sanhadjienne qui occupait cette localité, le prirent sous leur protection et préférèrent encourir la colère du sultan que de lui livrer leur hôte. Il était encore là, quand il rencontra, pour la première fois, Abd el-Moumen, le même qu'il devait nommer plus tard chef des Almohades. Ce jeune homme allait en pélerinage avec son oncle; mais il plut tant à Ibn Toumert par son savoir, que ce docteur le garda auprès de lui et en fit son élève (2).

Yahia, fils et successeur d'El-Aziz, monta sur le trône en 512 (1121-5); d'un caractère mou et efféminé, il jouit pourtant d'un long règne. Dominé par les femmes et entraîné par l'amour de la chasse, il ne songea qu'à s'amuser, pendant que l'empire tombait en dissolution et que les tribus Sanhadjiennes s'éteignaient successivement autour de lui. En l'an 543 (1148-9), il se rendit à la Kalâa pour y faire des perquisitions et en emporter tous les objets de valeur qui y restaient encore.

Son général, Motarref, marcha par son ordre contre la ville saharienne de Touzer qui s'était révoltée, et l'emporta de vive force. Dans une seconde expédition, Motarref s'empara de Tunis et mit le siége devant El-Méhédia, sur l'annonce que Roger, roi de Sicile, avait traité avec

(1) Mellala est encore de nos jours un petit village de la tribu des Beni bou Msaoud, sur la rive gauche de la Soumam, à quatre lieues de Bougie.

(2) Ailleurs, Ibn Khaldoun dit qu'Abd el-Moumen, porteur d'une missive de ses condisciples de Tlemsen, vint inviter Ibn Toumert à se rendre parmi eux.

l'émir de cette ville, ce qui était vrai. Les gens de Méhédia avaient écrit au sultan de Bougie, Yahïa, pour l'entrainer à marcher sur leur ville, qu'ils s'engageaient à lui livrer. Il les crut et envoya des troupes par terre et des bâtiments par mer, sous les ordres de Motarref. La vigoureuse résistance que cette place lui opposa le fit renoncer à sa tentative et reprendre le chemin de Bougie.

L'historien El-Kaïrouani assure que la retraite de l'armée de Bougie fut motivée par l'arrivée devant El-Méhédia d'une flotte chrétienne, que Roger, roi de Sicile, envoyait à son secours. Du reste, quelques années plus tard, en 537 (1142), la flotte du roi Roger, faisant voile vers les états hammadites, vint prendre et saccager Gigelli qui appartenait au sultan de Bougie, se vengeant ainsi du secours que celui-ci avait porté à El-Méhédïa.

En 1136, le chroniqueur officiel de la république de Gènes annonce une invasion de la capitale des Hammadites. Cette année, dit simplement Caffaro, sans donner d'ailleurs ni la cause, ni le prétexte de l'agression, douze galères génoises cinglèrent sur Bougie, y prirent une grande et riche galère, et revinrent en emmenant beaucoup de Sarrasins, entre autres Polphet, frère de Matarasse. Chaque galère retira un grand profit de la vente du navire (1). »

Cependant le Méhédi Ibn Toumert et son élève favori, Abd el-Moumen, que nous avons laissés à Mellala, auprès de Bougie, prirent la route du Moghreb et se ren

(1) Caffaro, Annales Génoises. De Mas-Latrie. L'individu que l'écrivain génois nomme Matarasse est peut-être Motarref, général du sultan Yahïa, qui s'empara de Tunis en 1148. Quant au nom de Polphet, il est trop défiguré pour que nous cherchions à le reconstituer.

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